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Music

Kurt Wagner sera toujours plus fort et tranquille que vous

Pour au moins deux raisons : le leader de Lambchop n'en a rien à battre de votre avis, et porte son Stetson (et l'auto-tune) comme personne.
Lambchop, interview, Kurt Wagner
© City Slang

N’en déplaise à certains de ses fans hardcore, qui, paradoxe de l’affaire, portent plus volontiers l’imper et le mocassin à gland que le Stetson, Kurt Wagner est un type fidèle. Fidèle à sa ville de Nashville et à son inévitable country-music qu’il a cuisinée à sa sauce alternative, ainsi qu’aux deux labels indépendants qui se partagent son rayonnement sur la planète, sur lesquels son groupe Lambchop débite infatigablement sa discographie depuis déjà 25 ans. Avec l’album Flotus de 2016, le vil Kurt a détourné le cours tranquille de son americana dépressive à l’aide de l’auto-tune qui a fait crier au sacrilège ses paroissiens intégristes. Dommage car Wagner représente pourtant un exemple rare d’une étonnante cure de jouvence tardive, avec une forme renouvelée qui a tout autant bénéficié à un fond passionnant. Le gars a de toute façon notre respect éternel depuis qu’il a chanté chez Morcheeba, X-Press 2 et DJ Koze.

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Avec son petit dernier, This (is what I wanted to tell you), Lambchop pousse encore le bouchon de l’exploration. Ce recueil de chansons plus complexes n’a plus rien à voir avec le bac physique ou numérique country dans lequel le groupe se voit rangé. Cette réussite, il la doit aussi à d’autres adeptes de la chemise de bûcheron qui n’ont pas peur, comme lui, de jouer de la souris, tel Bon Iver. Son batteur, Matthew McCaughan, a aidé Lambchop à structurer des velléités électroniques qui culminent sur le morceau-titre, dernier endroit où l’on pensait croiser le fantôme du Talk Talk de Spirit of Eden. Voilà pourquoi Lambchop reste, en 2019, plus excitant que la plupart des rockers en perfecto H&M attachés aux consoles vintage et au matos analogique de leurs grands-parents quand leurs chansons sonnent comme des caricatures moisies d’un temps révolu. Kurt Wagner n’a jamais semblé aussi vivant et éloigné des stéréotypes rouillés de sa ville avec ce mélange unique de piano, de beats électroniques, et de voix trafiquée où coule plus de sève que dans n’importe quelle blague de Kings of Leon.

Noisey : L’album s’appelle This (is what I wanted to tell you), qu’avais-tu donc à dire ?
Kurt Wagner : Il signifie « se parler franchement de ce qu’il se passe ». On a tous en tête, moi le premier, les changements culturels que connaissaient les Etats-Unis au moment où je bossais l’album. Il en est donc le reflet. Quand j’écris sur ma situation, celle de mes amis ou de mes collègues, il n’y a même plus besoin de fiction. J’en ai tiré pas mal d’idées.

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Ce nouvel album semble dans la continuité de Flotus mais avec une composition plus complexe…
Flotus a inauguré un cycle de travail avec Matt McCaughan. Nombre des chansons du nouvel album sont nées de ses pièces quasi ambient qu’il envoyait, créées à partir de synthés analogiques, d’environ 20 ou 30 minutes, avec un début, un milieu et une fin. J’essayais d’en garder l’essence tout en les tirant vers des chansons. Cette façon de composer représente la principale différence avec Flotus.

Tu as eu un projet électro il y a quelques années, HeCTA, il a été important pour préparer le terrain ?
Oui car ce genre de musique nous a toujours attirés. Il comprenait deux autres musiciens de Lambchop. On voulait voir ce qui se passerait en composant hors du groupe. J’y ai beaucoup appris.

Comment t’es-tu approprié l’auto-tune sur Flotus ?
Tout est arrivé grâce au hip-hop, quand j’ai découvert Shabazz Palaces. Je les ai vus sur scène avec cet outil qui leur permettait de sonner comme ça live, sans la magie du studio ou d’un travail de post-production. Une fois que j’ai découvert ça, j’ai commencé à l’essayer pour travailler ma voix en temps réel, ce qui s’est avéré marrant, excitant. Et ça continue.

C’est pourtant encore un outil très décrié !
Oui mais sûrement par des gens âgés qui n’écoutent pas beaucoup la musique du moment. Récemment, je me suis mis les dernières sorties sur Spotify et environ 80% ont un traitement de la voix, pas forcément l’auto-tune d’ailleurs. C’est donc totalement accepté par les gens qui créent à l’heure actuelle. Pourquoi ne pourrais-je pas l’adopter moi-même ? Je ne suis pas Paul McCartney ! Ceci dit, je l’ai récemment entendu sur un single où lui-même se mettait à traiter sa voix, je me suis dit que c’était foutu, là ! Il va falloir que je trouve autre chose. Quand McCartney s’y met, c’est que c’est trop tard !

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L’ironie, c’est que cet outil laisse aussi transparaitre beaucoup d’émotion…
Absolument, il apporte aussi beaucoup d’inattendu et embarque dans quelque chose d’humain que tu n’imaginerais pas d’une machine. Quand j’ai compris ça, je l’ai pris comme une nouvelle forme d’expression, aussi novatrice que l’arrivée de la guitare électrique, des pédales ou de la distorsion… C’est juste un nouvel outil pour explorer les possibilités des sons. Mais la notion de traitement est née dès qu’on a commencé à enregistrer la voix humaine. Si tu écoutes de vieux Leadbelly, tu entendras un traitement particulier, des craquements, les sons du vieux vinyle… au final, plein de trucs que tu mémorises dans ton cerveau, qui constituent aussi une sorte de traitement.

Ce que je te dis n’est pas traité mais quand tu vas réécouter ton enregistrement, ma voix aura été traitée à travers le fichier numérique. La pureté du son n’est pas un débat valable. L’auto-tune n’a pas bonne presse car c’était à la base un outil pour corriger quelqu’un qui chantait faux. Alors que je le vois comme un partenaire, comme quelqu’un chantait en harmonie avec moi. Comme un pote qui interviendrait pendant que je chante, ce qui est drôle ! Le son de voix humaines qui interagissent en harmonie, mais c’est magique ! Ça a ouvert plein de possibilités car quand tu es songwriter, tu es seul avec ta guitare et ton enregistreur. Mais avec lui, tu peux créer une symphonie.

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Tu veux dire que l’auto-tune a été source de régénérescence de ta musique ?
Oui vraiment, c’est génial toutes ses possibilités, d’autant que tout peut aller très vite car la technologie est suffisamment avancée et accessible, comme Ableton qui est assez simple pour quasiment créer en même temps que viennent tes idées. Autre élément important lors de ma découverte de cette petite boite, c’est de pouvoir l’utiliser sur scène. Il y a zéro différence entre le studio et le live. C’est vrai qu’au départ, l’auto-tune a été conçu pour le studio et que les ingénieurs ont dû le transformer en outil pour la scène et ça n’a pas été simple. C’était un truc imprévisible, qui l’est encore, ce qui peut être assez marrant.

Les fans de Lambchop n’ont pas tous aussi bien vécu ces changements !
Je ne regarde pas trop les réseaux sociaux, ça m’a juste été remonté par les amis. En réalité, je comprends ces réactions. Mais bon, je suis un artiste, je tente juste de créer du mieux possible.

Le titre des compilations parues en 2006, The Decline of the Country and Western Civilization , n’était donc pas en lien avec l’arrivée de l’auto-tune ?
[Rires] Non, l’auto-tune fait désormais partie de la musique country & western, aussi étrange que ça puisse paraitre. Beaucoup d’artistes y ont recours. Ça s’appelle toujours la country mais le genre a vraiment évolué, avec beaucoup de différences. Le dernier album de Taylor Swift est bourré d’auto-tune, même si je ne sais pas si elle appartient encore à ce style mais elle y a débuté. Il y a toujours eu cette envie de partir de la country, du hillbilly, et d’aller vers la pop. C’est ce qui s’est passé à Nashville avec la country-pop, qui revient à appliquer les techniques de production de la pop à la musique hillbilly. Au final, c’est aussi ce que je fais, je viens de la hillbilly ! En réalité, je connaissais l’auto-tune depuis la fin des années 80 car il était déjà utilisé pour corriger les voix des artistes country.

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C’est amusant car on parle de country mais votre dernier album ne l’est pas du tout !
[Rires] c’est vrai ! D’ailleurs aucun disque de Lambchop n’est country. Le seul qui le serait vraiment, c’est Kurt que j’ai sorti sous mon nom. Lambchop fait de la country conceptuelle : on en aime l’idée ainsi que tout ce qui vient de Nashville mais on fait notre propre truc.

Conceptuel, ça veut dire intello ?
Ça veut dire utiliser les concepts basiques de ce qu’est la musique country plutôt que la façon dont elle sonne, s’interroger sur la façon dont on la crée, les sujets qu’on aborde dans les chansons… Peut-être qu’une meilleure formule serait Nashville music mais les gens associent déjà la ville à la country alors bon… Quoique nous faisions, nous étions un groupe « actuel » de Nashville, ville qui n’était pas connue pour son rock à ce moment-là. On n’était que des gosses indie-rock faisant notre truc dans cette ville.

Peut-on échapper à la country en grandissant à Nashville ?
On a grandi avec, mais ado, j’ai écouté plein de soul, de R&B et de rock. Ce n’est que vers la trentaine que j’ai reconnu que j’avais grandi dans une période faste de la country. Mais je ne m’en étais pas rendu pas compte car j’étais un hippie qui s’intéressait à la musique des années 60 et 70.

C’est une musique pas mal associée aux républicains, aux rednecks…
Oui, il semble qu’ils continuent à vouloir l’adopter comme leur musique, c’est ainsi. Elle a toujours eu cette image et c’est sans doute pourquoi j’ai voulu me rebeller contre elle quand j’étais gosse. Ça continue, c’est dommage. Quand on essaie de lier la musique à la politique, ça ne marche jamais au final. Un peu comme quand tu donnes un concert à un vernissage. Personne n’y prête attention. Chacun boit, discute, regarde un tableau ou une photo, et tu as un artiste qui joue en fond sonore dont tout le monde se fiche. Tu pourrais penser que ces deux trucs vont s’entendre mais c’est pas le cas non plus.

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Ça ne devait pas être simple d’être punk à Nashville…
Ce n’était pas facile. C’était dangereux dans les années 60, 70, 80, de s’exprimer en dehors des points de vue conservateurs.

As-tu vécu ailleurs ?
Oui, je suis parti une dizaine d’années pour mes études d’art. J’ai vécu à Memphis, dans le Montana, à Chicago… J’ai connu de grandes villes, des coins paumés, ça été excitant de découvrir tout ça. Je suis revenu à Nashville presque par accident, c’est aussi la ville à laquelle Lambchop est attaché car tout a démarré là.

C’est ce qui explique la sensibilité soul qui a toujours été présente ?
Oui bien sûr, j’ai été sensible à l’ensemble de la soul du Sud, tout ce qui venait de la Motown, de la Philly Music, Stax, Muscle Shoals… Et aussi la musique gospel de Nashville. Tous les dimanches, tu pouvais écouter des live à Nashville et Memphis retransmis depuis des églises et c’était juste fantastique, enthousiasmant et soulful. À la fois simple mais tellement fort. D’ailleurs, pas mal de monde ignore l’influence du gospel dans la communauté musicale de Nashville.

Si tu devais retenir un album de Lambchop dont tu es particulièrement fier ?
C’est compliqué, on en a tellement. Indépendamment des évolutions avec le temps, Is A Woman est surement notre plus grande avancée créative. Tout le monde te citera aussi le précédent. Avec Nixon, il constitue une paire. Ensuite, le groupe a évolué vers un son plus ample, tout a changé. Nous avons eu la possibilité de devenir plus gros, plus petits… Ce n’est qu’avec Mr. M que les choses ont à nouveau changé. Certes, c’est avec Flotus qu’on a montré un changement mais il y avait déjà pas mal d’électronique dans le précédent.

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Que veux-tu dire quand tu dis que vous auriez pu être plus gros ?
On a eu beaucoup de succès « malgré nous ». On n’aurait pas pu aller plus loin, je suis déjà surpris de ce qu’on a fait. On voulait juste continuer à faire les disques qu’on voulait et que des gens aiment, ce qui est déjà pas mal. Notre philosophie n’a pas tant changé que ça depuis nos débuts. Que les gens aiment ou non, tant pis. L’idée est de rester assez indépendant sans pour autant viser d’être démesurément riches et célèbres.

Y a-t-il des jeunes dans ton entourage qui ont aimé ton chant auto-tuné ?
C’est intéressant car je n’ai pas d’enfants mais nous avons des neveux et nièces. Pour eux, je suis une personne âgée qui fait de la musique ! Ils écoutent d’autres styles de musiques mais trouvent intéressant ce que nous faisons. Ça m’arrive même à l’épicerie d’avoir des gosses que je ne connais pas qui viennent me parler et savent qui je suis. C’est cool.

Au fait, pourquoi avoir repris « This Corrosion » des Sisters of Mercy sur l’album bonus d’Is A Woman ?
Ça s’est fait par accident. On a joué ce morceau aux balances du festival All Tomorrow’s Parties en Angleterre. J’ai cassé une corde et Tony, le pianiste, a commencé à jouer mes notes, je me suis mis à chanter et ça a marché. On s’est dit qu’il y avait un truc à faire. J’étais fan des Sisters, il y avait un truc à la fois cool et sombre chez eux, j’aurais adoré les voir mais ils ne sont jamais venus à Nashville. Ils étaient aussi branchés électronique avec leur boite à rythmes.

Eh, tu pars fumer avant l’interview suivante. How I Quit Smoking, c’était donc bidon ?
Absolument. J’ai aimé l’idée d’exprimer l’envie d’arrêter comme pour me donner du courage. Mais non, je n’ai jamais arrêté de fumer.

Le nouvel album de Lambchop This (Is What I want To Tell You) est sorti le 22 mars sur City Slang.

Le groupe sera en concert à Paris le 23 avril à la Maroquinerie.

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