Positive Education est désormais le véritable chaudron stéphanois
Toutes les photos sont de Lou Faure.
Music

Positive Education est désormais le véritable chaudron stéphanois

Année après année, le festival techno de Saint-Etienne apparaît comme un acteur essentiel de la vie culturelle de la ville. On s'est rendu sur place pour sa 5e édition.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

Ce début de soirée est du genre réfrigérant pour nos petits corps, mais pas complètement anormal pour un mois de novembre à Saint-Etienne non plus. Car si on se les gèle et qu'il n'y a personne dans les rues, il serait assez déraisonnable d'espérer autre chose compte tenu des normales saisonnières. Pour autant, si la tornade Positive Education ne s'est pas encore abattue sur nous (et qu'il est tout à fait normal d'avoir froid à ce stade de la compétition), ce frisson inopiné qui nous parcourt l'échine interroge. La raison n'est peut-être pas à aller chercher plus loin que ça : sans doute qu'on anticipe simplement par principe un déroulé mouvementé des évènements à venir, pour ce festival lors duquel « on met généralement au moins une semaine à se remettre », comme on me l'explique gentiment à peine arrivé sur les lieux. 

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Photo de Lou Faure. Saint-Etienne, 2021.

Zeitgeist techno

Car Positive Education n'est pas seulement le meilleur festival de techno (et affiliés) de France et d'ailleurs (l'évènement figure régulièrement dans le top éditorial d'hiver de Resident Advisor ou de Mix Mag), c'est aussi un parcours du combattant – mais quel festival techno digne de ce nom ne l'est pas après tout ? En arrivant dans l'enceinte de la Cité du Design qui accueille l'intégralité des lives et des sets cette année (pour une fois, tout est centralisé), l'assistance est certes plutôt clairsemée, mais il suffit d'observer un peu autour de soi pour voir que les uns et les autres se tapent les pieds par terre non seulement pour se réchauffer, mais pour se donner du cœur à l'ouvrage pour la suite. Un des premiers sets que l'on attrape au vol est celui de Bassbenderz, et déjà cette sensation d'intime familiarité et de curiosité aiguisée se dégage : avec sa bass music vrombissante et ses claps qui grincent comme une scie circulaire, on a les sentiment d'être à la fois en terrain connu et mû par des envies de palpitations nouvelles. C'est le propre de Positive Education depuis maintenant cinq éditions : on sait parfaitement pourquoi on est venu (une programmation alléchante, aux avant-postes de la musique de danse qu'on ne voit pas forcément chez le tout-venant concurrent, un public dans des dispositions d'esprit pas franchement m'as-tu-vu, des vigiles pas trop regardants, entre autres douceurs), mais ça n'empêche pas d'en vouloir toujours plus pour notre argent.  

« Il y a une période où on écoutait beaucoup d'EBM, de new wave, mais tout ça s'est un peu essoufflé. Le festival a besoin d'être tout le temps en recherche »

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Pourquoi ? Parce que la barre est globalement mise assez haut dans les domaines précités, mais également parce qu'on a l'impression qu'on va toujours y découvrir un truc – un ou une artiste, une approche différente, des tendances nouvelles, bref, une manière de capter le zeitgeist musical comme peu d'autres y parviennent. Ce qu'il y a de notable, c'est que l'accent a cette année plutôt été mis sur une programmation féminine, sans doute plus aventureuse qu'à l'accoutumée, du moins c'est ce qu'on se dit d'emblée quand on pense à la présence d'une artiste comme Shygirl, alliée du futuriste Sega Bodega et dont le rap acide et ravagé nous fait dire que cette musique n'aurait peut-être pas élu domicile chez un festival plutôt réputé pour ses frappes de techno industrielle par le passé. Ce n'est pas forcément l'avis des organisateurs Antoine et Charles, qui balaient assez vite l'idée d'une prétendue radicalité ou d'une versatilité nouvelles lorsqu'on leur adresse la parole : « Je n'ai pas l'impression qu'on ait changé beaucoup de choses dans notre mode de fonctionnement au fil du temps. La vraie différence notable, c'est que le festival a grossi, et qu'on s'est professionnalisés depuis seulement cette année. Avant, on était tous bénévoles. » Tout de même, on ne peut s'empêcher de noter que la programmation a pu varier d'une année à l'autre (même si ce n'est pas nécessairement visible à l'oeil nu du néophyte), ce qu'ils expliquent par un besoin de constant renouvellement : « Il y a une période où on écoutait beaucoup d'EBM, de new wave, mais tout ça s'est un peu essoufflé. Le festival a besoin d'être tout le temps en recherche. En 2019 on était dans quelque chose de plus downtempo, et là on arrive sur quelque chose qui en découle un peu, avec ce côté plus rituel, plus mental... »

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Photo de Lou Faure. Saint-Etienne, 2021.

Chopé au détour d'un set dans les loges, le duo est plutôt avenant, et même s'ils ont une petite dizaine d'années d'écart, se comprennent parfaitement. Tous les deux Djs, ils ont grandi à St-Etienne, même si Antoine a quitté la ville depuis 6 ans pour s'installer à Rennes. Bref, Il serait assez malvenu de les confondre avec des opportunistes parachutés depuis une quelconque SMAC ultra subventionnée ou de cachetonneurs venus s'encanailler dans le chaudron stéphanois pour se remplir les poches. C'est même tout le contraire : revenu d'années de Djing et de quatre coins de l'Europe pour Charles, ce dernier a atterri à Saint-Etienne dans la ville familiale, d'abord pour se reposer. Ca ne s'est pas trop passé comme prévu : après avoir organisé des soirées de 80 personnes, puis en recevant les aides d'un mystérieux bienfaiteur (« rencontré en after », forcément), ils ont commencé à passer d'une jauge de 500 à 1000 personnes, puis à pouvoir inviter des gens comme Jeff Mills ou Paula Temple, qui en était encore à ses balbutiements, sans se soucier de la réception que cela provoquerait. Et c'est précisément ce jusqu'au-boutisme artistique qui a fonctionné. C'est d'ailleurs ce que me dira plus tard E-Unity, qui vient lui aussi de Sainté, mais qui n'aurait jamais pensé pouvoir un jour voir une programmation comme celle-ci dans sa ville natale : « Quand j'ai vu ce qu'il y avait comme programmation, j'ai halluciné. Je me suis dit 'c'est mon Itunes en fait' ». 

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« Positive Education ramène un public qui ne va pas forcément dans les autres lieux de la ville, des salles comme le Clapier, ou Le Fil. Plutôt des gens qu'on pourrait trouver au Transbordeur ou au Sucre à Lyon »

Qu'est-ce qu'il s'est passé au juste pour que quelque chose prenne d'un coup, alors qu'a priori, les conditions n'étaient pas forcément réunies pour ? Selon Antoine, si étincelle il y a eu, c'est la réunion de plusieurs communautés qui l'a permise. « Il y a plusieurs cercles ici qui ont l'air opaque en apparence mais qui peuvent se parler. Entre l'école d'architecture, de design, et tout le milieu associatif stéphanois, ça fait une sorte de triangulaire. Sans faire gaffe on a mélangé 3 publics assez cool, et ça a fait une émulsion. » On pourrait s'attendre à une forme de scission, du fait de ce public disons « branché », et le reste de la population stéphanoise, d'autant que de l'avis même des deux organisateurs, « Positive Education ramène un public qui ne va pas forcément dans les autres lieux de la ville, des salles comme le Clapier, ou Le Fil. Plutôt des gens qu'on pourrait trouver au Transbordeur ou au Sucre à Lyon. »

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Photo de Lou Faure. Saint-Etienne, 2021.

Pour autant, il suffit de se balader un peu dans les espaces pour voir qu'on trouve des profils plutôt variés ; entre le branché bon teint et le normie pure forme, des gars hors-style en coupé Aigle et 2-3 meufs en béret – seul véritable dress code que j'observerai durant tout le festival, mis à part peut-être la proscription totale du port de chaussures en cuir. Selon Charles, qui a les chiffres de fréquentation du festival : « Il y a 20 à 30% de Stéphanois, beaucoup de Parisiens, de Lyonnais. Les gens viennent de France, des Pays Bas, de Suisse, d'Angleterre. C'est complet depuis un moment, les gens déterminés prennent leur billets en avance, ils connaissent la prog', mais ils vont se mélanger à un public beaucoup plus prolo, plus random, mais surtout hyper bienveillant. C'est un des trucs dont je suis le plus fier sur ce festival. »

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Car effectivement, sans vouloir adopter cette injonction contemporaine à se montrer gentil avec tout le monde, il n'y a sans doute pas de meilleur mot que « bienveillance » pour décrire la constitution d'ensemble du truc. Cela s'explique sans doute par un dispositif de sécurité assez permissif, où certains videurs s'assureront surtout qu'il n'y a pas d'homophobie, pas de comportements agressifs, et qui vont vers les gens un peu fébriles plutôt que chercher à les fliquer. Ce qu'il en résulte selon Charles, c'est que « les gens prennent modèle sur ça, et prennent soin des autres. »

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Photo de Lou Faure. Saint-Etienne, 2021.

Une histoire de prolos

En discutant avec Antoine et Charles et en regardant un peu autour de moi, je me rappelle soudain ce que m'avait dit le producteur Regis lorsque je l'avais interviewé dans ce même festival il y a quatre ans : « C'est une ville de prolos ici, c'est donc ici qu'il faut jouer cette musique ! » Cette musique en l'occurrence, ce n'est pas juste de la techno, mais celle qui est arrimée au contexte dans lequel elle est créée. Dans le cas de Regis, c'est celle des Midlands, région sinistrée que l'Anglais aura retranscrite pendant des décennies au sein de ses propres productions ou de son label Downwards, à travers des sonorités dures, âpres, résonnant en cela avec cadre social ravagé par le chômage de masse, la désindustrialisation et les délocalisations. Le parallèle avec Saint-Etienne, ville en voie accélérée de post-industrialisation et d'érosion démographique certaine, n'est donc pas fortuit. Et nous pose donc en creux cette question : de quelle manière une ville et son environnement direct déteignent-ils sur la musique qui y est produite ? Je ne peux pas m'empêcher de penser que Charles avait ces réflexions en tête en montant un festival qui a vu passer Regis, Ancient Methods, bref, la crème de la crème de la techno industrielle : « On y pense, mais pas forcément de manière consciente. Il y a beaucoup d'influences ici en tout cas, une grosse scène dub, punk, hip-hop, et la musique qu'on a aussi des racines là-dedans, même si on ne se retrouve plus forcément dans ce calque-là ». Antoine abonde : « Après ça reste une ville industrielle, ouvrière, qui va chercher dans le ghetto. C'est un modèle de ville à l'américaine, où le centre-ville est hyper populaire, et ça nous a forgés sans le vouloir. » 

« Aujourd'hui, les industriels du territoire restent très impliqués dans l'accompagnement des initiatives culturelles, et c'est vrai que ce lien est maintenu aujourd'hui par tout ce développement autour du design »

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Il n'empêche, il serait naïf de penser que le festival ne participe pas au rayonnement extérieur voulu par les politiques culturelles entreprises par la ville ces dernières années, lesquelles s'inscrivent dans une logique de transition numérique au sens large. C'est d'ailleurs ce que reconnaît Marc Chassaubéné, adjoint au maire en charge de la culture, mais également de Saint Etienne Métropole, lorsqu'on s'entretient avec lui par téléphone : « On est très attentif concernant Positive Education, on touche à une question d'attractivité territoriale, qui est évidemment importante pour nous. Mais on n'avait pas forcément placé ce critère-là au départ en les accompagnant. Nous défendons avant tout une ligne de l'émergence, de la création, de celle d'une valeur ajoutée culturelle stéphanoise. Dans ce domaine numérique au sens large, via les musiques electro et la création numérique, le point commun, c'est qu'il y a toujours un propos. » Exemple de cette mue entreprise depuis quelques années maintenant : en même temps que Positive Education se tient dans la ville le festival partenaire d'arts numériques Pléiades, qui en est à sa toute fraiche seconde édition, et qui explore des pratiques multiples, allant de la musique assistée par ordinateur à l'installation audiovisuelle holographique en passant par du mapping vidéo ou des œuvres sonores et interactives, le tout se déroulant aux quatre coins de la ville. 

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Photo de Lou Faure. Saint-Etienne, 2021.

Outre Positive Education (ou dans une autre mesure la Fête du Livre), la Biennale internationale du Design est un des autres grands rendez-vous qui attirent les non-Stéphanois. Et qui permettent de marier la culture et le numérique avec des questions de réaménagement urbain, sans le dire frontalement comme ça. Toujours selon Chassaubéné : « Cette manière-là de joindre l'innovation technologique et la culture a toujours existé sur ce territoire. Ce sont les industriels stéphanois qui ont créé l'école des Beaux-Arts à Saint-Etienne au début du 19e siècle. On est capable d'intervenir dans le beau comme dans l'efficace. Aujourd'hui, les industriels du territoire restent très impliqués dans l'accompagnement des initiatives culturelles, et c'est vrai que ce lien est maintenu aujourd'hui par tout ce développement autour du design. » Jusqu'à faire de Saint-Etienne, via ses diverses transformations urbaines, un satellite à part entière de la métropole lyonnaise ? La rivalité historique avec Lyon n'aurait alors plus lieu d'être, et adieu les banderoles des stades du parent bourgeois, dans lesquels on pouvait lire des slogans d'un goût douteux comme « Les Gones inventaient le cinéma quand vos pères crevaient dans les mines »…

Des évènements comme la Biennale du Design symbolisent ce changement de paradigme politique et urbain. Régulièrement, l'institution est accusée par certains milieux militants de faire la promotion d'un marketing territorial qui ne dirait pas son nom, dans des optiques politiques de gentrification et de lissage de l'espace public, alors même que Saint-Etienne est l'une des rares villes françaises de plus de 100 000 habitants où l'on peut encore se loger pour 1000 euros du m2. Mais les prix augmentent depuis plusieurs années, car, comme le disent les experts immobiliers en la matière, « les efforts urbanistiques et les requalifications de certains quartiers de Saint-Etienne semblent payer ». La faute à la tertiairisation de l'activité productive, mais également à la rénovation de certains bâtiments et friches, comme par exemple... l’ancienne manufacture d'armes devenue la Cité du design en 2009. 

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Du côté des Stéphanois, beaucoup semblent conscients de la dimension politique de l'emprise du design aujourd'hui dans leur ville. Fred est membre du CIP42, la section locale du collectif des intermittents et précaires, et fait un peu le pont entre Positive Education, pour lequel il est ingé son, et la vie associative. Animant des ateliers avec des enfants et des conférences sur les musiques électroniques (en plus de la billetterie du Méliès, cinéma de quartier encore « dans son jus »), il a également activement participé à l'occupation de lieux culturels l'année dernière comme la salle de concert le Fil dans le cadre de la réforme contre l'assurance chômage - « un espace de militance, et de rencontre qui a fait énormément de bien à tout le monde en sortant du Covid ». Selon lui, il y a deux types de lieu à Saint-Etienne, la Cité du design, et le Musée de la mine : « La cité du Design est de plus en plus rénovée, alors que le Musée de la mine, ça a gardé son jus. Tu rentres dans les salles, ça sent encore la graisse des machines. Nous, on est plus sur le fonctionnel que sur le beau. Le beau, on l'a pas autour de nous. La ville est encore vilaine : en plein-centre, tu trouves encore plein de lieux et de magasins fermés. » 

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Photo de Lou Faure. Saint-Etienne, 2021.

Toujours underground en esprit

Fred ne rentre pas pour autant dans un pessimisme ou une conflictualité automatique. Il a simplement conscience des intérêts divergents entre les différents acteurs culturels de la ville : « Moi j'ai grandi dans des soirées dans des friches. Ici, l'underground est très très fort, l'associatif aussi. Et il y a des lieux qui ont été récupérés par des assos qui sont devenus des squats autogérés. Les pouvoirs publics laissent faire, mais préfèrent tout de même mettre de l'argent dans les lieux qui feront plus rayonner la ville. » Si Positive Education rentre bien sûr dans cette dernière catégorie, il serait pour autant aller vite en affaire que de ne le considérer que comme une vitrine pour attirer les investisseurs urbains et/ou le chaland lyonnais. Même si « de plus en plus de Lyonnais arrivent à Saint-Etienne, presque en s'excusant parfois », reconnaît Fred. Reprenant le fil de Positive Education, il poursuit : « Pour moi le festival est toujours underground, ne serait-ce qu'en esprit. Les premières éditions remontent à peu, on était dans des caves. Je me souviens d'Esplendor Geometrico jouant au Musée de la mine, les gamins avaient les yeux qui brillaient. Pour moi c'est toujours underground. Ok il y a des sponsors, mais on est passé d'un extrême à l'autre en termes de moyens. Pour moi il est parfait ce festival : cette année, les questions LGBT étaient au centre des débats, ainsi que le questionnement de la présence des filles. Et ils le font en toute sincérité. On est une ville militante, on prend. » 

« Nous, on est pratiquement tous issus de la 2e ou 3e génération, qui sommes venus ici pour bosser dans des usines. On a tous dans nos familles des gens qui ont bossé à l'usine, ou à la mine »

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Il n'empêche, les lieux alternatifs disparaissent de plus en plus à Saint-Etienne, que ce soit Ursa Minor, un lieu autogéré où avaient lieu « des fêtes incroyables » selon Antoine, ou dernièrement le squat Chez Elia. Mais selon Chassaubéné, le discours selon lequel les gros se serviraient des petits dans l'enveloppe des subventions allouées à la culture ne tiendrait pas : « C'est souvent un discours un peu facile quand on n'a pas porté un projet assez solide pour trouver des partenaires, ou qu'on n'a pas bien défendu devant la Mairie. Or on subventionne beaucoup, et des initiatives très variées. L'échelle des subventions va de la plus petite structure à 2 personnes à laquelle on va donner 500 euros, au plus gros festival auquel on va donner 200 000. Saint-Etienne est une ville qui a toujours fonctionné, et c'est sa force, par des réseaux d'émergence qui sont informels. On suit énormément et on subventionne énormément ces réseaux. Il ne faut pas oublier qu'on est le territoire qui finance le plus à ce degré-là de structures émergentes.» D'ailleurs, il faut souligner que Positive Education est loin des 200 000 euros du plafond de subventions mentionnés par l'adjoint au Maire. Sur les 2000 euros de départ, lorsque l'association était encore au stade embryonnaire, le festival est désormais passé à 70 000 euros sur l'édition passée. Il serait compliqué de parler alors de hold-up culturel.

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Photo de Lou Faure. Saint-Etienne, 2021.

En tout cas, Chassaubéné et Fred sont d'accord sur un point : s'il y a quelque chose qui unit le Stéphanois et qui ne risquera pas de changer de sitôt, c'est son sens de l'accueil pour le premier, et sa manière de ne pas trop la ramener pour le second. Fred embraie : « Nous, on est pratiquement tous issus de la 2e ou 3e génération, qui sommes venus ici pour bosser dans des usines. On a tous dans nos familles des gens qui ont bossé à l'usine, ou à la mine. A une époque, l'idée du ''prolétaire", c'était quelque chose d'hyper important, une manière de s'identifier socialement. Tu le vois dans le foot, ce qui est véhiculé, c'est la simplicité et le travail. Il faut mouiller le maillot quoi. On veut pas de la star, ça c'est des trucs de bourgeois. On le voit tout de suite. Même un mec comme Laurent Garnier, le fait qu'il soit venu à Positive Education cette année [pour présenter son film Off The Record, NLDR], c'est très important. Parce que c'est un mec authentique. »

Ce besoin d'authenticité est assez palpable dans l'air lorsqu'on retourne au festival. Tard dans la nuit (ou tôt le matin) du samedi, on passe au côté after de Positive Education, qui est sans doute l'un des points forts du festival. Les trois scènes se fondent alors en une, permettant à tout un chacun de se retrouver devant le set de Simo Cell et de E-Unity, qui balancent des tracks breakées mais pas trop à te faire rester jusqu'à midi. A bien les y observer, on se dit qu'ils se fondent parfaitement dans le décor. Simo Cell, qui signait une tribune dans Libération en juin de l'année dernière, enjoignait les artistes, promoteurs et les publics à imaginer un nouveau fonctionnement de tournées et de programmations, portées sur des dynamiques locales et posant la question de la mobilité et de l'empreinte écologique des DJs. A ce titre, il faut signaler la dernière sortie de son label, où il a invité son frère, Less-O, sur son propre label, puis s'est réinstallé à Nantes, sa ville d'origine. Comme pour montrer que tout ça reste une affaire de famille et de plaisir, à un moment où lui-même a sérieusement reconsidéré son travail, et tentait de retrouver du sens à son métier. 

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Photo de Lou Faure. Saint-Etienne, 2021.

Des problématiques locales, Positive Education en est imbibé. Il n'y a qu'à voir encore une fois cette année la place donnée à la scène stéphanoise, représentée par des artistes comme A Strange Wedding, Bassbenderz, Brahim Lumiere, Farkoner, Jacques Satre, Jesza, Krauzer, E Unity, Super 180, VLB, Orokaïva... Certains de ces artistes figurent d'ailleurs sur le roster de Worst Records, le label local monté par Antoine et Charles, qui évoluent également sous le nom de DJs de Fils de Jacob. On se demande comment ils font pour jongler avec tant d'activités sans devenir fous, à mesure que le festival prend de l'ampleur et qu'ils occupent une place de plus en plus importante au sein de l'écosystème culturel stéphanois – ce n'est pas eux qui le disent, c'est l'adjoint au Maire directement : « On a vraiment l'envie et le désir et même l'ambition de faire de Positive Education un évènement qui reste majeur. C'est déjà le cas dans le monde de l'electro, ce qu'on voudrait aujourd'hui, c'est que le grand public identifie à quel point Positive Education est exemplaire à bien des égards. »

Sans verser dans le calcul marchand, une des réponses à cette question semble être la qualité de la programmation et du travail que le festival défend. Antoine et Charles ont d'ailleurs une anecdote sur une de leurs dernière sorties, Androne, qui résume bien le sujet : « Sur notre page Bandcamp on a reçu une sorte de lettre d'amour hyper perchée, qui disait en gros : on est des êtres de la 5e dimension, ceci est un présent pour rentrer en communion avec votre dimension, et voici mon morceau. Ca aurait pu être ridicule, sauf que le morceau en question était chanmé. Donc on a foncé. » A la question « qu'est-ce qui fait courir un festival comme Positive Education ? », au-delà de la revalorisation du territoire, de l'attractivité culturelle ou même globalement du « cool », on en oublierait presque par moments la donnée fondamentale qu'est la musique. 

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