Electric Electric : la décharge fantastique

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Electric Electric : la décharge fantastique

Fer de lance de la scène française post-math-kraut-noise, le trio strasbourgeois sème une fois de plus chaos et désolation avec son troisième album, très intelligemment baptisé « III ».

Branché sur le secteur depuis 2005 et issu du milieu (post) punk strasbourgeois, Electric Electric a connu une ascension assez fulgurante et conquis une notoriété excédant de loin le pays des cigognes. Cela s'est fait grâce à deux (excellents) premiers albums – Sad City Handclappers (2008) et Discipline (2012) – et à d'innombrables concerts donnés à travers la France et le reste du Monde Libre. Dans le cinglant sillage de glorieux (et furieux) aînés tels que Sister Iodine, Bästard, Ulan Bator ou Hint, Electric Electric propulse un rock mutant, au son énorme mais au format hors normes, tout en martèlements hypnotiques et déferlements magnétiques. De l'électricité pas du tout statique. Au contraire : vibrante et grondante.

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Faire du tatatapoum qui crache et qui flashe, c'est à la portée de beaucoup de groupes. Faire du tatatapoum à la fois rageur et racé, sauvage et sophistiqué, c'est une autre paire de manches. Passé maître dans cet art délicat, le trio – toujours composé des mêmes membres : Eric Bentz (guitare, voix, percussions), Vincent Robert (clavier, voix, électronique) et Vincent Redel (batterie) – s'affirme plus que jamais comme l'un des fers de lance de la foisonnante scène française post-math-kraut-noise avec son grandiose troisième album (très intelligemment baptisé III), paru en septembre dernier chez Murailles Music et Kythibong.

Démarrant avec L'Obs7, incroyable dérive de 10 minutes à l'étrangeté superlative, et se clôturant sur 17°00, brûlot dévastateur qui carbonise tout sur son passage, ce nouvel album s'éloigne du terrain exploré sur les deux précédents pour s'aventurer dans des zones inédites et terriblement mouvantes, laissant davantage de place à l'électronique et au chant. Riche de huit morceaux magistraux, l'ensemble, aussi prospectif qu'implosif, électrise l'auditeur plutôt deux fois qu'une et ne lui laisse pas d'autre choix que d'appuyer sur la touche Repeat. Encore et encore.

Eric Bentz et Vincent Robert (désormais basé à Nantes) nous en disent plus sur la confection de III , l'évolution du groupe et la continuation de La Colonie de Vacances, projet quadriphonique – et ultra sonique – impulsé avec Marvin, Papier Tigre et Pneu.

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Noisey : Quatre ans séparent Discipline de ce nouvel album. Que s'est-il passé dans la vie du groupe durant ce laps de temps assez long ?
Eric : 2 ans et demi de tournée qui se terminent en Russie, un ciné concert sur le Punishment Park de Peter Watkins, des discussions avec le réalisateur qui ne veut finalement plus que son film soit utilisé, un nouveau ciné-concert sur Où est la maison de mon ami ? d'Abbas Kiarostami, quelques dates avec ce projet, des résidences et concerts avec la Colonie de Vacances, un déménagement, l'arrivée d'un enfant, penser une direction pour le groupe,  écrire de nouvelles musiques, enregistrer l'album. Ces quatre années sont passées comme un claquement de doigt.

III s'inscrit dans la continuité des deux précédents par sa puissance mais il marque aussi une évolution vers une musique plus contrastée, plus atmosphérique, avec une présence accrue de la voix et de l'électronique. Comment cette évolution s'est-elle opérée ?
Eric : Ça se fait toujours un peu dans la douleur. Lorsque je me suis mis à travailler sur de nouveaux morceaux, j'ai vite réalisé que je n'avais aucune envie de jouer le même genre de musique. A ce moment-là, j'adorais passer des heures à jouer des choses très ambient, hyper étirées, à écrire des chansons avec un vieux synthé, à chanter. Tout ceci a posé les jalons du nouvel album. Dans un deuxième temps, la question du timbre s'est posée. Un son de guitare « classique » n'était plus possible dans la conception de notre évolution. Le mélange guitare rock et électronique constitue purement et simplement un suicide à mes oreilles. Au-delà de l'utilisation du sampler pour ma guitare, je détournais de plus en plus l'instrument vers un son plus abstrait.  En parallèle, je voyais également Vincent évoluer dans sa pratique. Nous allions faire des chansons simples avec un son louche, trouble. C'est dans un dernier temps que j'ai investi le rythme car nous avions deux morceaux qui jouaient sur l'énergie :  il a fallu faire le lien entre un univers « qui traine les pieds » et un univers « prêt à retourner les stades ».  Au final on obtient un album qu'un ami a défini comme « passif-agressif ». Pour y arriver, il a fallu passer par cette phase de déconstruction.

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Combien de temps la conception de l'album a-t-elle pris ? Quand et où l'avez-vous enregistré ? Quel est votre mode opératoire au niveau du processus créatif ?
Eric : Il s'est écoulé quasiment deux ans entre la conception de l'album et la réalisation. Le processus créatif pour moi se situe dans un équilibre entre idées d'écriture et idées de production. L'un ne va pas sans l'autre.

Vincent : Cet album a été enregistré et mixé « à la maison », comme le premier album. Pour détailler un peu le mode opératoire, j'ai mixé le disque chez moi à Nantes, échangeant beaucoup à distance avec Eric surtout, ce qui nous permettait de prendre un peu de recul dans cette période de mixage finalement très courte (quelques semaines), prise de plus entre des tournées de la Colo ! J'avais besoin de changer de paradigme par rapport aux deux albums précédents : sortir d'un mixage uniquement digital, retrouver le geste musical d'un mixage analogique, cette manière intuitive de façonner la matière sonore. Ce choix de travailler sur une console induit d'accepter les limites qui vont avec (n'avoir que quelques traitements à disposition) et de faire des choix radicaux. Certaines pistes sont laissées totalement brutes, d'autres sont traitées de manière extrême… Pour autant, il s'agissait aussi pour moi d'éviter le travers de l'exercice de style old school que j'entends un peu partout depuis quelques années et que je ne peux m'empêcher de voir comme une attitude réac'. A l'heure de l'achèvement du catalogage universel, il me semble vital de chercher l'hybride, le trouble.

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Il y a un titre qui émoigne particulièrement de votre évolution, c'est « Les Bêtes », un morceau chanté en français. Comment est né ce morceau ? Comment s'est passée la collaboration avec Philippe Poirier (ex-Kat Onoma) ? Et est-ce une voie dans laquelle vous avez envie de vous engager davantage à l'avenir ?
Eric : Nous avions l'instrumental et je ne voulais pas qu'il reste le seul morceau non chanté du disque. J'imaginais un chant à la Suicide ou Elvis, un truc sensuel, qui évoque les origines du rock. A travers la force poétique de ses textes, Philippe se révélait être le chanteur parfait. Il a un peu flippé lorsque je lui ai proposé mais a vite été excité. Nous avons affiné la forme ensemble, Philippe l'a enregistré dans son atelier à deux pas de chez moi, ça a été très simple. C'est toujours un plaisir de travailler avec lui, c'est quelqu'un de très inspirant.

Vincent : L'idée de base fait partie des démos que j'ai amenées pour l'album (en complément des premiers morceaux proposés par Eric quelques mois avant), avec l'envie de pousser cette direction de flux répétitif, qui me paraissait importante à garder par rapport à l'histoire du groupe. C'est le type même du morceau monté en studio : j'ai enregistré mes boucles de synthés, à la session suivante Eric avait ses idées de guitares, puis on s'est retrouvé tous les deux autour de la batterie à essayer des choses… Les textures électroniques filantes ont été enregistrées après la voix, en fonction d'elle.

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Que pensez-vous du rock (en) français ? Quels sont les chanteurs/groupes qui comptent à vos yeux/oreilles ?
Eric : Je n'ai pas vraiment d'intérêt pour le rock actuel. Rares sont les groupes qui me procurent vraiment un truc. Les derniers concerts rock au sens large qui m'ont scotché sont ceux de La Race et de Teledetente666. J'ai bien aimé le nouvel album de Theoreme et aussi, hors de France, celui des Brainbombs. Sinon, j'ai plutôt subi la mode garage… Il y a bien quelques bons groupes mais tout cela me parait être un marqueur du conservatisme dans lequel on étouffe. Toutes les semaines on nous vendait un nouveau groupe encore plus dangereux. Ça me fait doucement rire. Je me tiens à distance du cirque indé. Je n'ai pas exactement suivi l'émergence du français dans le rock. La Souterraine semble faire un super travail, j'ai beaucoup aimé certains morceaux d'Arlt par exemple – mais ce n'est pas du rock.  Pour moi le rock en français actuel, ou en tout cas l'idée que je m'en fais, se résume à un gars : Noir Boy George.

Un morceau de l'album s'intitule « Klimov », en référence au cinéaste russe auteur du fameux Requiem Pour Un MassacreEn quoi ce cinéaste et ce film vous inspirent-ils ? De manière générale, le cinéma est-il une source importante d'inspiration pour vous ?Eric : Ce film est un vrai choc, un de ces films qui te restent en tête et te hantent. Au-delà d'Elem Klimov, c'est un clin d'oeil au cinéma russe. On parle beaucoup de Tarkovski, que nous aimons tous les deux beaucoup, mais moins de Klimov. Son cinéma est plus brut et violent. Il y aurait un parallèle à faire entre L'enfance d'Ivan de Tarkovski et Requiem pour un massacre de Klimov. Les deux films ont la même trame mais Tarkovski a une approche poétique tandis que Klimov prend le parti d'un hyper réalisme. Son nom claque comme le titre d'un morceau de techno glaciale. D'une manière générale, le cinéma est très présent dans ma vie, par phases. Certains réalisateurs du nouvel Hollywood me fascine. Je suis passionné par les analyses autour de certains films. Les entretiens de Serge Daney me sont très chers et j'adore me casser la tête sur les écrits de Deleuze consacrés au cinéma. Son concept d'image-mouvement / d'image-temps est génial. Ensuite, savoir si le cinéma influence mon travail n'est pas évident mais j'ai l'impression que certaines images me saisissent et viennent faire émerger le désir d'une forme, d'une énergie.

Le groupe existe depuis 12 ans. Quel regard portez-vous sur votre évolution – et sur l'évolution en parallèle de la scène française ?
Eric : C'est incroyable que le groupe existe depuis si longtemps. Nous aurions pu changer de nom tellement une mutation a eu lieu. Je dirais que la musique d'il y a 12 ans se projetait vers le concert : l'idée était d'interpeller les gens avec du bruit. Aujourd'hui nous tentons de faire de la musique à écouter aussi chez soi. Ce ne sont plus les même choses qui me nourrissent. Utiliser un rythme minimal et martial en 2005 alors qu'on propose une espèce de free musique peut surprendre l'auditeur. Aujourd'hui on ne peut plus utiliser ce genre de gimmick. Notre musique est plus grave aussi, elle était emprunte d'un certain humour à nos débuts. Aujourd'hui elle est plus sérieuse, prend corps dans une violence sociale. C'est assez paradoxal car j'étais travailleur social au début du groupe et par conséquent au premier plan de cette violence. Aujourd'hui je suis loin de ce terrain : je ne fréquente plus le milieu associatif, je vais à quelques manifs mais je suis plutôt à pester derrière mon ordi…

Sur l'évolution de la scène, je dirais que les médias se sont développés, se sont plus intéressés aux projets français. Un magazine comme NewNoise permet à des groupes français underground de faire la couverture – symboliquement, c'est fort. Progressivement des salles du circuit officiel, des gros festivals se sont intéressés à nous. Les gens aux commandes de ces structures ont à peu près nos âges et écoutaient en gros les mêmes choses que nous.

Qu'est-ce qui vous donne l'impulsion de continuer ?
Eric : Je ferai toujours de la musique, même dans sa forme la plus primitive, je ne sais pas vivre sans elle. Néanmoins, son organisation « professionnelle » me fatigue : j'ai régulièrement envie d'arrêter cette course où je finis souvent à bout de souffle. Mes expériences dans le monde du travail m'ayant dégoûté à jamais, je me dit tout de même que j'ai beaucoup de chance de faire ce que je fais.  Au fond je crois que c'est cela qui me donne l'impulsion de continuer : un mélange d'amour de la musique et de frustration de n'avoir pas encore atteint la forme parfaite.

Et La Colonie De Vacances dans tout ça ?
Eric : Elle prépare des nouvelles choses pour 2017-2018. Ça va être fou.