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Music

Le Mzansi Sound est la drogue la plus intense qui circule à l'heure actuelle sur les dancefloors

Nous sommes allés parler avec Spoek Mathambo du documentaire « Future Sound Of Mzansi », qui témoigne de l’effervescence actuelle des musiques électroniques en Afrique du Sud.

Spoek Mathambo - Photo : Kent Andreasen De Lizzy Mercier-Descloux avec « Où sont passées les gazelles » en 1984, reprise du tube « Kazet » de Mahlathini Mahotella Queens, à Johnny Clegg, dont le Third World Child s’écoule à un million d’exemplaires en 1987, en passant par Graceland de Paul Simon en 1986, les années 1980 sont plus qu’essentielles dans l’adhésion du public occidentale aux musiques sud-africaines. Du moins, l’Afrique du Sud blanche. Trente ans plus tard, tout a changé : l’Apartheid a été envoyé dans les choux, Mandela est parti vers d’autres cieux et une poignée de musiciens noirs se sont réappropriés leur culture et l’ont exporté à travers le monde. Future Sound Of Mzansi, un documentaire réalisé par Spoek Mathambo et le réalisateur Lebogang Rasethaba qui, de Johannesburg à Pretoria, en passant par Durban et Cape Town, revient sur l’effervescence des musiques électroniques en Afrique du Sud ces dernières années. Accompagnés par le producteur Aero Manyelo, les deux compères reviennent sur leur projet et expliquent comment une nouvelle génération contribue aujourd’hui à placer l’Afrique du Sud sur la carte des pays qui comptent en termes d’electronic music.

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Noisey : Comment définiriez-vous ce que vous appelez le Mzansi Sound ?
Spoek Mathambo : L’Afrique du Sud étant un territoire très vaste, la musique qui y est produite est forcément très variée. Il y a différents sons, différentes énergies. Il y a plus de 50 millions d’habitants ici et je pense qu’on peut dire qu’on fait partie des plus grands consommateurs de musiques électroniques au monde. On a sûrement les meilleurs producteurs également. Lebogang Rasethaba : On pourrait dire qu’il s’agit d’une musique brute, ingénieuse, progressive et chargée en basses, mais chaque ville dégage une énergie différente, en lien avec sa géographie, son histoire et ses sensibilités culturelles. À Durban, par exemple, les tubes sont créés directement dans les boîtes, en interaction entre les producteurs et les clubbers. À Pretoria, la Barcadi music doit son nom à une célèbre marque d’alcool parce que beaucoup de producteurs en consommaient pour composer.

Aero Manyelo : La musique en Afrique du Sud est très ouverte. Il y a beaucoup de producteurs et de DJ’s. En ce moment, je pense que la house et la musque tribale dominent les débats, mais il faut avouer que le pays a toujours été très porté sur la dance music. On peut même dire que, depuis la fin des années 1980, le disco et la house de Chicago influencent clairement les producteurs sud-africains. Spoek et Lebogang, pourquoi avez-vous décidé de réaliser un documentaire sur la scène électronique sud-africaine ?
LR : À dire vrai, c’est sans doute la scène électronique qui s’est imposée d’elle-même. En termes d’house music, par exemple, l’Afrique du Sud possède un vrai vivier de producteurs géniaux mais totalement inconnus. On voulait sortir tous ces artistes de cette obscurité, mettre en lumière la créativité du pays. Un des producteurs interrogés dans le film parle même de « pain quotidien » pour décrire son rapport à la musique. Ça en dit long sur son importance dans notre vie de tous les jours et dans la façon dont nous revendiquons notre culture à travers elle. C’est une liberté d’expression et c’est sans doute pour cela que Future Sound Of Mzansi est bien plus qu’un documentaire sur la musique. C’est un film sur l’expérience humaine. Comment avez-vous choisi les artistes à rencontrer et les thèmes à aborder ?
LR : Honnêtement, le titre du documentaire a établi de lui-même les paramètres à suivre. Une fois le nom du film trouvé, on s’est simplement dit qu’il fallait se focaliser sur les artistes qui entretenaient cette promesse, sur ces musiciens qui projettent la musique sud-africaine vers de nouveaux horizons, à la fois futuristes et inédits. Black Coffee, Nozinja, Felix Laband, Jumping Back Slash ou Sibot entraient tous dans cette catégorie.

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SM

: Je pense aussi que tous les artistes que nous avons rencontrés ne représentent qu’un petit pourcentage de ce qu’il se passe vraiment en Afrique du Sud. C’est pour ça qu’on envisage de donner une suite au documentaire. Ici, on voulait simplement focaliser sur les différentes façons qu’ont les artistes de s’exprimer, sur leur façon de mêler leur art à un contexte social. L’idée était de mélanger les artistes que je connaissais à ceux que je n’avais jamais rencontré.

Quelle leçon avez-vous retenu de toutes ces rencontres ?

SM

: Ce que j’en retiens, c’est que, grâce au développement d’internet, les artistes sont devenus leur propre patron et qu’ils peuvent désormais faire parler d’eux dans le monde entier. Peu importe les radios ou le business de l’industrie musicale, on peut désormais vivre de notre art tout en étant indépendant. Certains musiciens, comme Black Coffee, sont mêmes très populaires en Afrique du Sud. D’autres, comme Dj Mujava, ont un destin hors-norme : le mec est passé vendait ses CD’s à la sauvette dans les taxis de Pretoria et il est aujourd’hui reconnu internationalement.

LR : Ce que l’on constate également, c’est que les artistes s’exportent de plus en plus. Certains sont mêmes plus célèbres à l’étranger que dans certaines villes du pays. C’est étrange parce que, vu de France, on a l’impression que les musiques sud-africaines restent malheureusement en retrait des productions anglo-saxonnes…
SM : Ce n’est pas totalement vrai. Pour avoir pas mal voyagé grâce à ma musique, les kenyans ou les nigériens connaissent très bien la musique sud-africaine. Si tu vas dans des clubs à Londres ou si tu te balades à New-York ou à Toronto, c’est pareil : certaines personnes pourront te parler très clairement de la musique en Afrique du Sud.

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AM: Des artistes comme Spoek Mathambo, DJ Spoko, avec qui j’ai eu l’occasion de collaborer, permettent peu à peu d’exporter notre musique. Mieux, ils permettent à d’autres musiciens de toucher des auditeurs européens très éloignés de notre culture de prime abord. Personnellement, j’ai su que ma musique était également diffusée en Europe. C’est le rêve, même s’il faut avouer que c’est relativement compliqué d’aller y jouer. Entre l’obtention du Visa et la concurrence entre les artistes, il faut être patient. Du coup, que pouvez-vous nous dire de la réalité économique pour un musicien en Afrique du Sud ?
LR : La réalité économique de la scène musicale reflète la réalité économique du pays. Quelques personnes ont beaucoup et la majorité se contente de peu. Mais ce que l’on comprend en regardant le film, c’est qu’il y a un véritable réseau d’artistes qui ont trouvé le juste milieu et qui se fichent complétement des contraintes économiques. Ils veulent pratiquer leur art comme ils l’entendent. La manière dont ils produisent et partagent leur musique en est le parfait exemple.

AM

: Lorsque vous faites de la house et que vous parvenez à faire votre trou, vous pouvez facilement vous acheter une belle voiture et subvenir sans problème aux besoins de votre famille. Les royalties sont assez généreuses, certaines majors s’intéressent à nous et de nombreuses associations nous permettent de nous développer ou de tourner dans tout le pays. Le marché du disque n’étant pas hyper développé [

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Aero n’a jamais vendu plus de 8000 albums

], les concerts sont un bon complément. Personnellement, j’en donne presque six par mois.

Spoek, tout à l’heure, tu parlais de la façon dont les artistes mêlent leur musique au contexte social. Tu penses que le contexte politique a un rôle essentiel sur la créativité des musiciens ?

SM

: Les gens font encore la liaison entre l’Afrique du Sud et l’apartheid, mais le pays a énormément évolué depuis. C‘est pour cela que notre film n’a aucune ambition passéiste : il se focalise essentiellement sur ce qu’il se passe en ce moment et sur ce qui peut influencer les musiciens de notre génération. J’adopte d’ailleurs la même démarche au sein de mes productions. À aucun moment, je ne veux regarder dans le rétro. Pour moi, il s’agit d’établir une musique du futur.

Justement, je trouve que la plupart des artistes aperçus dans le film entretiennent plusieurs connexions avec l’afrofuturisme…

SM

: Je ne suis pas trop d’accord. Il y a certes une quête d’expérimentations et une volonté de défendre la cause noire, mais des artistes comme Sun Ra ou Janelle

Monáe

puisent leur inspiration dans différentes mythologies. Ce qui est loin d’être notre cas.

AM : À dire vrai, ma musique est très influencée par les producteurs européens, qui, selon moi, ont une démarche aussi futuriste qu’agressive. J’essaye donc de m’en inspirer pour ensuite mélanger l’ensemble aux musiques traditionnelles du pays. Du coup, je pense avoir davantage de connexions avec des musiciens qui me sont contemporains plutôt qu’avec les convictions philosophiques que Sun Ra ou autres. Comment expliquez-vous le fait que le Mzansi Sound soit si futuriste ?
LR : Tout simplement parce que l’Afrique du Sud est un pays du sud. Nous vivons une époque où la notion de temps et d’espace n’existe plus. Internet, par exemple, peut permettre à un jeune producteur de Durban d’être écouté au Royaume-Uni. Il y a encore quelques années, ce n’était pas possible. Il y avait une certaine forme d’injustice entre ceux qui avaient les moyens de se payer une campagne de communication et les autres. Aujourd’hui, l’endroit où vous vivez ne détermine plus forcément votre destin ou ce que vous êtes. Pour terminer, qu’espérez-vous de ce documentaire ?
LR : Je sais que ça amené les projecteurs sur la création de notre pays. Future Sound Of Mzansi a créé un point de repère dans l’histoire musicale de l’Afrique du Sud. J’espère donc qu’il servira de base à de nouveaux projets dans les prochaines années, que les gens s’y référeront pour comprendre comment était le pays dans les années 2010.