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Il faut venger Mutilated !

Ils se sont défoncés pour la scène death-metal française des années 80 et ont disparu sans sortir le moindre disque.

Mutilator en concert à Genève en 1987, avec Alex d'Agressor à la basse. Durant la deuxième moitié des années 80, le speed metal a évolué pour devenir le thrash metal, puis le death metal. Ce phénomène s'est déroulé au niveau mondial, à une époque où internet n'existait pas, grâce à une pratique cruciale : le tape trading. Les groupes faisaient circuler des démos, que les fans recopiaient. En principe, la finalité d'une cassette démo est de déclencher de l'intérêt et décrocher un deal discographique, mais pour la plupart des groupes de ce mouvement, la réalisation d'une démo était un aboutissement en soi. Le thrasher motivé devait passer plus de temps à faire la queue dans son bureau de poste qu'à tourner en cercle dans un mosh pit. Dans la mesure où le phénomène était international, ces pionniers pouvaient venir tout aussi bien des Etats-Unis ou d'Angleterre que d'Amérique du Sud ou de Scandinavie La France n'a évidemment pas été en reste avec des groupes tels qu'Agressor à Antibes, Loudblast à Lille, Death Power à Avignon, Nomed au Havre ou Massacra en région parisienne. Sans vouloir déflorer un futur « Tour de France » consacrée au chef-lieu de l'Ain, Bourg-en-Bresse a joué un rôle déterminant sur la carte du death. La cité burgienne a en effet vu naître Mutilated, formé en 1986 sous le nom de Mutilator, formation death aux fortes influences thrash. Dès leur première démo, ils furent classés au top niveau de ce qui pouvait circuler au sein de la communauté des tape traders, rangés aux côtés de Morbid Angel (dont le premier album n'avait pas encore été pressé) ou de Death, dont la démo portait d'ailleurs le nom fort inspirant de « Mutilation ». Mais même s'ils ont eu la chance de ne pas souffrir de la comparaison avec les futurs grands noms de l'époque, Mutilated ne sont jamais passés au stade supérieur, menant une existence chaotique au gré d'une activité en dents de scie. Pas de formation stable, pas d'enregistrement d'album, pas de tournée – tout au plus une dizaine de concerts. Au final, ne sont restés que quelques cassettes que les collectionneurs ont pu s'arracher farouchement, et un statut d'authentique groupe culte. Connaître ou ignorer Mutilated est un détail qui fait la différence au sein des amateurs de thrash/death.

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Michel, frontman de Mutilated, posant pour la posterité avec une des rééditions Triumph Ov Dead. Photo - Raymond Ov Dead. Depuis 2012, le label Triumph Ov Death a commencé à rééditer en vinyle les enregistrements des thrashers bressans : le 45 tours fantôme de 1993, un double LP regorgeant d'inédits, et les deux démos existantes. Histoire d'en savoir un peu plus et d'avoir la réponse à quelques questions restées en suspens depuis 20 ans, je suis allé interviewer Michel, le frontman de Mutilated et Raymond de Triumph Ov Death, deux gars qui signaient leur courrier de la formule « thrash till death » dès les années 80, et qui n'ont jamais trahi leur serment. Noisey : Pratiquiez-vous intensément le tape trading à la fin des années 80 ?
Michel : Bien sûr, mais peut-être pas aussi intensément que certains. Tu te souviens avoir fait des échanges de démo avec des groupes qui sont devenus connus par la suite ?
Michel : Oh oui, j'ai correspondu et échangé avec des gens comme Euronymous de Mayhem, Chris d'Autopsy, Shane Embury de Napalm Death, Trey Azagthoth et Richard Brunelle de Morbid Angel, Nihilist, qui sont ensuite devenus Entombed, etc. Raymond, toi aussi, tu as connu l'émergence de la scène speed metal/thrash/death en France ?
Raymond : J'en ai été le spectateur à la fin des années 80 et très rapidement, au début des années 90, j'ai monté un fanzine nommé Schizophrenia avec un pote. Nous étions possédés par cette musique. Lire le peu que nous donnait à lire la presse française ne nous suffisait plus, alors nous nous sommes tournés vers le fanzinat. Qui dit fanzinat dit aussi tape trading donc voilà comment j'ai découvert tout un pan de la culture underground, que je voyais avant depuis la surface… Il y a quelques années j'ai d'ailleurs tenté d'écrire un ouvrage sur la scène death thrash française de 1984 à 1993. Mais étant seul, je me suis vite découragé face à l'inertie d'un paquet de monde qui ne donnait rien de ce qu'il promettait…

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N°3 du fanzine Schizophrenia. Source : France Metal Museum

Tu n'as pas fait de bouquin mais tu as fait un label.
Raymond : Ce n'est pas un label. Je n'ai pas la prétention d'être un label. Dans le meilleur des gars je parle de Triumph Ov Death comme d'un « micro-label ». C'est simplement le travail d'un passionné qui est tout sauf soumis aux tracas d'un « vrai » label : la promo, monter des tournées, avoir des échéances de sortie. J'ai monté Triumph Ov Death pour réaliser un rêve de toujours : sortir des enregistrements de groupes que je vénère. Je ne vis pas de ça et ne cherche absolument pas à en vivre. C'est toi qui as branché Mutilated pour cette série de rééditions ?
Raymond : J'ai rencontré Michel en décembre 2010 et je lui ai fait part de mes intentions de donner à Mutilated une sépulture décente, pour mettre un terme au règne des bootlegs qui circulaient sur son dos. Il a été quelque peu méfiant au début, ce que je comprends et puis ça n'était pas non plus facile pour lui d'avoir un énième péquin qui débarque en lui disant que son ancien groupe tuait. Quand tu as continué à bosser et que tu as de nouveaux projets de groupes, c'est un peu frustrant d'avoir des gens qui te parlent continuellement de ton ancien groupe, mort il y a vingt ans. Au final, il a réalisé que ça me tenait vraiment à coeur et que j'étais un possédé qui ne lâche pas le mollet, ah ah ! Du coup, après quelque mois d'échanges, j'ai mis en place tout ce qu'il fallait pour exhumer vieux enregistrements et photos d'archives. Un travail d'archéologue.

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Michel, en tant que frontman de Mutilated, est-ce que tu te souviens des débuts du groupe ?
Michel : Nous ne sommes pas partis dans l'idée de « monter un groupe », ça s'est fait comme ça, spontanément, « t'as une batterie, j'ai une guitare, viens, on essaie de jouer en même temps au même endroit ». Voilà l'idée, en gros. On adorait faire des reprises de morceaux qu'on adorait. On a fait des centaines de covers, c'est comme ça qu'on a apprit à jouer à peu près de nos instruments.

Vous repreniez quoi comme morceaux ?
Michel : À peu près tous les titres de Slayer de « Show No Mercy » à « Hell Awaits », les deux premiers albums de Kreator, des titres de Celtic Frost, de Morbid Angel, de Pentagram… On a sûrement dû faire l'intégrale de Seven Churches de Possessed, quelques titres de Trouble, Immolation, Incubus de Floride, dont nous étions des fans absolus de leur cultissime démo 3 titres, Destruction période Infernal Overkill, Sodom, etc. Et parfois juste des bouts de morceaux, parce qu'on était trop nuls pour en jouer certains en entier, ah ah !

A-t-il été facile de trouver un studio et un ingé son à même de comprendre vos intentions musicales ?
Michel : Oui, parce que les seules questions qu'on se posait vraiment à l'époque, c'était « dans quel studio pas trop cher pourrait-on aller enregistrer pas trop loin ? ». ll faut replacer les choses dans leur contexte : nous étions des gosses, et n'avions pas de moyens financiers, pas de plan de carrière. On s'en foutait. On voulait enregistrer nos nouveaux titres, dont nous étions très fiers ! Et si tu nous avais à ce moment-là demandé quel type de production il nous fallait pour exprimer toute la quintessence de la noirceur abyssale de l'esprit de la musique que faisait Mutilated, je pense qu'on n'aurait pas su ce qu'il fallait répondre ! L'ingé son non plus, remarque.
Michel : Ah ah. Le death metal comme genre musical n'était alors absolument pas répandu, et aucun ingé son n'avait la moindre idée de la façon dont il fallait le faire sonner. Rends-toi compte, on était en pleine genèse du truc !

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Combien de sessions d'enregistrement avez-vous fait au total ?

Michel :

On a fait une démo sous le nom Mutilator, chez Alex d'Agressor, enregistrée avec un pauvre magnétophone 4 pistes. Mais c'était l'Amérique à l'époque ! Puis on a fait la première démo de Mutilated,

Psychodeath Lunatics

, puis

Resurrected

, et enfin

Tormented Creation

qui devait sortir à l'origine sous la forme d'un 45 tours, mais qui n'a pas pu voir le jour à l'époque.

Il fut un temps où vous avez été accompagnés par Alex d'Agressor, non ?

Michel :

Ah ah, ouh là, oui, une bonne demie-heure ! Le temps d'un concert, en fait. Alex nous avait dépanné comme bassiste pour notre tout premier live, mais on n'avait jamais répété ensemble. Je lui avais appris les riffs au téléphone ! Ce concert fait partie des vrais bons souvenirs, d'ailleurs.

Puisqu'on parle de groupes en -or, Pourquoi aviez-vous changé de nom, de Mutilator à Mutilated ?

Michel :

Il y avait déjà un groupe brésilien qui s'appelait comme ça, et qui avait sorti des albums, alors que nous n'en étions qu'au stade de la cassette démo. Et puis il y a eu une vague de groupes avec des noms comportant cette terminaison en -or et on a finit par trouver ça lourd, donc on a modifié le nom pour ne pas être comme eux … Parce que nous avions 17 ans, parce que personne n'avait le droit de nous ressembler, et parce que nous pensions que nous étions uniques … Comme tout le monde, quoi !

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Donc le 45 tours « Tormented Creation » n'est pas sorti à l'époque, mais… 25 ans après…
Michel : Oui, grâce à l'acharnement obsessionnel et quasi-pathologique de Raymond de Triumph Ov Death ! Ce type est un vrai pitbull. Une fois qu'il a mordu à une idée, comme il le dit, il ne lâche plus ! Un vrai passionné comme on n'en fait plus. Quelles avaient été les réactions en 2012 après la sortie du double LP avec vos titres inédits et bien sûr la réédition de votre première démo en EP vinyle ?
Michel : Les mêmes réactions qu'en 1988, avec pour ceux qui connaissaient déjà, l'enthousiasme de la nostalgie en plus ! Globalement, nous n'avons eu que de très bons retours. Et je voudrais également souligner que le travail énorme effectué par Triumph Ov Death Records a eu un impact sur la qualité très soignée de ces sorties, tant au niveau du support qu'à celui du contenu lui-même. Et la cerise sur le gâteau a été la participation de Christophe Moyen, illustrateur dont l'oeuvre immense ne se présente plus, qui nous a fait l'honneur d'ajouter sa griffe à ce projet. Un très beau travail collectif, qui à mon sens illustre parfaitement l'esprit de challenge et d'entraide qui pouvait régner dans l'underground death metal des 80's. Pourquoi les rééditions ne sont-elles faites qu'au format vinyle ?
Raymond : Rassure-toi, ce n'est pas la hype qui dicte mes choix, mais mon amour du support. Ça va vite faire 30 ans que j'achète du vinyle et quand on me dit « metal », je pense vinyle et pas autre chose. Quand on aime le vinyle, on ne rêve que d'une chose : sortir SES vinyles. Je ne ferme pas du tout la porte à des sorties CD, mais pour le moment ce n'est pas la priorité. Penses-tu que les fans de metal en général, et les thrashers en particulier, sont des fans plus fétichistes et collectionneurs que la moyenne, et qu'ils n'hésitent pas à payer le prix quand il s'agit de faire l'acquisition d'une nouvelle pièce ? Disons par exemple d'un EP de Mutilated composé de titres déjà largement disponibles sur le web ?
Raymond : Les VRAIS hardos crachent sur ce qui est disponible sur le web car ils ont gardé le réflexe de possession de l'objet. Ce qui est dispo sur le web leur sert uniquement à juger de la qualité ou pas d'une sortie, via le streaming ou les vidéos en ligne. Si c'est bon, ils l'achètent. Et puis, il existe encore cette mentalité de l'entraide : « ta sortie est bonne alors je t'encourage à poursuivre en contribuant financièrement ». C'est ça l'idée. J'ai même plusieurs personnes qui me prennent le disque sans même avoir de quoi l'écouter. Je trouve ça génial car ça en dit long sur le degré d'implication. Si tu dis à ces gens « ben grave toi les MP3 de la démo que tu trouveras sur tel blog russe », ils vont te fusiller du regard. Ce n'est pas du tout leur mentalité. Je comprends tout ça, car je suis exactement comme ça. J'ai aussi quelques personnes qui prennent deux copies, au cas où l'une rende l'âme. Tu réalises le degré de fanatisme ? J'adore ça.

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Au final, pensez-tu avoir souffert d'une sorte d'isolement en étant originaire des environs de Bourg-en-Bresse ?
Michel : Tu es déjà passé par cette ville, n'est-ce pas ? Sérieusement, non. Nous aurions sûrement dû subir les mêmes contraintes en étant originaires d'une autre ville, d'une autre région… Je pense que la plupart des groupes de l'époque te le confirmeraient. La vraie difficulté en 1986-1987, c'était d'être crédible avec ce genre de musique qui était totalement nouveau. En même temps, ce style s'étant développé dans l'indifférence générale des grands médias, c'est aussi ce qui lui a permis d'être à ce point créatif et autonome. Les plus gros labels actuels du genre ont commencé parce que personne d'autre qu'eux-mêmes ne souhaitait signer des artistes faisant du death ou du grind. J'avais eu entre les mains une des premières sorties d'Earache Records, c'était un malheureux flexi disc qu'il fallait faire tourner en le posant sur un "vrai" disque vinyle afin de pouvoir l'écouter. On était bien loin du label qui allait signer Napalm Death, Morbid Angel, Deicide, Carcass, Entombed ou Terrorizer… Ça donne une idée des moyens de départ, de l'acharnement et de la passion qu'il a fallu déployer, sans prendre en compte le lieu d'origine de chacun des groupes, des fanzines, ou des labels.

Mais tu ne penses pas que Mutilated aurait pu connaître un parcours bien plus conséquent si vous aviez été originaire, au hasard, de Floride ou de Suède ?
Michel : Ce qui aurait pu changer la donne en effet, c'est le fait de résider dans un lieu avec un fort taux de densité de population metal. Pour trouver des musiciens, ça nous aurait peut-être évité de galérer autant !

Discographie des rééditions Mutilated sur Triumph Ov Dead
Mutilated - Tormented Creation - EP 12'' (2012)
Mutilated - In Memoriam - Double LP (2013)
Mutilated - Psychodeath Lunatics - EP 12'' (2013)
Mutilated - Resurrected - EP 7'' (2014)
Mutilator - Omens Of Dark Fate - EP 12'' (à paraître)

Guillaume Gwardeath a fait du tape-trading avec les mecs de Napalm Death, de Morbid Angel et même de Mutilated quand il était lycéen. Il est sur Twitter - @gwardeath Plus de death, de thrash et de tape-trading sur Noisey Altars Of Madness est la première expo d'art contemporain déstinée au metal extrême
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