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Music

Noir Boy George n'a strictement rien contre Indochine

On a bu un godet avec le chanteur messin en discutant de Roller Derby, du Nouveau Détective, de Psychic TV et même de Proudhon et de Grand Corps Malade.

Si vous avez passé ces dernières années à guetter nerveusement du côté de la ligne Maginot, vous avez forcément dû croiser le chemin de Noir Boy George par le biais de ses innombrables projets annexes, tous ralliés sous la bannière flamboyante de la Grande Triple Alliance Internationale de L’Est (The Dreams, AH KRAKEN, Crash Normal, Scorpion Violente ou encore le Chômage pour ne citer qu’eux). En revanche, si vous regardiez ailleurs pendant tout ce temps, alors vous êtes probablement tombés nez à nez avec sa tronche patibulaire sur la pochette du dernier album de Jessica 93. Et vous n’étiez pas prêts. Pas prêts à laisser entrer dans l’intimité de votre discothèque un mec qui chante les séances de shoot sous les ponts lorrains, les bébés congelés et les tournantes dans les bois. C’est compréhensible. Ce qui l’est un peu moins par contre, c’est de voir que les 40 % d’antenne alloués à la chanson francophone sur nos ondes ne sont pas entièrement squattés par les chansons du héraut messin. Perso, je pourrais écouter « Enfonce-toi dans la ville » tout le temps, et c’est d’ailleurs à peu près tout ce que j’ai fait en 2014. De passage pour une des soirées de la Souterraine en septembre dernier, on en profité pour boire un coup avec Nafi, l’homme derrière le blase, le surnom derrière la légende, le cœur qui bat derrière le synthé.

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Noisey : Pour commencer, une question conne à laquelle je n'ai trouvé aucune réponse sur Google : pourquoi Noir Boy George ?
Noir Boy George : Je voulais un truc un peu bête. Au début, ça s'appelait Black Boy George parce que je trouvais que ça sonnait bien avec les allitérations. Mais comme je chantais en français, je me suis dit que c'était bien de faire une « anti-allitération ». Ça s'appelle comment déjà ?

Une assonance…
Ah ouais voilà, je vois que t'as eu ton bac L, c'est d'ailleurs pour ça que t'es journaliste. Bref, un truc un peu dur à prononcer, quoi. Du coup, j'ai transformé ça en Noir Boy George. Après, je m'en bats les couilles de Boy George.

La dernière fois qu'on t'a vu jouer, c'était au Chinois à Montreuil, pour un concert qui tranchait pas mal avec le reste des groupes programmés…
Exact, c'était à l'époque où je tournais avec Jessica 93. Des potes à lui qui étaient plus dans un délire hardcore l'avaient invité pour venir avec son autre groupe, les Missfist. Il en avait profité pour m'incruster avec Noir Boy George, je me souviens surtout m'être retrouvé backstage avec des batteurs. Des mecs sympas mais bon, ça parlait blast-beat et techniques pour frapper le plus vite possible. Moi j'étais là, à ne pas savoir quoi dire…

Comment ça, tu fais pas de blast-beat avec ton synthé ?
Je pourrais, c'est super facile, il suffit de le programmer.

Mais pour que tu te retrouves à jouer dans ce genre de soirée, c'est que les gens ont du mal à te caser dans une catégorie précise…
Oui c'est vrai. Je peux me retrouver dans un squat pour une soirée punk comme dans une soirée ambiance « chanson française ». Je bois de la 8.6 sur scène et je chante en français, alors dans tous les cas, on va dire que je me fonds dans le décor. Mais bon, si je devais me définir, j'aurais tendance à parler de « chanson française avec des synthés ». J'ai envie que les gens pensent à Brassens autant qu'à Indochine.

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Indochine, carrément ?
Ouais, j'ai rien contre Indochine moi. « Trois nuits par semaine » et « Troisième sexe » sont des bons morceaux. D'ailleurs, je leur ai piqués quelques paroles. Et aux Bérus aussi, à Gainsbourg et à Véronique Sanson… Ah, et puis à Balavoine. Une phrase par ci, une phrase par là, c'est facile. Et puis de toute façon, ils ne viendront pas me faire chier.

Et pour les titres des chansons, tu pioches un peu dans les unes du Nouveau Détective aussi, non ?
Non, pas forcément le Nouveau Détective, mais c'est vrai que les gros titres ont parfois une influence subliminale sur moi. Du genre « ….Et il avait violé sa femme pendant que son père la regardait » ou « La drogue était cachée dans les carambars ! ». Tous ces trucs que je vois sur les panneaux des vendeurs de journaux et que je vais recracher dans mes chansons, gentiment. Perso, je ne trouve pas ça glauque, c'est une manière d'exorciser, sans vouloir donner dans la psychologie à deux balles bien sûr. Je trouve ça plutôt sain de parler de bébés congelés ou de se shooter sous les ponts de Metz… Parce que ce genre de paroles, c'est avant tout pour rigoler, il ne faut surtout pas se prendre au sérieux.

Justement, je me demandais si les paroles de tes chansons t'avaient déjà valu des emmerdes pendant les concerts.
Ça m'est arrivé, avec des meufs qui faisaient du Roller Derby, à fond dans le trip féministe. Ça m'a valu de bonnes discussions en fin de soirée à base de « Pourquoi tu utilises le mot ‘pédé’ ? Tu peux pas dire homosexuel ? »… Mais bon, ça n’est jamais parti en couilles. De toute façon, je ne suis pas ultraviolent derrière mon synthé, les gens captent vite qu’il n’y a pas de méchanceté derrière. J’suis pas un skin venu ici pour tout niquer. Mais les discussions récurrentes les plus casse-couilles sont du genre « Gnagnagna tu vois, moi aussi je fais de la musique, je comprends pas comment tu arrives à chanter en français. Parce que moi tu vois, je me cache derrière la langue anglaise… C'est trop fort d'assumer, t'es trop courageux… ». Putain, je peux te réciter le discours du mec au mot près, il manque juste les violons qui chialent en fond sonore… En plus, je me planque quand même derrière dix couches de delay sur la voix, c'est pas comme si je chantais a capella en claquant des doigts…

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Dommage, je te voyais assez bien en nouveau Grand Corps Malade pourtant…
Attends, on joue pas dans la même catégorie lui et moi. Je suis un petit joueur comparé à ce mec, il met ses couilles sur la table. Il est bon en tout et en plus il est handicapé, alors t'as envie de le prendre dans tes bras mais tu peux pas parce qu'il est trop grand… Moi je suis un amateur face à lui. Ou face à Yannick Noah d’ailleurs, qui a quand même réussi à devenir le personnage préféré des français alors qu'il défonce le FN.

Et toi tu défends quoi comme cause alors ?
Le SIDA des chats ? Non je ne sais pas, je ne paye pas encore assez d'impôts pour m'investir dans une cause et bénéficier de la réduction qui va avec.

En fait, je te demande ça parce que j'ai lu une chronique de ton EP qui te présentait un peu comme le nouveau Proudhon. Genre Renaud avec un synthé venu défendre les petits et régler des comptes avec les puissants…
Ok, mais alors le Renaud qui joue dans Germinal alors… Et puis bon, je suis plus Seul Contre Tous que Zola. Mais pourquoi pas, après tout les gens interprètent ma musique comme ils veulent. Je trouve ça intéressant de pouvoir générer une pensée politique sans forcément parler de Che Guevara ou de la légalisation du cannabis. Un peu comme « Les Mots bleus » de Christophe, tu vois ?

Je ne vois pas non…
Eh bien en réalité cette chanson fait l'apologie de l'autogestion, l'autogestion de l'amour.

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En parlant d'autogestion, tu peux nous raconter un peu comment vous en êtes venus à créer la Grande Triple Alliance Internationale de l'Est avec tes camarades ?
Au départ, c'était une bande de potes : Seb et Guillaume de Feeling Of Love et moi. On faisait principalement des fanzines et on organisait des concerts alimentés par des groupes électrogènes. À l'arrache, quoi. Et puis on a rencontré des mecs de Strasbourg avec qui on a sympathisé. En se cuitant la gueule ensemble, l'idée nous est venue de créer une société sectaire secrète…

Un peu comme Psychic TV en fait.
Ouais, bon, on a carrément pompé Psychic TV. C'est Seb Normal qui a trouvé le nom, on a crée le logo en reprenant la croix papale. En fait ce qu'on voulait c'est un visuel à la con qu'on pouvait reprendre sur chaque sortie et que les copains pouvaient piquer aussi. De toute façon, c'était déjà un truc pompé, alors autant que tout le monde se serve. Bref, c'est surtout le délire sectaire qui nous faisait marrer, mais depuis c'est presque devenu une marque de fabrique. J'ai même vu qu'on nous avait consacré une page Wikipédia !

Vous avez monté pas mal de groupes ensemble, lesquels sont encore en activité ?
Scorpion Violente, avec qui on fait des concerts de temps en temps, à notre rythme. Le Chômage, aussi, avec Seb Normal et deux copains de Strasbourg. Là, on part en tournée en décembre. Sinon ça fait une paire d'années qu'on essaie de monter un groupe de black metal avec Seb Joly, le claviériste de The Feeling Of Love. Comme un vrai bon groupe de metal, on a le meilleur nom du monde, le logo et la typo. Mais on n’a toujours pas les morceaux.

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Ahah, et il s'appelle comment ce groupe ?
SPECTRAAL, avec deux « A » mon pote. Pas besoin de faire des disques, on va juste vendre des T-shirts je pense.

En fait, tu arrives à t’en sortir dans la musique en vendant du merch, c'est ça ?
Tu parles ! Il me restait des EP’s chez moi mais je les ai oubliés. Non, je suis au RSA et puis je répare et fabrique du matériel de musique à côté. Des synthés, des boites à rythme et des pédales d'effets. Je fais ça depuis deux ans chez moi, j'ai un petit atelier.

D'ailleurs, tu ne devais pas sortir un LP de Noir Boy George en septembre ?
Ouais c'est toujours d'actualité. Ça va s'appeler Gloire à Satan et ce seront les mêmes morceaux que Metz noire mais avec quelques nouveautés. Faut juste que je m'occupe la pochette en fait, ça arrive. Cette fois, fini les conneries piquées sur MySpace. Ça sera une « vraie photo » prise par un « vrai photographe professionnel » de mariage.

Et sinon, ta pire expérience de concert, tous groupes confondus ?
Avec un de mes premiers groupes, The Anals. On devait jouer dans un rade à Lille avec The Feeling Of Love, à l'époque où c'était encore un one man band. Arrivés sur place, aucune affiche pour annoncer le concert et on ne connaissait personne. Du coup, on griffonne un truc vite-fait qu'on va photocopier dans une échoppe du coin. On les colle dans le quartier, en espérant que quelques personnes la verront et se ramèneront. 20h sonnent, personne dans le bar. 21h, pas mieux, on abandonne l'idée de faire payer le concert en espérant que l'entrée gratos attirera au moins un pékin, histoire qu'on puisse commencer le concert à 22h. Echec total, on annule tout. On va voir le patron du bar, histoire de boire un coup et surtout de savoir où dormir. Le mec se contente de nous indiquer un Formule 1 et une épicerie pour acheter de la bibine, super… Nous voilà au fond du trou, dans une piaule minable avec notre pauvre Label 5 lorsqu’on tombe sur un docu consacré à Bob Dylan qui passe à la télé. Pile sur les images d'un stade rempli d'une foule en délire et la voix off qui annonce « Bob Dylan n'avait alors que 21 ans et il remplissait déjà des stades de 22 000 personnes ». Putain, et nous on avait 25 balais, zéro public et on était dans un putain de Formule 1 avec notre whisky infect à se dire que tout était déjà foutu. Bref, ça a été le début d'une longue réflexion sur le fait de jouer de la gratte sèche et de chanter de la chanson française pour réussir.

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Justement, entre les soirées « Chanson Française Dégénérée » et les compilations de La Souterraine, on sent un regain d'intérêt pour la chanson française. Ça change beaucoup de choses pour un projet comme Noir Boy George ?
C'est marrant que tu me parles de ça, un mec me disait il y a peu qu' « une fois de plus, j'étais sur le bon filon », que j'avais senti qu'il y avait ce « renouveau de la chanson française » avant tout le monde. Perso, j'avais pas vraiment capté que le secteur « chanson française » était en expansion. De manière générale, c’est vrai qu’il y a un intérêt plus grand pour les groupes français, mais pas spécifiquement pour les groupes francophones. Il y a 15/20 ans, si tu n'étais pas Sloy ou L'Enfance Rouge – le genre de groupes qui faisaient la première partie de Sonic Youth ou autre – personne n'en avait rien à branler de ton groupe… En dehors des fanzines, personne ne parlait de ce qui se passait en France. Maintenant, les groupes tournent, les concerts se développent. La scène française a de meilleurs réseaux, les gens se connaissent. Et puis on a des groupes comme The Feeling Of Love ou Cheveu qui ont commencé par marcher aux USA, du coup le public français s'est mis à s'intéresser à eux. C'est débile, mais ça marche aussi comme ça.

Et toi, qu'est ce que tu écoutes le plus alors?
Suicide. Les Stooges…. En gros, ce sont les deux groupes que j'écoute le plus depuis 15 ans. Alan Vega en solo, aussi. Les trucs tout simples. En fait, je suis un peu un vieux con, 80 % des disques que je possède sont sortis entre 78 et 85. Sans vouloir faire le réactionnaire et dire que c'était la meilleure époque pour la musique, je me rends compte que c'est cette période que je préfère, celle à laquelle je reviens toujours… Avant l'arrivée du MIDI, si on veut parler un peu technologie, où il ne suffisait pas d'appuyer sur un bouton pour que tout se mette en branle mais de régler les machines entre elles pour que tout fonctionne. C'était souvent le bordel d'ailleurs, quand tu regardes des concerts de Cluster par exemple. Je vais m'arrêter là, j’ai un peu l'impression de parler de bagnoles en fait.

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Pour finir, si tu pouvais te battre avec un musicien, lequel tu choisirais ?
Me battre avec un mec ? Attends…

Phil Collins ?
Non, sûrement pas Phil Collins… Putain, y'a personne qui me vient, c'est nul. Tu diras dans ton interview que c'était une réponse spontannée et que je n'ai pas réfléchi un quart d'heure…

Morrissey ?
Non, pas Morrissey…

Allez… un effort quoi !
Non mais je crois que je ne suis qu'amour et que je ne déteste personne en fait. J'ai plus envie qu'on forme une grande famille de musiciens et que je puisse me retrouver un jour chez Les Enfoirés. Comme ça je pourrai me faire payer pour avoir les dents plus blanches. Je pourrai leur sourire et leur dire : « j'adore ce que tu fais » en les regardant droit dans les yeux.

François Vesin et Sébastien Chavigner préparent leur prochain spectacle. Ils le rôdent en ce moment même sur Twitter @lepediluve / @TexasSerenade