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Music

Allumez une torche pour Oderus Urungus, le défunt chanteur de GWAR

Il a pratiqué le sexe avec des animaux morts, démembré Sarah Palin, et joué dans le groupe de rock le plus sanglant de ces 20 dernières années, mais il a fini par complètement décéder.

« Il y a des qualités vocales qui sont particulières aux hommes et d'autres, particulières aux bêtes. Or, il est effrayant d'entendre l'une quand la source dont elle provient devrait produire l'autre. »
H.P. Lovecraft, L'Appel de Cthulhu

Il n'y a rien de pire que les spécialistes en nécrologies express sur les réseaux sociaux. À croire que ces mecs ont rajouté une touche « R.I.P » sur leur clavier. Ils me font penser à la petite vieille de la maison au coin de la rue. Toujours à guetter derrière ses rideaux l'arrivée du journal du matin pour se ruer sur la liste des avis de décès du jour. Avec un peu de bol, elle pourra se délecter de lire un nom connu.

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Non, il n'y a rien de pire que les nécrologies express sur les réseaux sociaux, mais le 24 mars 2014 j'ai posté une vidéo de Gwar sur mon mur Facebook parce que David Brockie a.k.a. Oderus Urungus est mort la veille. Il est peu probable que l'aventure Gwar survive au trépas terrestre de son créateur, âme dévouée – et seul membre d'origine. Il n'y aura sans doute plus de hordes de fans levant les poings devant la scène pour hurler à l'unisson « Gor-Gor ! Gor-Gor ! » - alors que c'est vachement plus bonnard, que, disons, un pit de fans de Mass Hysteria chantant « Positif À Bloc ».

Faut-il être triste ? Cela n'aurait pas plus de sens que d'être triste à cause de la disparition des dinosaures, ou de l'extinction des mammouths. C'est ainsi : rien ne doit rester en vie (« Nothing Left Alive » dit un des meilleurs titres de leur dernier album

Battle Maximus

).

Il appartiendra à la la science de nous éclairer dans le futur, mais peut-être y a t-il quelque chose dans l'air qui tue les membres de Gwar ? Il y a deux ans et demi, c'est Cory Smoot, a.k.a. Flattus Maximus, le guitariste du groupe, qui a passé l'arme à gauche, arrêt cardiaque en plein sommeil, dans la couchette du bus de tournée, sur la route d'une série de shows qui n'eurent jamais lieu. Oui, il y a quelque chose de pourri dans l'air, et cette chose capture l'âme des membres de Gwar.

Que restera-t-il de Gwar ? Eh bien pas mal de disques, et un combat.

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Depuis Hell-O, en 1988, Gwar a égréné une quinzaine d'albums durant son passage sur Terre. Une discographie touffue, et parfois aussi indigeste que les festins servis à Balsak a.k.a. The Jaws The Death, le batteur aux mâchoires dantesques. Ce n'est pas faire insulte à Gwar de le dire, mais entre leurs débuts hardcore, leur évolution crossover, leurs touches fusion et leur revival thrash metal, les barbares masqués auront fait plus d'écarts hasardeux que d'éclats prestigieux. L'oeuvre de Gwar regorge certes de riffs mortels et de fulgurances dévastatrices, mais on peut aussi y pêcher de nombreux titres que l'on qualifiera pudiquement de moyens, dont certains ont largement de quoi vous laisser circonspects. Les mâchoires de métal de Gwar auront mangé à tous les râteliers : cornemuse relevée de beats techno, jazz d'ascenseur, country de carnaval, opéra rock, rapcore préhistorique, et même une section cuivre - avec des chapelets de saucisse coincés dans le pavillon du saxophone.

Gwar aurait-il été aussi apprécié sans les looks de guerriers de neige mutants et sanguinaires ? Bien sûr que non. « Il faut souffrir pour être belle », dit l'adage. Il faut aussi souffrir pour être aussi laid qu'un Scumdog de l'Univers. Je salue en Gwar le dépassement. La sublimation. Le jusqu'au-boutisme. L'outrance. En dépit des aléas d'une carrière casse-gueule, Gwar aura réussi un équilibre rare entre show total et authenticité underground. Gwar sont les enfants bâtards des maîtres de la tradition de l'horror rock, dans la lignée d'Alice Cooper et des Misfits, de véritables amoureux d'uneforme d'entertainment à la fois extrêmement populaire et absolument pas destiné aux masses. Laissons l'Eurovision à Lordi, et profitons avec Gwar de l'Antartico-Vision. Entre ici, Gwar, toi qui auras poussé la culture Z jusqu'au fin fond de l'alphabet, et permis à Oderus Urungus de chanter les pires conneries : comparer son pénis à un salami, se servir d'un poisson comme godemiché, trouver une bonne place de parking pour se garer en enfer, pratiquer le sexe avec des animaux, ou des enfants, ou des animaux morts, ou des enfants morts…. Beavis et Butthead lui en sont reconnaissants. Et s'il est vrai que le punk, le hardcore et le metal extrême ont toujours privilégié le thème du combat (contre la religion, les institutions, les bonnes moeurs, la hiérarchie, le capital…), Gwar se seront battu encore plus que tous les autres, et contre tout. Avec leurs haches et leurs épées. On aura pu les voir décapiter le pape, étriper Rambo, démembrer Michael Jackson, torturer Lady Gaga, embaumer Paris-Hilton, défoncer Sarah Palin. Gwar, derrière l'heroic fantasy de carton-pâte, c'est toute la violence faite à la douceur de l'enfance, c'est la douleur d'un rituel de passage à l'âge d'homme.

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Bon voyage, Oderus Urungus, bon retour sur ta planète d'origine ! Merci pour le spectacle. Rarement dans l'histoire de la musique rock des pédales de distorsion auront été enclenchées par des pattes aussi sales et griffues.

Seul Guillaume Gwardeath pouvait légitimement écrire cet article.

Il est sur Twitter -

@gwardeath