Music

Et si MGMT avait été le groupe le plus sous-estimé des dix dernières années ?

Bien qu'ils aient vendu des tonnes de disques, l'histoire du duo de Brooklyn n'a ressemblé jusqu'ici qu'à une suite de malentendus.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
MGMT 2010 psychédélisme
clip de « It's Working » (2010)

Pendant que certains se réjouissent d’un énième retour d’un certain groupe new-yorkais qui a pourtant cessé d’être pertinent depuis 2006, un autre ex-groupe branché du cru continue de tailler sa route, sans trop se soucier des autres mais en provoquant quant à lui un peu moins de remous.

Fin mars, alors que le confinement s’implantait durablement dans toutes les têtes, MGMT sortait un nouveau morceau dans une relative indifférence – ce qu’on peut comprendre vu le contexte. Tout en annonçant avoir monté son propre label, le groupe dévoilait alors « As You Move Through The World », une merveille de pop expérimentale éthérée aux faux airs de Boards of Canada qui aurait trempé dans du Lewis Carroll. Le morceau faisait suite au non moins réussi « In The Afternoon », single plus classique en esprit, mais qui témoignait du goût toujours sûr du duo de Brooklyn pour l’écriture d’indie pop psychédélique et ouvragée.

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Mais si les deux morceaux sont chacun excellents, il semblerait que le train soit passé depuis longtemps pour MGMT, alors même que leur musique n’a jamais vraiment faibli. C’est d’autant plus injuste que les autres continuent de regarder passer les vieux trains.

Il y a plusieurs points communs entre les Strokes lourdement suscités et MGMT. D’abord parce qu’ils se sont fait connaitre dans la même ville, et qu’ils ont incarné chacun à leur tour le zeitgeist musical de leur époque – le retour du garage rock en veste en cuir au début des 00’s pour l’un, l’avènement d’un psychédélisme synthétique et fleuri pour l’autre presque dix ans plus tard. Les deux ont explosé dès leur premier album, et n’ont jamais semblé en mesure de s’en relever ensuite. Mais alors que les premiers ont passé leur temps à chasser leur gloire originelle, les seconds n’ont semblé que vouloir la fuir, à coup de faux semblants et de parties de cache-cache avec la célébrité.

Des miettes et un hit en trompe l’œil

L’histoire de MGMT est un malentendu dès le début. Étudiants à la Wesleyan University du Connecticut, les deux geeks Ben Goldwasser et Andrew VanWyngarden gobent des acides et jettent dans la même marmite aussi bien les préceptes théoriques d’Anthony Braxton que les pop songs de Talking Heads – ce qui est un programme somme toute assez classique pour des étudiants en musicologie. Après plusieurs essais infructueux, et un groupe de reprises monté sur un coup de tête qui s’appelle alors The Management, les deux sortent en 2005 un EP intitulé Time To Pretend sur le label Cantora. Qui ne rencontre pas franchement le succès.

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Après plusieurs tentatives infructueuses, s'être installé à New York, effectué des panouilles en première partie de Of Montreal et un premier album (Oracular Spectacular, sorti en 2008) remixé par l’ingénieur du son Dave Friedmann (qui a alors façonné quelques années plus tôt la patte sonore de Mercury Rev ou des Flaming Lips, et qui s’apprête à tout exploser quelques années plus tard avec Tame Impala), c’est avec le clip de « Time To Pretend », sorti en 2008, que le groupe explose sa cote chez les influenceuses en herbe.

Il faut dire que le subterfuge fonctionne plutôt bien, le chanteur est beau gosse et torse nu, et le morceau a tout de l’hymne générationnel « à qui on ne la fait pas » (le groupe a voulu dans un premier temps appeler son album « Cosmic Bullshit »), ses paroles en forme de satire de la vie de pop star qu’ils s’apprêtent à avoir faisant le job : « Faisons de la musique faisons de l’argent, trouvons nous des mannequins pour femmes / Je déménagerai à Paris, me piquerai à l’héroïne et baiserai avec des stars […] Oui c’est consternant, mais qu’est-ce qu’on va faire d’autre / Trouver des jobs de bureau et se lever le matin pour la navette quotidienne ? »

Ce morceau est en partie ce qui a fait tourner la tête du groupe pendant un moment (suivi de près par « Kids » et son irritante boucle de synthé qui ne dépareillerait pas dans une pub pour des Miel Pops). Andrew va se réfugier un temps au fin fond de l’Europe de l’est, Ben reste chez lui, et les deux observent de loin leur propre vie qui se déroule désormais comme celle dont ils se moquaient encore quelques mois plus tôt – une situation dont pas mal de rock stars ne sont d’ailleurs pas revenues.

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Mais si Oracular Spectacular est jalonné de quelques singles mémorables, il serait faux de dire que le reste du disque est phénoménal. Au contraire, il semble rétrospectivement dilué par un tas de morceaux oubliables et criards, car ils versent soit dans un psychédélisme mollasson et étiré, soit parce qu’ils tentent de trouver la formule magique de la pop là où il n’y a pas lieu d’aller la chercher. Ce qui est un bon résumé de la carrière de MGMT.

Toujours un peu en dehors du coup

L’autre malentendu, c’est qu’ils ont toujours tapé un peu à côté, aussi bien dans leur tentative de plongée dans la bizarrerie produite par Sonic Boom de Spacemen 3 sur leur deuxième album Congratulations paru en 2010, que dans leur volonté de renouer avec des morceaux plus pop et immédiats sur leur dernier album Little Dark Age paru en 2017. Sur ces disques, ils semblent toujours avoir été incapables d’embrasser l’un ou de s’aventurer pleinement dans l’autre, comme s’ils étaient voués à toujours s’échouer dans cet entre-deux artistique et commercial, ne contentant jamais pleinement les diggers fans de pop psychédélique et sophistiquées, ni les petites meufs en couronnes à fleurs qui ne reconnaissent pas dans leurs structures à tiroirs lors des festivals d’été. Et qui préfèrent du coup aller voir Empire of The Sun.

Le troisième album MGMT ne fait d’ailleurs pas exception : paru plusieurs années après l’échec commercial du second, il entérine un peu plus la disette commerciale du groupe, ne puisant pas assez dans sa matière expérimentale assez de folie pour pouvoir marquer les esprits durablement. Le problème de ce disque aujourd’hui, c’est que personne ne s’en souvient, et que c’est parfaitement normal. Même s’il y a deux trois trucs à sauver.

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Mais cette inconstance est aussi ce qui fait la force du groupe. Sur leur deuxième album, paru deux ans après le triomphe du premier et avec lequel ils choisissaient délibérément de couper les ponts, ils se laissent aller à leurs péchés mignons et vont puiser dans leurs influences cachées : Felt, Television Personalities, les premiers Pink Floyd, Brian Eno, Spacemen 3, la pop anglaise des années 80. Un mélange des genres qui ne coule pas forcément de source, mais qu’on peut séparer en deux parts distinctes mais complémentaires : d’une part, la soif d’exploration adolescente du psychédélisme et son envie de tirer plus loin le film de la pop, et de l’autre, une certaine candeur non moins adolescente, qui entend garder pour soi une certaine idée immaculée et pure de cette même pop. Ce faux écartèlement donne des choses assez dingues sur le disque, comme le morceau « Siberian Breaks », morceau de bravoure de 12 minutes en plusieurs étapes qui ne ressemble pas à grand-chose de connu au cours de la décennie passée.

Des geeks plutôt que des freaks

Le seul véritable avantage qu’apporte le fait de vieillir, c’est qu’au bout d’un moment, on peut plus faire semblant d’être cool. Ça tombe bien, car MGMT n’a jamais été cool. On a juste cru qu’ils l’étaient pendant quelques mois parce qu’ils portaient les bonnes fringues et faisaient des featurings avec Kid Cudi ou qu'ils se faisaient clipper par So-Me. Alors qu’ils ont toujours été des geeks, plus intéressés par les stratégies obliques de Brian Eno (au point de créer leur propre version lors de l’enregistrement de Congratulations en 2010) que de soulever le premier mannequin venu – même s’ils ont été assez ambigus là-dessus dans un premier temps.

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La différence désormais, c’est qu’ils ne semblent plus du tout définir l’époque ni encore moins lui courir après comme ils ont pu le faire un moment. Ce n’est plus cool de s’inspirer des années 80 ou des Cure comme ils le font sur leur dernier album, tout le monde le fait. Ce n’est plus cool d’être fan de Yellow Magic Orchestra, c’est juste normal. Ce qui n’empêche pas « She Works Out Too Smuch » et ses sauts de puce synthétiques d’être un excellent morceau. Être bon copiste de Sakamoto n’est pas forcément donné à tout le monde.

Ce qu’il leur reste à faire, c’est encore de trouver un terrain de jeu propice à laisser libre cours à certaines expérimentations qu’on entrevoit chez eux depuis toujours, mais seulement par bribes et en cherchant bien dans les interstices. Mais ce que peuvent témoigner leurs deux morceaux sortis tout récemment, c’est que contrairement à des groupes comme les Strokes (qu’ils ont plus moins prolongé), ou encore Tame Impala (qu’ils ont plus moins enfanté), MGMT ne sont ni les tenants d’une ringardisation toujours plus galopante du rock, ni ce vieux wagon fantôme du psychédélisme qui tente à tout prix de se maintenir à flot quitte à se renier.

Maintenant qu’il n’y a plus d’enjeu, que leurs deux membres habitent chacun à l’autre bout du pays, on les voit enfin sortir ce grand disque de pop expérimentale et lysergique qu’ils semblent avoir sous le coude. Et vu que commercialement, ils risquent de plus en plus de ressembler au tribute band de Cleaners From Venus qu’ils auraient toujours dû être, on se dit que la porte est ouverte.

Marc-Aurèle Baly est vaguement sur Twitter.

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