Sport

L'histoire du champion d'échecs français qui a voulu tricher

Sébastien Feller, champion français des échecs, avait toujours un coup d'avance. Normal, il trichait à l'aide de deux complices.
Champion échecs

2010, à Khanty-Mansiïsk. Le mois de septembre touche à sa fin. D’habitude calmes, les rues de la commune russe grouillent d’étrangers. Le monde des échecs s’est donné rendez-vous dans ce petit coin de Sibérie. Après trois coupes du monde, Khanty-Mansiïsk accueille les Olympiades, une des compétitions majeures de la discipline, qui rassemble près de 1 400 participants.

À 19 ans, Sébastien Feller est en équipe de France. Son entraîneur Arnaud Hauchard l’accompagne. La compétition commence. Partie après partie, ses yeux sombres affichent la même concentration. Il réalise une performance hors-norme. Après tout, le jeune homme avait prévenu : aux Olympiades, il y allait « avoir du sang ».

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Sébastien Feller est à l’époque considéré comme l’un des grands espoirs du monde des échecs. Mais en Sibérie, il ne doit pas sa victoire à son talent. Il triche avec l’aide de son entraîneur qui lui indique les meilleurs coups à jouer. Les deux hommes l’ignorent encore, mais c’est la dernière fois qu’ils pourront utiliser ce stratagème. Le 27 septembre, comme le racontait Libération en 2011, Joanna Pomian, la vice-présidente de la Fédération française des échecs (FFE), a découvert un message étrange envoyé depuis son téléphone pro : « Continue de filer les coups dès que tu peux ! ». Ce SMS l'intrigue. Elle fouille son appareil et découvre des centaines de messages à destination de la Russie, tous ou presque synchronisés avec le moment où Sébastien Feller se trouve derrière un échiquier, chacun indiquant de manière codé les coups joués par le jeune champion.

« La triche, inconcevable, risque de briser l’extraordinaire image d’Epinal du jeu d’échecs »

La vice-présidente fait vite le lien : elle prête parfois son téléphone à Cyril Marzolo, un maître international d’échecs, grade démontrant à lui-seul sa maîtrise du beau jeu. Joanna Pomian soupçonne une triche et contacte Jean-Claude Moingt, alors président de la FFE, en déplacement Khanty-Mansiïsk avec l’équipe nationale. Il remarque Arnaud Hauchard, l'entraîneur, deux téléphones entre les mains, qui alterne les allers-retours suspects dans la salle. Mais il ne peut rien prouver. Le jeune prodige continue de jouer. Il réalise une performance rare, gagne la médaille d’or et empoche 5 000 euros.

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Les choses se remettent vite dans l’ordre une fois tout le monde de retour en France. Le président comprend que les trois hommes sont de mèche. Cyril Marzolo regarde les parties à distance et informe Arnaud Hauchard des coups à jouer. L'entraîneur se déplace dans la salle. Il marque parfois de courtes pauses. En s’arrêtant à des endroits précis, derrière telle ou telle table par exemple, il indique à son poulain les prochains coups à jouer.

Jean-Pierre Mercier, journaliste à Libération en charge, à l’époque, de l’actualité échiquéenne, décrit en menu détail l’état de sidération dans lequel baigne la Fédération française des échecs. « La triche, inconcevable, risque de briser l’extraordinaire image d’Epinal du jeu d’échecs, écrit-t-il. Jean-Claude Moingt, quadragénaire jovial, aux commandes de la FFE depuis 2005, en pleurera »

Ce n’est en effet pas simplement l’image de la fédération mais celle du sport tout entier qui est écornée. Il faut faire un choix, vite, pour tuer le problème dans l’œuf et contrôler les conséquences. La FFE convoque Arnaud Hauchard et Sébastien Feller qui, rapporte encore une fois Libération, « ne s’écroulent pas et tentent de négocier », menaçant même « de mettre la fédération à feu et à sang si l’affaire devient publique ». Des menaces qui ne payent pas : le 19 janvier 2011, le scandale est révélé.

Mais les preuves manquent et aucune décision n’a été prise. Arnaud Hauchard fait une première erreur : il avertit Maxime Vachier-Lagrave, numéro 1 français qu’il entraîne, qu’un scandale plane sur les échecs français, en minimisant au passage son implication. La conversation a lieu via MSN. Maxime Vachier-Lagrave sait que ce scandale pourrait menacer sa carrière prometteuse. Si son entraîneur a triché avec un membre de l’équipe de France, pourquoi pas avec lui ? Il limoge son entraîneur et fournit à la fédération une copie de la conversation qui servira de preuve pour une première commission disciplinaire interne à la FFE.

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A l’issu d’un appel, Cyril Marzolo et Sébastien Feller sont suspendus pour cinq ans. Arnaud Hauchard, lui, écope de 3 ans et d’une interdiction à vie d'entraîner. Rien n’est pourtant réglé. La procédure est entachée d’erreurs. Hachard et Feller font appel auprès de la cour de Versailles qui suspend la décision. Le jeune prodige retourne au combat. Tandis que la Fédération française des échecs saisit son homologue internationale, la FIDE, Feller s’aligne au championnat d’Europe. Il ne perd pas un match, finit premier du tournoi et se qualifie pour les championnats du monde. Un journaliste du Figaro écrit à l’époque sur son blog : « Aujourd'hui, l'éclatant résultat de Feller est la plus belle des répliques à ces accusations de tricherie ».

Interrogés par L'Équipe en début de mois, les avocats avancent l’hypothèse d’un complot. Ils contestent l'authenticité des SMS retrouvés sur le téléphone

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Car voilà, Marzolo a balancé. Durant l’été, il a accepté de tout raconter à la fédération contre une remise de peine. L’accord rédigé sous l'égide du CNOSF, le Comité national olympique et sportif français, accepte de réduire sa peine à 9 mois de suspension ferme et 9 mois avec sursis (contre cinq ans ferme) en échange de ses confessions. Ironie du sort : en septembre 2011, Feller et Marzolo participent même à une compétition ensemble, le marathon de Saverne (Bas-Rhin), ou les compétiteurs jouent 32 parties en moins de 24 heures, sans que le premier sache que le second a parlé. Un an plus tard, le 31 juillet 2012, la FIDE condamne Hauchard et Feller à trois ans et deux ans et neufs mois.

Que reste-t-il huit ans après les faits ? Une histoire qui n’en finit plus pour la Fédération française des échecs et une procédure judiciaire qui est enfin terminé. Début février, l’affaire a été présentée devant la justice. Les trois hommes étaient accusés « d’escroquerie ». Aucun d’entre eux n’était présent à l’audience.

Interrogés par L'Équipe en début de mois, les avocats avancent l’hypothèse d’un complot. Ils contestent l'authenticité des SMS retrouvés sur le téléphone et remettent en cause le témoignage de Cyril Marzolo qui aurait subi « des pressions ». Le 27 mai, avec la publication du délibéré, les trois hommes seront fixés sur leur sort. Sébastien Feller risque jusqu’à 9 mois de prison avec sursis. Après tout, il avait prévenu : aux Olympiades, il y allait « avoir du sang ».

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