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Comment faire une bonne pochette d’album de rap français ?

NTM, Ideal J, 113, La Fouine... et l'enfer de Photoshop.
Genono
par Genono

On ne juge pas un roman à sa 4ème de couverture, un imam à sa barbe, ou un film à sa bande-annonce. Et pourtant, un visuel solide et une imagerie travaillée peuvent apporter beaucoup à un simple disque. Voici une liste des choses à faire et à ne pas faire, dans le monde fantasmagorique de la pochette d'album de rap français. 1. UTILISER LES BONNES RÉFÉRENCES L'une des caractéristiques d'un bon rappeur est la richesse de son univers, et par conséquent son habileté à utiliser des références aussi nombreuses que judicieuses (cinéma, séries TV, littérature -bon, OK, mangas et bande-dessinées). Mais trop nombreux sont ceux qui ne prennent pas la peine de transposer la richesse de leur univers dans la partie visuelle de leur travail. Entre clips fadasses et pochettes convenues, on tombe au mieux dans l'insipide, au pire dans le stéréotypé. Messieurs, assumez vos références jusqu'au bout.

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Le bon exemple : ALPHA 5.20 –
Scarface d'Afrique Chemise blanche, grand sourire, gun sur la tempe droite… La pochette de
Scarface d'Afrique est la copie quasi-conforme de l'affiche de
Sonatine, pièce maitresse de la filmographie de Takeshi Kitano. Ce sourire face à la faucheuse, c'est l'illustration parfaite du sous-titre de l'album : « La mort avant le déshonneur ». Parti de rien, Alpha a eu une carrière fabuleuse, loin des circuits classiques de l'industrie du disque. Respecté dans le milieu du rap, écouté dans la rue, prospère dans ses affaires, il n'a rien à regretter, et accueillera sa fin sans rechigner. Coup-double pour le dernier album de la carrière d'Alpha 5.20 : non seulement le CD est considéré comme l'un des derniers grands classiques du rap français, mais en plus, la pochette marque les esprits, au point qu'elle est aujourd'hui considérée par beaucoup comme la plus réussie de l'histoire du hip-hop hexagonal.

Le contre-exemple : DOK BUNDI –
Mysogine Détournement grossier de l'affiche d'
Usual Suspects, la cover de
Mysogine est la démonstration parfaite de tout ce qu'il ne faut pas faire. Pêle-mêle : la faute d'orthographe dans le titre (!), les éléments graphiques ajoutés sur Paint, les clichés qui ne sont même pas drôles… Pourtant, l'idée de base n'est pas mauvaise, l'affiche d'
Usual Suspects ayant déjà été détournée des dizaines de fois avec des résultats bien moins pires : Young Money, 5th Ward Boyz ET MÊME Muslim United. 2. BOUSCULER LES CODES, ALLER LÀ OÙ PERSONNE N'EST JAMAIS ALLÉ Reprendre une affiche et la détourner, c'est très bien. Mais avoir une idée véritablement originale et oser l'appliquer est un cas plus rare. Dans la musique, et dans le rap français particulièrement, on a cette tendance à mettre un frein dès qu'on sort un peu des sentiers battus. Souvenez-vous des débuts de l'autotune, ou de l'arrivée du dirty, ou même des premières sonorités West Coast : le mot d'ordre était « non, il ne faut pas, ça n'existait pas il y a quinze ans, c'est mal ! ». Même rengaine quand on s'intéresse aux pochettes : ne soyons surtout pas originaux ! Résultat : un conformisme presque nazi, et des rayons où 90 % des disques ont la même gueule. Les bons exemples :

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NTM –
J'appuie sur la gachette Aujourd'hui, s'étonner de voir un gun sur une pochette d'album rap, ce serait comme s'étonner de voir un gros cul dans un clip. Mais en 1993, à une époque où le rap était encore considéré comme la seule forme d'expression accessible aux sauvageons peuplant les banlieues, débarquer avec une pochette d'album représentant un chrome et une douille n'était peut-être pas l'idée la plus conformiste du monde. Pourtant, loin de faire l'apologie de la violence et des armes, le titre « J'appuie sur la gachette », qui donne son nom à l'album, traite du suicide. Contacté à ce sujet, Seb Janiak, le photographe, nous a raconté ceci : «
L'idée vient de moi, j'avais fais un petit croquis pour leur vendre le principe du reflet et de la composition flingue/reflet. Ensuite, Seb Farran (nldr : manager de NTM) m'avait trouvé un faux flingue … ou peut-être un vrai, je me souviens plus, que j'avais posé sur le bitume, dans la rue, au milieu d'une flaque d'eau pour avoir le reflet du groupe… La teinte bleue a d'ailleurs été gardée pour le clip, qu'on a fait juste après, et que j'ai réalisé. »

SALIF – Tous ensemble, chacun pour soi

Salif, l'homme libre, n'a jamais rien fait comme les autres. Entre orientations musicales surprenantes (cette envie soudaine de se mettre aux sonorités rock) et discours à l'opposé du consensus (« téléchargez mon album », à une époque où les rappeurs signaient encore des pétitions contre le téléchargement illégal), l'ex-Fon a choisi de se démarquer dès sa première galette. Lui, le rappeur accroché à la rue comme une moule à son rocher, pose falzar baissé, vynile de Soul Mann & The Brothers dans les mains, le cul posé sur les latrines. Une autre interprétation du fameux « trône » du rap-game.

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Le contre-exemple : LACRIM – Né pour mourir
Lacrim, comme Salif, choisit de se présenter au monde dans un endroit particulièrement intime : son poing levé sort de… de la… Enfin, on vous laisse découvrir ça juste en dessous. 3. UTILISER PHOTOSHOP À BON ESCIENT Certains rappeurs abusent un peu sur le détourage, et leur imagination non canalisée accouche souvent d'idées atrocement à côté de la plaque. Dernièrement, Abdelalien posait avec un véritable Alien sur la pochette de Carte de Visite, R-Keto ramassait une brouette de liasses, éclairé par les spots de quelques ovnis, tandis que la mixtape Trap François nous présentait un François Hollande en dealer de beuh (cette dernière cover ayant sans doute été réalisée par un mec plus à l'aise sur Paint que sur Photoshop).

Le bon exemple : ROHFF - La Fierté des nôtres
Toujours considéré, une décennie plus tard, comme le disque le plus réussi de la carrière de Rohff, La Fierté des Nôtres est un quasi sans-fautes : tracklist parfaite (30 titres et un équilibre parfait entre tubes légers, sons hardcore, et morceaux introspectifs), réalisation optimale (entre les prods de Sayd Des Mureaux ou JR, et le mix réalisé par le légendaire Richard -Segal- Huredia) et une cover aussi remarquable que marquante. En clair : Housni en survêt, le cul sur l'Arc de Triomphe. Et une de plus qu'Hortefeux n'aura pas ! Samat non plus, le rappeur balancera une pique envers le Comorien dans « Epoque », un morceau qui n'a pas vraiment fait date : « Epoque où les bouffons font des pochettes sur l'arc de triomphe ». Jamais en trop-plein d'humilité, Rohff s'expliquait sur Skyrock en juin 2004, juste avant la sortie de l'album : « L'Arc de Triomphe c'est la plus grande fierté pour la France. S'il n'y a plus d'Arc de Triomphe, il n'y a plus personne sur les Champs-Elysées. C'était pour attirer l'attention, m'asseoir sur l'Arc de Triomphe et montrer aussi que l'être humain est plus important qu'un monument. » Heureusement que personne n'a osé lui dire que le monument français le plus important était la Tour Eiffel. Le contre-exemple : Il y en a beaucoup, beaucoup trop. Petite sélection non-exhaustive : (bon, celle d'Alibi défonce pas mal quand même)

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4. PRENDRE DES SYMBOLES FORTS Parfois, une simple photo a beaucoup plus d'impact qu'un long discours. Entre création originale, hommage à un vieux cliché légendaire et reprise brute du visuel d'origine, voici trois vraies bonnes façons de transformer une pochette d'album en oeuvre d'art (oui oui).

IDEAL J – Le Combat continue
Deuxième pochette de notre sélection à porter la griffe d'Armen la Légende. Suivant le concept usité du visuel simple renvoyant une image forte, Le Combat continue, c'est avant tout une pochette qui divise. Les premiers essais mettent en scène le modèle « issu des minorités africaines » enroulé dans le drapeau français. Mais Kery James n'est pas satisfait : l'image ne choque pas assez. Il veut quelque chose qui soit à la fois puissant et provocant, une image qui puisse représenter le fait que « ces minorités ont suffisamment travaillé pour la France pour enfin avoir les droits et la reconnaissance qu'elles méritent ». L'idée de génie jaillit alors du cerveau d'Armen : il demande au modèle de prendre le drapeau tricolore en main, et de le serrer aussi fort que possible. Mission accomplie.

BOOBA - Ouest Side
Comme sur la célèbre photo de Malcolm X, Booba pose arme en main, le regard derrière un rideau. Contrairement à Scarface d'Afrique plus haut, la copie ici n'est pas conforme (arme différente, regard dans la direction opposée, tenue différente…), elle suffit pourtant à appuyer suffisamment l'hommage pour marquer les esprits. Booba en Macolm, c'est l'image d'un homme arrogant, qui choque et divise, et fatalement, se crée un tas d'ennemis. L'analogie peut prêter à sourire (Booba en révolutionnaire et défenseur des droits de l'homme, hein ?), toujours est-il que cette pochette reste encore aujourd'hui, comme la seule véritablement marquante de la discographie de B2o. L'idée a été proposée par Armen, célèbre photographe et réalisateur de clips. Il a évoqué la genèse de ce visuel chez nos confrères de Booska-P, en 2010 : « Je savais que KRS 1 avait repris cette image de Malcolm se tenant derrière sa fenêtre, une arme à la main, en attendant dans un état de paranoïa totale que ses ennemis débarquent chez lui. Quand j'ai fait le rapprochement entre ces deux images et les ai évoquées à Booba, il a aussitôt été séduit. »

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DESPO RUTTI – Les Sirènes du charbon
À gauche : la pochette censurée ; à droite : la réédition.

« Téma ma pochette, sérieux
Tu peux comprendre comment ce gamin parle avec autant de tension
Montre la à l'OPJ qu'il te dise
Si, dans les yeux de ce gosse il y a de la haine anti-police »

Cette photo, prise pendant l'expulsion d'une famille par une équipe de CRS vaudra à Despo Rutti une condamnation à 40 000 euros d'amende (les bleus sur la photo n'ont pas apprécié que leurs visages soient reconnaissables), un retrait des bacs, et pas mal de polémiques dans les médias traditionnels. Découragé face à la muraille judiciaire qui se dresse face à lui –bien qu'il ne soit pas à l'origine de la photo simplement récupérée sur internet-, il ne prendra même pas la peine de tenter un recours. Une réédition sortira, avec un visuel plus sobre, et il ne prendra même pas la peine de la défendre, juste déçu de ne pas pouvoir proposer son premier street-CD sous sa forme de départ. 5. LE PLAGIAT C'EST COOL

Comment les chinois ont-ils fait pour taper 10% de croissance par an depuis une décennie ? La contrefaçon, mec ! Dernièrement, Black M s'est trouvé au cœur d'une petite polémique au sujet de la cover se son album Les Yeux plus gros que le monde , qui s'inspire très largement de celle de Dangerous , mais que le rappeur considère comme un gros clin d'œil, plutôt que comme un véritable plagiat.

Les bons exemples :

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Le contre-exemple : LA FOUINE – Drôle de parcours
Ici, La Fouine n'est ni dans l'hommage, ni dans le détournement, il est bel est bien dans le plagiat. Une copie pas réellement assumée, mais trop ressemblante pour être involontaire… Fouiny, t'aurais au moins pu choisir un artiste qui ne soit pas mondialement connu, ça aurait été moins grillé. RAPPEL : LES PRINCIPAUX PIÈGES À ÉVITER Ne pas se prendre pour un boys band (quand on est seul) :

Eviter les licornes :

Ne pas être l'Algerino :

Ne pas se prendre pour un boys band (quand on est plusieurs) :

Ne pas engager une styliste possédée par le démon :

Genono donne des cours de direction artistique à l'école de la rue. Il est sur Twitter - @Genono