En ce moment, à l’heure où la question de l’utilité de la culture est posée à tort et à travers, la musique se retrouve encore une fois le bec dans l’eau. Alors que l’interdiction de sortir après 21h avait déjà constitué un coup de bambou pour un secteur qui commençait tout juste à se refaire la cerise, l’arrêt des concerts et des festivals a stoppé net les projections de chacun pour l’année prochaine – même si certains se rattrapent sur les captations sans public. Et les prévisions pour 2021 ne sont pas au beaux fixe : de nombreuses études indiquent que les lives en bonne et due forme ne pourront pas reprendre avant au moins 2022 – en attendant les résultats d’un hypothétique vaccin miracle de chez Pfizer.
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En France, en tout cas pour l’instant, un décret prolongerait bientôt l’interdiction des concerts debout jusqu’en mars 2021. Et en Belgique, le milieu de la nuit est tout simplement à l’arrêt depuis le mois de mars. Comme le disait Vincent Carry le directeur du festival lyonnais Nuits Sonores dans Trax en avril dernier, « la distanciation sociale est l’antithèse exacte de ce que nous défendons, soit rassembler les gens pour partager de la musique, des idées, du débat, des contradictions. » Fatalement, la question de la fonction de la musique s’est (re)posée récemment chez pas mal d’acteurs du milieu. De « spectacle mort » selon la formule de Laurent Garnier à dernière roue du carrosse de la culture (selon à peu près tout le monde), beaucoup en sont venus à se demander si la musique devait continuer à être considérée comme un vulgaire produit de seconde nécessité. De la nuit vectrice d’émancipation à la musique qui donne envie de soulever le reste du monde, de lieu des dérèglements en tous genres jusqu’à réceptacle des contre-cultures en série, c’est comme si on avait oublié un temps que la musique populaire était justement l’une des disciplines le plus le cul entre les deux chaises de l’art et du divertissement pur et dur.De prime abord, on serait tenté de dire que la musique n’est pas un instrument matériel comme un autre, que c’est de l’art, que l’art c’est vital et qu’il échappe à un utilitarisme bourgeois. Du coup, on peut se poser cette question : à quoi sert effectivement la musique, quand ce n’est pas pour la grandeur de l’âme ou l’émancipation des corps ? Passage en revue de ces rares cas de figure où la musique n’est rien d’autre qu’un simple utilitaire. Avec cette question en sus : quand un habillage sonore vient illustrer une pub pour la nouvelle Citroën Xantia de tonton René, est-ce que c’est encore de la musique ? Évidemment, c’est souvent plus compliqué que ça.
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La musique pour se mettre à table (ou se démonter la gueule)
La musique pour faire ses devoirs (ou prendre sa douche)
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La musique pour décimer des populations entières
La musique pour tuer des gens (pour de faux)
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Le truc, c’est que pour tous les Yellow Magic Orchestra du monde, correspondait la période où les synthétiseurs de type Yamaha ou Roland commençaient à être mis sur le marché. Pas un hasard si un album de Yellow Magic Orchestra s’appelle BMO (pour background music), et pas un hasard non plus si le Japon, terre de toute l’artillerie électronique musicale de l’époque, a enfanté les plus grands chef-d’œuvre en la matière de bande-son de jeux vidéo pendant les années 80. On vous le disait, on vous le redit, la B.O de Streets of Rage 2 est sans doute ce qui s’est fait de mieux en la matière depuis toutes ces années.Je ne sais pas qui compose la musique des vidéos de cuisine, mais il semblerait que ses auteurs - des lamantins ou des algorithmes - aient pris la formule suivante de Stravinsky au premier degré : « Je considère la musique, par son essence, impuissante à exprimer quoi que ce soit : un sentiment, une attitude, un état psychologique, un phénomène de nature, etc. L'expression n'a jamais été la propriété immanente de la musique. » S’ils suivent une logique interne (du ukulélé pour envoyer des sous en Afrique, des boucles disco génériques pour préparer une moussaka maison, etc…), les différents habillages sonores des tutos, que ça soit pour préparer la bouffe, mater des cours de développement personnel ou faire du yoga, sonnent toujours exactement de la même manière.Encore une fois, on se pose la question : qui se cache derrière tout ça ? Des intelligences artificielles ou simplement des musiciens fauchés qui cherchent à boucler leur fin de mois à moindre frais ? Si la question reste en suspens, on se replongera ci-dessous dans cette vidéo vintage de Joël Robuchon qui nous présente la recette de la fameuse Vichyssoise, en se disant que la musique qui l’accompagne est suffisamment ringarde pour devenir cool un jour, et être revisitée par des branleurs de l’avant-garde qui ne manqueront pas de la faire passer pour de la nouvelle vaporwave, ou une bêtise du genre.Marc-Aurèle Baly est à peine sur Twitter.VICE France est sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.
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La musique pour faire la cuisine et suivre des cours de développement personnel
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