Spoek Mathambo roule plus que jamais pour la musique sud-africaine

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Spoek Mathambo roule plus que jamais pour la musique sud-africaine

« Ce n'est pas aux étrangers de faire connaître la musique d'Afrique, c'est à nous de la représenter du mieux possible. »

En solo ou en groupe (Batuk, Fantasma), derrière une caméra ou sur scène, Spoek Mathambo est du genre à tout tenter, et à rarement échouer. Histoire de le prouver une bonne fois pour toute, le Sud-Africain revient avec Mzansi Beat Code, que l'on ancre faute de mieux dans les musiques électroniques, mais qui lui permet surtout de se placer hors des zones de confort de la house actuelle en mêlant ses intentions premières au hip-hop, à la new wave et à différentes musiques venues d'Afrique (la Sghubu, le Gqom, le Maskandi, etc.). Car, c'est plus que jamais une certitude, Nthato Mokgata (de son vrai nom) a décidé d'être l'ambassadeur de son pays, de représenter sa richesse musicale et culturelle dans le monde entier. Ça tombe bien : il le fait parfaitement bien. Y compris en interview. Noisey : Pour commencer simplement, en quoi Mzansi Beat Code est différent de Father Creeper ?
Spoek Mathambo : Ces deux albums sont tellement différents que je préférerais que tu me poses la question autrement. Avec plus de précision, sinon, c'est impossible de répondre.

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Dans ce cas, c'était quoi le but sur Mzansi Beat Code ?
Il y a deux choses essentielles à savoir. La première, c'est que l'enregistrement a été étalé sur plusieurs années et au sein de plusieurs pays. La seconde, c'est que je le vois comme une célébration des différents courants issus des musiques électroniques sud-africaines.

C'était déjà le cas sur Father Creeper, non ?
Oui, bien sûr. Mais c'est sans doute encore plus évident que par le passé et, surtout, ça été fait dans des conditions différentes. Mzansi Beat Code joue avec la notion de média, dans le sens où j'ai enregistré beaucoup de sons avec mon dictaphone, qu'ils soient issus de YouTube, de la télévision, des films ou des discussions que j'ai pu avoir. Ça a créé une espèce de narration qui porte l'ensemble du disque. Le plus fou, c'est que je ne l'avais même pas calculé, c'est né comme ça, comme si j'avais besoin de procéder ainsi pour pouvoir donner forme à l'album.

Du coup, j'imagine que tu te considères comme un enfant d'Internet et de la télévision ?Je dirais plutôt que je suis un homme qui a grandi en expérimentant différentes formes de médias et qui a été différemment influencé par ces supports, que ce soit dans la manière de penser ou de créer. Donc non, je ne suis pas un enfant de ces produits, je suis un homme qui s'est approprié cette technologie [Rires].

C'est facile pour toi de gérer tous tes projets ? Par exemple, comment sais-tu qu'un morceau est destiné à l'un de tes albums plutôt qu'à ceux de Batuk ou Fantasma ?
C'est difficile à dire parce que la plupart des morceaux que je crée sont destinés à un projet de groupe, mais j'ai également joué sur scène certains morceaux du dernier album de Batuk bien avant qu'il ne soit publié. Tout se mélange donc un peu… Ce que je peux dire, en revanche, c'est que presque tous mes morceaux sont composés dans l'optique d'être joués à plusieurs. C'est une façon pour toi de laisser une place à l'improvisation ?
Oui, et à l'expérimentation également. Si tu regardes ma discographie depuis mes débuts, tu te rends compte que j'ai toujours évolué vers d'autres sons, que j'ai toujours tenté de mélanger les genres, etc. Tout ce qui se passe aujourd'hui est donc l'évolution logique de tout ce que j'ai toujours voulu faire.

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Sur Mzansi Beat Code, on trouve une fois encore un grand nombre de collaborations. Comment tu sélectionnes tous ces artistes ?
Oh, tu sais, tout est possible : il y a certains artistes avec qui je m'entends bien musicalement, d'autres avec qui je suis ami et d'autres encore avec qui je suis entré en contact grâce à Internet, soit parce qu'ils m'ont envoyé un mail, soit parce que je m'en suis chargé. Je pense être ouvert à différents types de collaboration, il n'y a donc aucune raison de m'enfermer dans une communauté bien définie. Sur Mzansi Beat Code, il y a donc des proches comme DJ Spoko, avec qui je travaille au sein de Fantasma, mais il y a aussi une musicienne comme Ceci Bastida, que j'ai rencontré récemment.

Justement, quelle est l'histoire derrière ce morceau avec Ceci Bastida, « Volcan » ?
Ceci, c'est une artiste mexicaine que j'ai contacté via Internet, que j'ai rencontré lors d'une date à Los Angeles et avec qui j'ai déjà enregistré plusieurs morceaux. « Volcan », en fait, est notre troisième titre ensemble. Ici, elle raconte une vieille légende mexicaine à propos de deux montagnes situées en périphérie de Mexico. C'est une histoire d'amour en fait, une histoire où les montagnes sont vues comme des personnes. Si tu veux, l'une des deux montagnes s'en va, l'autre finit par se suicider et, quand la première finit par revenir, elle se suicide à son tour en voyant le corps de la seconde. On dit alors que ces deux montagnes se seraient transformées en volcan, et Ceci raconte à merveille cette histoire à la Roméo et Juliette. Quand on l'écoute, on dirait même qu'elle chante en sud-africain, ce qui est très étrange.

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Tu évoquais ta tournée à Los Angeles. C'était comment de jouer là-bas ?
C'est déjà vieux maintenant, ça remonte à deux ou trois ans je crois, mais c'était forcément sympa. Cela dit, je n'ai pas joué qu'à L.A.. Ce concert, c'était dans le cadre d'une tournée en Amérique du Nord. Je crois que j'avais dû faire dix concerts aux États-Unis et trois au Canada. Ce que je vais dire va paraître banal, mais ça été un réel plaisir d'être là-bas, j'avais vraiment l'impression de créer de nouveaux morceaux en direct à chaque concert. Je n'étais pas simplement dans l'interprétation de mes titres, ça allait au-delà de ça.

Il y a une différence pour toi dans le fait de jouer aux États-Unis ou en Afrique du Sud ?[Il hésite longuement] C'est difficile à dire, mec : pour moi, c'est toujours différent de jouer d'un pays à l'autre. J'ai eu l'occasion de me produire en Russie, en Ethiopie, en France ou aux États-Unis, et c'était à chaque fois particulier. Ça vaut aussi pour les villes : l'énergie que l'on trouve à Portland n'est pas la même qu'à Los Angeles, le public d'Angers est différent de celui d'Angoulême… Ce n'est pas mieux ou moins bien, c'est juste une nouvelle expérience à chaque fois.

Sur Mzansi Beat Code, on retrouve aussi du Maskandi, une musique traditionnelle zulu. Tu peux nous en dire plus ?
Je ne peux pas te donner une histoire définitive du Maskandi, mais c'est une musique qui est jouée depuis des décennies par les zulus en Afrique du Sud. C'est une musique à base de guitares, un peu comme le blues, même si beaucoup la joue de façon différente. À l'origine, elle est jouée par un troubadour, qui en profite pour raconter en chanson les différentes expériences vécues. Au fil des années, c'est vraiment devenue une musique populaire en Afrique du Sud, c'est même presque une industrie ici. D'ailleurs, si tu souhaites en savoir plus, je suis persuadé que tu trouveras une page Wikipedia dédiée au Maskandi [Rires].

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À force de mettre en avant de telles traditions, tu n'as pas l'impression d'être devenu une sorte d'ambassadeur de la musique africaine dans le reste du monde ?
En quelque sorte, oui. Mais je suis loin d'être le seul. Il y a toujours eu ici des artistes prêts à représenter notre pays du mieux possible. Je pense notamment à Cassper Nyovest ou DJ Black Coffee. C'est une démarche importante, finalement. Moi-même, je vis toujours à Johannesburg, ça me paraît essentiel. D'autant que la ville a clairement évolué ces dernières années. On sent qu'elle est en plein développement, qu'il y a une belle énergie et que les gens commencent enfin à se rapprocher entre eux. C'est un bon présage, je pense.

Tu penses que l'industrie musicale a tout intérêt à s'inspirer de ce qui se passe en Afrique du Sud ?
Je pense que l'industrie a toujours été à l'affut de ce qu'il se passait en Afrique. On peut même dire qu'elle a beaucoup pioché sur notre continent pour accroitre son pouvoir sur le reste du monde. Du coup, aujourd'hui, toutes les scènes musicales du monde sont pilotées par les mêmes groupes. Que tu ailles en Angleterre, en France, en Amérique ou en Afrique du Sud, tu verras toujours Universal, Warner et Sony. Et crois-moi, s'il n'y avait des démarches alternatives comme la mienne ou celles des artistes dont je parlais tout à l'heure, l'Europe ne connaîtrait rien des musiques sud-africaines.

On a déjà eu l'occasion d'en parler tous les deux , mais je trouve que l'impact des musiques venues d'Afrique sur le reste du monde est encore plus fort depuis notre dernier échange…
C'est normal : comme je te le disais la dernière fois, la scène musicale africaine a toujours été très présente au sein des pays occidentaux, que ce soit au sein de la house de Chicago ou au sein d'autres genres musicaux. On le vérifie aujourd'hui encore avec des genres comme le kuduro et le Baile funk, qui s'imposent comme de véritables styles musicaux, et pas simplement comme une variante de ce qu'on appelle la « world music ». Les musiques d'ici ne cessent de s'affirmer au niveau mondial et de plus en plus de gens en découvrent la richesse. Ce qui est totalement logique, finalement, puisque tout est disponible sur le web aujourd'hui. Il suffit d'aller faire un tour sur Deezer pour s'ouvrir à un paysage musical très riche.

Est-ce que ce n'était pas déjà le cas dans les années 1980 avec les albums Duck Rock et Graceland de Malcolm McLaren et Paul Simon ?
C'est marrant parce que j'ai longtemps été opposé à ce genre d'albums, avant de me rendre compte que c'était une démarche intéressante. Ça m'a d'ailleurs fait comprendre que ce n'était pas aux étrangers de faire connaître la musique d'Afrique, c'est à nous de la représenter du mieux possible. Ce que je pense faire d'ailleurs, même si je pense le faire avec un esprit nettement plus DIY. Par exemple, avec Batuk, on est allé faire un concert au Burkina Faso et on en a profité pour réaliser un film. Pas un documentaire, mais un vrai film, basé sur la musique que l'on crée et sur la richesse culturelle de l'Afrique. On ne s'impose aucune limite, surtout au sein de cette époque, propice au do it yourself.