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Music

On a discuté avec Dave Porter, le type qui a composé la musique de Breaking Bad

En 6 ans, Dave Porter a réussi à brouiller les limites entre musique de film et design sonore avec un lent poison fait de grondements synthétiques et de basses rampantes.

Si on fait le compte, Breaking Bad aura principalement reposé sur 4 piliers : Walter White, Jessie Pinkman, Gustavo Fring et Dave Porter. Ce jeune compositeur a en effet réussi à brouiller les limites entre musique de film et design sonore en inoculant au fil des saisons un lent poison fait de grondements synthétiques et de basses rampantes, qui a énormément participé à l’identité et à la singularité de la série.

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On se souviendra ainsi longtemps des cris de Walter White noyés dans un crescendo de synthétiseurs plus assourdissant que les turbines d’un 747, du tour de force orchestral de 14 minutes réalisé pour l’incroyable scène du pillage de train, et bien évidemment du générique, qui incarnait à lui seul et en une poignée de secondes à peine, toute la complexité et la fureur du western existentiel de Vince Gilligan.

J’ai rencontré Dave Porter quelques jours avant la diffusion de l’ultime épisode de Breaking Bad, dans l’auditoire du Sarah Lawrence College, où il a fait ses premières armes et où il vient tout juste de donner une conférence devant des centaines d’étudiants. « Ce bâtiment n’était pas là quand j’étais élève », marmonne-t-il. Actuellement au travail sur la bande-son de Wayward Pines, la série de M. Night Shyamalan prévue pour 2014, Porter confie avoir des sentiments mitigés sur le fait de reprendre le travail qu’il a effectué durant 6 ans pour Breaking Bad.

Noisey : Est-ce que tu peux revenir sur ton parcours, de ton arrivée à Los Angeles à ta rencontre avec Vince Gilligan et ton travail sur Breaking Bad ?
Dave Porter : J’ai d’abord travaillé à New York, au studio de Philip Glass et pour plusieurs entreprises commerciales. Après ça, j’ai monté ma propre boite de production à Times Square, avec deux autres compositeurs, tout en continuant parallèlement à travailler sur des musiques de documentaires et de publicités. On se débrouillait bien, mais ce dont j’avais vraiment envie, c’était de travailler sur de la fiction, que ce soit pour la télévision ou le cinéma. J’ai donc toujours lorgné sur Los Angeles, d’une manière ou d’une autre. Bizarrement, le truc qui m’a vraiment décidé à me bouger et à y déménager pour de bon, ça a été le 11 septembre. Je vivais à Manhattan à cette époque-là, et même si je n’ai pas été personnellement affecté par les événements, ma boite a, elle, perdu beaucoup de contrats parce que la production s’est complètement arrêtée à NYC, du jour au lendemain. J’ai donc fait partie de tous ces gens qui ont quitté New-York pour s’installer à L.A., début 2002. Je ne sais pas si ça a été prouvé ou étudié, mais j’ai vraiment l’impression qu’il y a eu une importante vague de migration chez les créatifs à ce moment là. Pas mal d’années se sont écoulées entre mon arrivée à Los Angeles et mon travail sur Breaking Bad. J’ai passé beaucoup de temps à zoner, à essayer tant bien que mal de faire mon trou, et puis j’ai remplacé un pote à moi qui était superviseur musical pour la série Six Feet Under. C’est là que les choses ont commencé à décoller.

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Est-ce que tu peux m’en dire un peu plus sur le processus de production, au niveau de la création musicale, mais aussi de la collaboration avec les acteurs et les producteurs ?
La télévision et le cinéma sont deux univers totalement différents. A la télé, tout est axé autour du directeur de production, qu’on appelle le « showrunner » et qui n’est pas forcément un auteur. Dans le cas de Breaking Bad, c’était Vince Gilligan. Du point de vue créatif, c’était mon boss.

Quel type de relation avais-tu avec lui ?
Vince Gilligan a toujours été ouvert aux idées que l’ensemble des créatifs lui suggérait et il nous laissait tout essayer. Ça a permis a certains d’entre nous de se ramasser en beauté, moi le premier. Mais ce qui était génial c’est qu’il écoutait tout le monde, même si c’était toujours lui qui tranchait au final.

Quel rôle la musique joue-t-elle dans l’intrigue de Breaking Bad ?
Je pense que la musique est un personnage à part entière de la série et qu’elle joue donc un rôle décisif dans l’intrigue. Pour lui donner ce poids, cette profondeur, on peut par exemple mettre en place une ambiance générale très marquée, qui peut se baser sur un thème récurrent, ou au contraire sur plusieurs thèmes différents, adaptés à chacun des personnages, à leur personnalité. Il y a dans Breaking Bad tout un tas de petites phrases musicales, de petits détails que j'ai utilisé avec minutie tout au long des six années qu'a duré la série. Ce qui a fait la particularité de Breaking Bad, ce n'est pas la musique en elle même, mais la façon dont on l'a l'utilisé.

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As-tu rencontré des obstacles particuliers ?
Le plus difficile pour moi, c'était de ne pas surligner l'action. Toujours accompagner l'intrigue mais ne pas pointer les choses du doigt, ni donner d'indices trop évidents au spectateur. Breaking Bad évolue constamment en zone trouble. Aucun personnage n'est totalement bon, ni totalement mauvais. Ils ont tous leurs travers. Ils prennent tous des décisions très discutables moralement. Et chaque spectateur va interpréter ces décisions de manière totalement différente, en fonction de son expérience, de son vécu, de sa sensibilité. C'est, selon moi, l'un des apsects les plus intéressants de la série. Breaking Bad n'est pas là pour te dire ce que tu dois ressentir. La série te laisse libre de ressentir ce que tu veux ressentir.

Tu as étudié la musique électronique au Sarah Lawrence College. Quelle influence est-ce que ça a eu sur ton travail ?
À l'époque où j'étais à Sarah Lawrence, la musique électronique était partout. C'était le gros truc. C'était nouveau et tout le monde exploitait ça avec plus ou moins de goût et de talent, dans tous les genres. J'ai toujours été intéressé par les artistes et compositeurs qui incorporaient dans leurs musiques des éléments nouveaux, qu'ils ne maitrisaient pas forcément. Pas forcément en se lançant dans la composition d'un concerto pour synthétiseurs, mais en faisant intervenir ce type d'instrument dans une pièce plus classique, pour en faire quelque chose de singulier, d'original. C'est ce type de démarche qui m'a fait apprécier des gens comme Philip Glass, Steve Reich ou John Cage.

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Qu'est-ce que tu penses de la musique électronique moderne ?
Comme partout, il y a de bonnes choses et d'autres moins bonnes. La plupart des groupes que j'entends sonnent comme de nouvelles versions de ceux que j'écoutais quand j'étais adolescent. Et ça me va tout à fait, c'est cool. Mais c'est un fait indéniable : la musique ne change pas. Tout finit par revenir. C'est cyclique. C'est intéressant d'analyser ça parce que tu as des genres comme le dubstep ou l'EDM qui s'inscrivent complètement dans ces cycles tout en étant très novateurs d'un point de vue technologique.

Penses-tu qu’il y aura davantage de prises de risques musicales à la télévision dans les années à venir ?
Je pense que c'est déjà le cas. J'en suis même persuadé. La musique à la télévision est devenue meilleure, tout simplement parce que la production télévisée est, dans son ensemble, devenue meilleure. Les séries sont bien meilleures aujourd'hui qu'il y a 20 ou 30 ans. Elles sont mieux jouées, mieux écrites, et c'est en partie dû au fait que les nouvelles technologies permettent de faire des choses de qualité avec moins d'argent et des budgets de production plus serrés. Et c'est la même chose pour les compositeurs. Nous disposons aujourd'hui d'outils que nous n'avions pas il y a 10 ans et qui nous permettent de travailler plus rapidement et, je l'espère, plus efficacement qu'auparavant. De toute façon, si on a, à la base, une série bien écrite, il y a de grandes chances pour qu'on en tire une partition forte et personnelle.

Vers quoi vas-tu te diriger pour ce nouveau projet avec M. Night Shymalan ?
Je ne sais pas encore. Je pense juste que ça va être une expérience intéressante. Et qu'on y retrouvera forcément des éléments de la bande originale de Breaking Bad, qui seront toujours présents dans ma musique. Tout ce mélange entre sonorités électroniques et organiques, qui est à la base de mon travail et que j'ai envie de continuer à développer. Après, toute la question est de savoir comment créér quelque chose qui soit au niveau de ce que tu as fait auparavant, tout en étant à la fois nouveau et différent. Peut-être que la solution se trouve pour moi dans les arrangements classiques, que j'adore, mais que j'ai totalement mis de côté sur Breaking Bad, au profit de ma passion pour la musique électronique et les instruments digitaux.

D'autant plus que c'est un peu de là que tu viens.
Effectivement. Bon, je ne vais pas non plus tout bazarder et écrire une partition pour quartet à cordes. Mais il y aura sans doute des arrangements plus traditionnels. J'ai de toute façon besoin de me lancer des défis. Personne n'a envie de se répéter. Si tu veux évoluer en tant que personne et en tant qu'artiste, tu dois te lancer des défis, mettre la barre plus haut.

Ce background classique a-t-il une influence sur ton travail actuel ?
Bien sûr. Tout ce que j'ai appris, écouté, et étudié est toujours là dans un coin de mon cerveau et ça continue à m'aider dans mon travail, que j'en sois conscient ou non. Il est important de connaître les règles si tu veux pouvoir les contourner. Et le fait d'avoir appris le piano très jeune est évidemment un avantage. Quand je joue, je n'ai pas besoin de penser à mes doigts, je peux totalement me concentrer sur la musique.

Quelle est la leçon la plus importante que tu aies retenu de ton expérience sur Breaking Bad ?
Breaking Bad m'a vraiment appris à mieux utiliser la musique. Savoir quand il fallait la rendre plus efficace et pourquoi. La rendre plus pertinente, lui donner un sens, sans pour autant envahir l'espace. Je trouve qu'il y a généralement trop de musique dans les films et les séries. Il faut donc savoir frapper fort à certains moments pour assoir l'identité de la série, mais aussi s'effacer lorsque c'est nécessaire, parce que tu dois travailler au service de l'intrigue avant tout. S'il y a trop de musique, ça créé très vite une distance avec le spectateur. Dans certains épisodes, tu peux choisir de ne pas mettre de musique du tout, et puis insérer juste deux notes à un moment précis qui vont, du coup, avoir un impact incroyable.