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À quoi ressemblera le Woodstock de demain ?

Hologrammes, cashless, cocktails moléculaires et big data... Clairement, « l'expérience festival » ne sera plus jamais la même.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
Image : Vincent Vallon 

Pouvoir claquer la moitié de son PEL en un week-end, voir et se faire voir, oublier son morne quotidien en se butant à tout ce qui nous tombe sous la main : les raisons pour lesquelles on se rend en festival en 2018 ont bien changé depuis les poussées de sève au patchouli de nos sales soixante-huitards de parents. Mais si, au hasard, Woodstock n’aura au fond été qu’un business model comme un autre (lequel est juste un peu parti en cacahuètes), on ne peut s’empêcher, comparativement, de noter qu’on baigne aujourd’hui dans une époque bien différente. Laquelle est juste, disons, un peu plus reaganienne que les autres. Depuis la crise du disque qui n’en finit plus (on ne parle même pas des chiffres de streaming qui n’ont jamais rapporté queue d’pelle aux artistes), l’industrie musicale, pour ne pas définitivement sombrer, met l’accent sur les tournées, concerts et festivals, lesquels n’ont jamais autant ressemblé à une grande foire spéculative jouant sur qui aura la plus grosse (tête d’affiche).

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Mais si c’est un phénomène désormais connu de tous, il semblerait que 2018 soit une sorte d’année 0 en la matière en France. Suite à l’implantation de deux plus gros promoteurs de festivals sur notre pays, AEG et Live Nation, lesquels se livrent une guéguerre touche pipi assez marrante à observer (en gros, le premier a lancé cet été le Paris Summer Jam, juste en face de Rock en Seine, dont le second est co-actionnaire), tout le monde ou presque s’est mis à flipper sévère. Des politiques aux promoteurs français, des artistes à la visibilité moindre aux organisateurs de manifestations « à taille humaine », tous se demandent si l’expérience festival ne s’apprête pas à devenir une grande foire à la saucisse sponsorisée à la marque de bière. Enfin, encore plus que maintenant. Et vu que tout ça semble de toute façon inéluctable, car comme le dit si bien Michael Shapiro, le patron de Live Nation, « il y a un accroissement structurel de la demande de concerts dans le monde », contentons-nous d’observer tout cela avec calme et philosophie. Et puis, rien ne nous empêche de vous livrer quelques petits pronostics clés en main.

Prévision n°1 : tout sera fait pour satisfaire. TOUT.

Personne ne fait même plus semblant aujourd'hui : les festivals ne sont plus là que pour amasser du pognon (un pognon de dingue, même). Comme on l’a dit, le live est la seule manne à pouvoir renflouer un minimum les caisses des artistes, avec les synchros et les placements de produit dans les clips. Il faudra donc être un peu plus malin que les autres. Ainsi, les promoteurs auront tout à gagner à se débarrasser une fois pour toutes des programmateurs (trop coûteux, et puis « on ne vous paie pas pour penser », tout ça), afin de se concentrer sur le big data, plus safe et segmentant. Ainsi, en s'appuyant sur vos goûts personnels pour vous offrir une expérience de festival toujours plus adaptée à VOS besoins et VOS envies, l’algorithme qui brainstorme sévère comme un grand se chargera d’éviter les gouffres financiers.

Par exemple, vous êtes breton et votre dernière visite sur le site Marmiton indique que vous êtes plutôt friand de la tome des Monts d’Arrée ? L’équation Plougastel + Miossec + yourte de 4 personnes qui sent la 8.6 et « divers liquides » (ce que signifie Miossec en vieux breton, comme nous vous l'indiquions ici) fera le reste. Pas besoin de déplacement ni de défraiement pour l’artiste : on le laisse mijoter depuis chez lui, guitare en bois et bière sans alcool au bec, pendant que l’affaire sera rondement menée et retransmise simultanément en mondovision et par hologramme dans toutes les yourtes des festivals. Des micro-festivals dans les festivals : vous n’y avez pas rêvé, les pipes à startup l’ont quand même fait. Dites-leur merci. Allez, si vous ne notez pas, vous allez perdre des points de vie.

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En parlant de présences spectrales, tous les artistes dont vous avez toujours rêvé (de préférence ceux qui sont morts, enterrés et obsolètes – on est en France quand même) seront désormais à portée de main. Gageons qu’en 2039, un supergroupe (toujours en hologramme) composé de XXXTentacion, Leonard Cohen et Jacques Higelin se produira sous vos yeux ébahis, avec un curieux medley de « Suzanne », « Look at Me » et « La Cigarette », sans tous les gros mots et les références au tabac et à l’adultère, un peu à la façon de Metallica avec Lady Gaga aux Grammys de 2017 – mais en réussi cette fois. Le truc marrant, c'est que les festivaliers auront l'occasion de composer leur playlist de morts préférés, en s’enfermant dans la yourte Quechua pour une expérience certes virtuelle mais sans pépin technique – et c’est tout ce qu’on demande lorsqu’on claque un Smic en 24 heures. D’un autre côté, vous pourrez suivre en direct sur Live Leak/vous repasser en boucle les fusillades de vos rappeurs préférés pour vous sentir quand même un peu vivant.

Prévision n°2 : vous êtes déjà une tireuse à bières, autant en profiter au maximum

Vous pourrez également déambuler à travers le festival comme bon vous semble, si bien que vous oublierez même à un certain moment que vous êtes dans un festival. Showcases, bars à chats, ateliers DJing avec Diplo, débats sur les bienfaits de la biométrie : l'impression de se retrouver dans la cantina de Star Wars et la cour des miracles (mais c'est pas pareil parce que c'est écolo) vous fera débourser à peu près n’importe quoi. Les fenêtres pop up (ainsi que les pop up stores) jailliront comme dans un vieux sketch de Dave Chapelle et vous obtempérez avant d’avoir le temps de dire « sans contact ».

D’ailleurs, le système révolutionnaire du cashless (selon, tenez-vous bien, gettoken.com) qui consiste à faire payer le festivalier sans avoir à sortir son portefeuille (mais qui permet surtout au festival de se remplir un peu plus les poches) sera désormais partout, mais surtout bien updaté comme il faut. Une puce électronique, à s’insérer directement au niveau du tympan ou de l’anus (c’est important, on vous laisse toujours le choix), se chargera de décider à votre place de vos désirs les plus fous, et fonctionnera par télépathie ou intraveineuse. N’oubliez pas de passer par le barnum « Transhumanisme & Grosse Carotte » si vous êtes perdus.

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Mais qui dit « argent » dit « dépenses », qui dit « dépenses » dit « dépenses inconsidérées », qui dit « dépenses inconsidérées » dit forcément « alcool et drogues ». Ça fera maintenant des années que ces dernières auront toutes été sinon légalisées, tout du moins acceptées, et détournées pour rester dans le cadre de la loi. De plus, se buter à la kétamine devant un parterre de mâchoires encapuchées sur du breakcore sera devenu ringard depuis belle lurette. Et comme tous les gosses seront accrocs à la ritaline et à Juliette Armanet, la paille des toilettes sèches sera imbibée de CBD et mise à disposition afin que vous puissiez la fumer. Tout ça, encore une fois, dans le cadre de la loi – sans défonce, ok, mais ce n'est pas le sujet.

Pour ce qui est de l'alcool, la bière aura disparu au profit d'une variété de cocktails moléculaires composés exclusivement d'un jus de bissap ignoble et du sang de jeunes vierges amérindiennes (c'est ça qui pétille le mieux en bouche), histoire de vous faire relativiser sur les coûts de productions faramineux qui auront dû être engendrés pour construire cette tour de Babel dans laquelle se produira le fantôme pixellisé de Pharrell Williams. De toute façon, une fois qu'aura lieu la Coupe du Monde au Qatar en 2022 et qu’on aura enfin franchi le Rubicon niveau atteintes aux droits de l’homme, tout passera. L'expérience festival pourra se conclure en beauté, quelque part entre Le Marchand de Venise et un film de David Cronenberg, puisque vous aurez alors l'occasion de fusionner avec une tireuse à bières. L'aspect négatif, c'est que tous vos points de vie vous seront retirés.

Prévision n°3 : vous n'aurez tout simplement plus le choix

Tous les petits festivals subventionnés vont mourir. TOUS. Avec la complicité tacite des mairies de région, des émissaires envoyés par Live Nation et déguisés en « forces de l’ordre » se chargeront d'infiltrer les irréductibles, invoqueront des normes de sécurité toujours plus intenables financièrement, puis tireront à vue sur les tout derniers récalcitrants, invoquant « une menace imminente ». À l'image du festival Microclimax, qui devait avoir lieu sur l'Ile de Groix les 5-6-7 juillets prochains, et que la municipalité a décidé d'annuler, car l'association Pull Friction n'était pas en mesure d'assurer le service minimum de gendarmes pour assurer la sécurité. Loin de nous l'idée d'établir un lien de cause à effet entre le premier et le second, mais notre petit fond complotiste ne nous empêche pas de penser que ce n'est que le début d'une longue agonie. Et puis la circulaire Collomb qui tourne en ce moment et qui projette d'augmenter toujours plus les coûts de sécurité des petits festivals a de quoi nous conforter dans l'idée. On nous la fait pas.

Et puis, lorsqu'on voit que par exemple, en Angleterre il y a deux ans, la mairie d'Islington a pu œuvrer en sous-main avec la police locale pour fermer le club historique Fabric, en invoquant toujours la même excuse des « ravages de la drogue » sur la jeunesse, on se dit que ce n’est pas si capillo-tracté que ça. Enfin, pas tant que ça. Si les festivals ne sont aujourd'hui plus qu’affaire de fonds spéculatifs (et surtout plus de musique), il y a fort à parier qu'on se retrouvera un jour avec Kendrick Lamar et Bruno Mars lancés dans une arène, et tels des gladiateurs-des-temps-modernes, se battront jusqu'à la mort tandis que Mathieu Pigasse et Dan Beckerman se lanceront des liasses de billets au visage, l'air possédé. À côté de ça, dans l'espace découverte, Jain et Thérapie Taxi joueront à la belote afin de déterminer qui aura la meilleure tranche horaire dans la playlist France Inter de Rebecca Manzoni.