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On a rencontré le type qui affirme avoir écrit l'autobiographie de MC Jean Gab'1

« C'est mon boulot à 99,99%. En gros, le mot « mec » a été remplacé ici-et-là par le mot « raclo » et c’est à peu près tout. »
Genono
par Genono

Julien Gangnet et MC Jean Gab'1 (ceci est un montage).

Lorsque j’ai lu pour la première fois Sur la tombe de ma mère, l’autobiographie de MC Jean Gab'1, j’ai ressenti un vrai choc. Cette prose à mi-chemin entre les dialogues d’Audiard et l’univers noir de Donald Goines… J'avais rarement lu quelque chose d'aussi bon. Il est vrai que je suis client du personnage, de son bagout et de sa javance, mais d’un point de vue strictement littéraire, c’était très fort. Et tout le long du bouquin, à chaque fin de chapitre, la même question revenait : « est-ce que Charles [M'Bouss, la version État Civil de Mc Jean Gab'1] a écrit ça tout seul ? » Parce que si c'était le cas, on avait clairement déniché le Iceberg Slim français. Quand j’ai eu l’occasion d’interviewer Gab'1, je lui ai fatalement posé la question. La réponse fut un brin évasive : « J’ai fait appel à plusieurs personnes. Déjà, je sais pas taper au clavier. J’avais pas les burnes, ou la gamberge adéquate, pour me dire comment j’allais mettre tout ça sur une nappe. 310 pages, tu comprends pas, le format, etc. »

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Une quinzaine de mois plus tard, un certain Julien Gangnet assigne MC Jean Gab'1 et son éditeur (Don Quichotte) en justice, pour contrefaçon. Pour dire les choses simplement : il affirme être l’auteur de son livre. On a rencontré Julien pour qu'il nous raconte sa version de l'histoire.

Noisey : Tu peux te présenter brièvement ?
Julien Gangnet : Je m'appelle Julien Gangnet, j'ai fait pas mal de boulots dans ma vie, mais depuis quelques années je suis concepteur-rédacteur dans la publicité. Bref, je gagne ma vie en écrivant. Comment t'as rencontré Gab'1 ?
Je l'ai rencontré il y a une dizaine d'années, par l'intermédiaire de son manager, Maurice. Maurice, c'est un mec que j'ai pas vu depuis un moment, mais qui reste un bon camarade, et un mec tout à fait normal, avec qui tu peux interagir normalement. Mon premier boulot pour eux, ça a été de concevoir et d’assurer la direction artistique de la pochette du premier album de Gab'1, Ma Vie. Ça a bien marché, ils en étaient contents. Et à force de côtoyer Charles, de l'entendre parler, je trouvais ses histoires assez extraordinaires. C'est à ce moment que t'as eu l'idée d'écrire un bouquin sur lui ?
Au départ, je me disais qu'il fallait écrire un livre sur les Requins Vicieux. Ils n’étaient pas très chauds, je me suis donc concentré sur les histoires dingues de Charles. L'idée était là, elle trottait un peu dans la tête de tout le monde… mais il ne se passait rien. Au bout d'un moment, je suis allé les voir, je leur ai dit « écoutez, les gars, moi j'écris, Charles a une histoire à raconter, faisons quelque chose ». J'ai vraiment initié le truc, et j'insiste là-dessus, parce que franchement, si je ne m'étais pas énervé à ce moment-là, le bouquin n'aurait jamais existé. Je me suis bougé, j'ai écrit un synopsis, je suis allé à la pêche aux éditeurs, j'ai remué mes contacts… Et j'ai enfin rencontré un mec qui a accepté de nous faire un contrat d'édition. C'était Jacques Binsztok, aux Editions du Panama, qui a été longtemps éditeur au Seuil, et qui est de bonne notoriété. On l'a rencontré ensemble, il nous a fait un contrat d'éditeur en nous désignant co-auteurs. Ce contrat existe, il est chez mon avocat , tout est écrit noir sur blanc, avec ma signature, et celle de Charles. Ça, c'est irréfutable. On a commencé le boulot ensuite. Comment se déroule le processus d'écriture avec Gab'1 ?
Les rôles étaient bien définis, à même le contrat : Charles parlait, et moi j'écrivais. On se voyait deux fois par semaine, j'ai fait un énorme travail d'interview. Tout était enregistré, ça représente des dizaines de cassettes. Une fois qu'on est arrivé au bout de l'histoire, on est parti chacun de notre côté. J'avais des rushs, de la matière brute, je l'ai ciselé, découpé, je lui ai donné une forme artistique, une forme littéraire… Charles a une tchatche, mais ça ne restait jamais qu'une tchatche sur cassette. Je l'ai vraiment sculpté. Là aussi j'insiste, parce que c'est vraiment moi qui ai donné vie à cette matière brute, je l'ai transformé en œuvre littéraire. Tout ce processus se chiffre en années ?
Disons un an et demi, voire deux ans. Je travaille pas spécialement rapidement, et en plus de ça, y'a des moments où Charles partait, ou n'était pas forcément dispo… Mais la maison d'éditions a été cool, parce qu'on avait une date butoir sur le contrat, qu'on a allègrement dépassé, et ils ne nous ont posé aucun souci. Une fois que le document a été terminé, Charles l'a lu, l'a validé avec son manager et on l'a rendu. Chez Panama, ils étaient super contents du résultat, on avait même déjà une date de sortie, et on finissait de fignoler le boulot avec une secrétaire de rédaction pour éliminer les dernières coquilles. Le bouquin était déjà annoncé sur le site de la Fnac. Et là, la crise nous tombe sur la gueule : les investisseurs de Panama se retirent tous les uns après les autres, la maison d'éditions fait faillite… Ils nous ont rendu les contrats. Comment tu te sens, à ce moment là, quand le fruit du travail de plusieurs mois te file entre les doigts ?
Je ne me laisse pas abattre, je pense à rebondir. Sauf qu'à ce moment-là, Charles s'embrouille avec Maurice. Jusque-là, Maurice assurait la paix sociale… Quand je me suis retrouvé seul en tête à tête avec Charles, c'est devenu compliqué. Les rapports se sont envenimés, parce qu'il ne comprenait pas qu'on était censé être associés. Je trouvais de nouveaux éditeurs, mais ça ne lui convenait pas, donc je lui disais que lui aussi pouvait se bouger, et évidemment, ça ne lui plaisait pas. Au bout d'un moment, on a coupé les ponts. Chacun avait sa copie, je me suis dit que ça ne sortirait jamais, j'en avais marre de l'ambiance… J'ai décidé de m'arrêter là, tant pis pour tout le travail fourni. Pendant un an, voire un an et demi, j'ai oublié toute cette histoire. Et un jour, un pote m'appelle et me dit « t'as vu, la bio de Gab'1 sort enfin ! ». Je me débrouille pour en récupérer un exemplaire, et au bout de deux pages, je me rends compte que c'est mon boulot à 99,99%. En gros, le mot « mec » était remplacé ci-et-là par le mot « raclo »… et c’est à peu près tout.

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Première réaction ?

Un rire jaune, et dans la foulée, j'appelle Don Quichotte éditions

[le nouvel éditeur de Gab'1]

.

« Allo, vous allez rire ! Je suis le co-auteur du livre, c'est moi qui l'ai écrit. J'ai toutes les preuves : 25 épreuves dans mon ordinateur, les anciens contrats d'édition, etc. » J'étais pas énervé, mais plutôt « vous avez fait une erreur, c'est pas grave, ça peut arriver ». Suite à ça, la nana me demande de passer la voir, elle me prend un peu de haut… Je pense que ça a été un crève-cœur pour eux, parce qu'ils avaient tellement envie d'y croire, ils pensaient vraiment avoir trouvé le nouveau Chester Himes, le taulard sensible, le gangster qui sait écrire. Mais je les comprends, c'était tellement beau !

On a tous eu envie d'y croire…

Ouais… sauf que la vérité, c'était pas ça. Moi, face aux éditeurs, je me suis dit que c'était des gens sensibles au travail artistique, je pensais que ma bonne foi suffirait à les toucher. Je me suis mis le doigt dans l’œil, j'ai eu droit à un « débrouillez-vous, on peut rien faire pour vous ». La seule solution qu'il me restait, c'était d'attaquer en justice. J'y ai longtemps réfléchi, parce que ça implique beaucoup de choses, du temps, de l’énergie. Mais j'ai tellement donné de moi-même dans ce bouquin ! Il n'était pas question que je laisse filer ça comme ça ! Et puis, Charles n'a pas le monopole de l'enfance de merde, on a tous une histoire ! J'ai donc pris un avocat. Au début, on a essayé de négocier.Et comme on nous faisait un peu lanterner, on en a eu marre, et l'assignation est partie fin juillet. On les attaque donc pour contrefaçon

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.

Ah ouais, carrément ?

Oui, c'est le nom de la forme juridique : contrefaçon. Et on attaque donc l'éditeur et Gab'1, qui sont co-responsables. On demande un certain nombre de choses, et la première, c'est que mon nom apparaîsse

.

Et deux mois plus tard, où ça en est ?

Pour l'instant, il ne s'est pas passé grand chose. Il y a juste eu un petit truc, et j'espère humblement y être pour quelque chose : le nouveau livre de Charles, qui était déjà annoncé sur le site de la Fnac, est reporté

sine die

. Même si c'est un peu mesquin, ça ne me déplairait pas d'avoir contribué à ça.

Je vais t'en vouloir alors, parce que j'avais très envie de le lire. Tu n'as donc aucune implication dans ce second bouquin ?

Absolument aucune, et je n'ai aucune information dessus… Je suis content d'avoir fait ça, ce n'est que justice. Et en plus, Charles ne m'a jamais remercié. J'aurais aimé qu'il me remercie, je lui ai quand même fait un beau livre, tout le monde l'a aimé. Il a une histoire touchante, j'ai pris plaisir à travailler avec lui. C'est un mec touchant… c'est lui qui l'a voulu, mais ça ne méritait pas ça.

Julien (avec l'écharpe) à l'âge de 14 ans dans le film Laisse Béton, sorti en 1984.

Il y a eu des réactions de leur part ?

Oui, mais après consultation de mon avocat, rien d’acceptable.

Connaissant le pedigree de Gab'1, tu t'attends à des coups de pression ?

Nan, pas du tout… Nous sommes dans le monde feutré de l’édition, voyons.

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[Rires]

Toi qui as beaucoup discuté avec lui, est-ce que tu peux nous dire si tout ce qui est raconté dans le bouquin est réel ? Toutes ces fusillades, ces braquages, ces histoires extraordinaires, on se demande parfois si ce n'est pas un peu romancé.

Alors, je vais être très franc : j'ai une espèce de radar pour le pipeau. Et pendant ces dizaines d'heures passées à recueillir ses propos, à aucun moment je n'ai senti un seul moment de flottement. Jamais. Et il m'a vraiment tout raconté, il n'a rien gardé sous le pied

Tu n'avais jamais écrit de roman ou de biographie avant

Sur la tombe de ma mère

?

C'était mon premier essai !

Les retours sur le bouquin sont quasiment tous excellents. Ça t'a fait plaisir ou tu t'es dit « on félicite mon travail, mais on l'attribue à un autre » ?

J'étais content des retours, même si j'aurais préféré avoir mon nom accolé au livre. Mais bon, c'est bien que la vérité éclate maintenant. En plus, Gab'1 a de l'actu en ce moment, donc on va en parler pas mal !

Qu'est ce que tu attends de toute cette procédure ?

Déjà, le temps de la justice n'est pas le même que le temps des hommes… Donc, je n'attends rien avant longtemps ! Mais à part ça, je n'attends plus rien, j'ai fait ce que j'avais à faire. À la limite, tout ce que j'attends, c'est de voir mon nom sur la couverture

.

En somme, tu veux juste rétablir la vérité.

J'ai travaillé, j'attends la reconnaissance qui va avec. Écrire, c'est du boulot, tu sais de quoi je parle. Et y'a pas de raison de se faire voler son boulot ! D'autant que je l'ai plutôt bien fait.

T'attends des retours financiers ?
On verra bien comment ça va tourner, mais oui, y'a un peu de pognon à prendre, le livre s'est bien vendu.

J'imagine que c'est une expérience que tu ne comptes pas réitérer avec un autre artiste…
La prochaine fois je ferai ça avec un homme d’Église, ou un dentiste ! [Rires]

Note : Nous avons contacté les éditions Don Quichotte et MC Jean Gab1, qui n’ont pas souhaité s’exprimer sur ces « éléments actuellement contestés qui font l’objet d’une procédure judiciaire en cours et qu’il n’y a donc pas lieu de commenter ».

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