Slayer va mourir et c'est très bien comme ça

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Slayer va mourir et c'est très bien comme ça

Les titans du thrash ont récemment annoncé leur dernière tournée et donc, leur séparation prochaine. Oui, c'est triste. Mais c'est aussi et surtout ce qu'ils pouvaient faire de mieux.

Pour beaucoup de fans de heavy metal, tout se résume souvent à un seul groupe. Généralement, celui avec lequel tout a commencé, quand on vous l'a fait écouter en colo, l'été de vos 14 ans, ou bien le premier groupe que vous avez vus en concert. Il est même possible que le groupe en question ne soit plus votre groupe préféré aujourd'hui – d'autres ont pris sa place depuis. Mais à l'arrivée, c'est toujours ce groupe, et aucun autre, qui incarne le metal à vos yeux.

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Pour moi, ce groupe, c'est Slayer, le plus intense, le plus vicieux et le plus radical du Big Four du thrash metal. Avec ses morceaux bourrés de Satan, de folie et de riffs aussi acérés que les flèches d'une église médiévale, Slayer restera pour toujours la B.O. de mon combat quotidien contre le reste du monde. Et pourquoi Slayer ? Sans doute parce que ce groupe n'est pas accessible à tous. Leur obsession pour un Mal trouvant ses racines à la fois dans la religion (l'Enfer, la damnation, l'apocalypse) et dans le monde réel (la guerre, les serials killers, les horreurs du IIIe Reich) leur a permis de dresser un portrait aussi mordant que chaotique de la société, qui va un peu trop loin pour les metalheads cherchant juste à s'éclater la tronche le samedi soir après une semaine de boulot, et qui rebute assez naturellement toute personne adulte et responsable (et chiante). Mais moi, le nom de Slayer est gravé sur mon cœur, encore palpitant dans la main du squelette en armure qui vient de me l'arracher pour le brandir au-dessus d'une poubelle en flammes.

Alors lorsque le groupe a annoncé, au début de l'année, qu'ils – Tom Araya, Kerry King, et les nouveaux venus Gary Holt et Paul Bostaph, vétérans recrutés chez Exodus et ayant déjà transité chez Slayer à quelques reprises par le passé – allaient s'embarquer dans une dernière tournée mondiale avant de définitivement raccrocher les gants, on aurait pu penser que je serais dévasté.

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Mais vous savez quoi ? Je me suis senti soulagé. Slayer, en tant que groupe, a accompli tout ce qu'il avait à accomplir, et est devenu quelque chose de plus grand que ce que permet la nature simpliste de l'industrie musicale. De plus, le temps, l'espace et l'argent monopolisés par un groupe aussi établi que Slayer pourrait être utilisé pour propulser d'autres groupes sur le devant du tableau. Slayer a rempli sa mission. Il est temps de laisser la place aux autres.

Sur le papier, il est assez ahurissant que le groupe ait réussi à aller aussi loin. Slayer est le plus gros groupe de metal extrême du monde, qui s'est transformé en un rouleau compresseur au succès planétaire sans jamais l'avoir cherché. Bien sûr, les puristes avanceront que les riffs et les thématiques déployés sur Repentless, sorti en 2015, sont bien loin de l'hostilité dégagée par ceux de Hell Awaits en 1985 ; mais la plupart des râleurs de ce genre ont été désensibilisés par les éruptions d'hémoglobine à répétition du death metal et les blasphèmes très premier degré du black.

En vérité, sur l'intégralité de sa carrière, la chanson la plus légère jamais écrite par le groupe parlait du fait de haïr quelqu'un jusqu'à la fin de sa putain de vie. Il n'y a pas de « Home Sweet Home » ou de « I Was Made For Loving You » chez Slayer ; la chanson qui s'en est le plus approchée est « Desire », qui figure sur l'album Diabolus In Musica de 1999, et qui parlait quand même de baiser un cadavre.

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De plus, Slayer est devenu quelque chose de plus riche qu'un simple groupe : c'est devenu une vision du monde. Leur son et leur esthétique représentent ce sentiment spécifique que le metal fait naître en nous, un mélange de noirceur rebutante et d'assurance absolue. Slayer, c'est du rouge éclaboussé de noir, et vice-versa ; c'est la colère intrinsèquement physique qui nous fait bouillir le sang et réduit en cendres les émotions illusoires comme l'optimisme et la patience. Même le nom du groupe est un cri de guerre.

Tout cela continuera d'exister pour toujours à travers la musique de Slayer, ses visuels et son histoire, sans pour autant que le groupe ait besoin de courir après, comme les mecs de Metallica qui ont dû suer sang et eau pour retrouver leur statut de durs à cuire. Alors pourquoi continuer à faire des albums pour prouver des choses que l'on a déjà établies, au risque de s'exposer à de mauvais conseils et de souiller ce qui a déjà été fait ? Pourquoi ne pas arrêter sans avoir jamais fait le moindre compromis ?

Et enfin – cet argument risque de ne pas être très apprécié –, Slayer doit laisser la place à la prochaine génération de Slayers. Trop souvent, les fans de metal traînent la généalogie du genre avec eux toute leur vie, refusant de relâcher leur fascination pour des musiciens dont l'époque faste et sauvage sur laquelle nous fantasmons tous est depuis longtemps révolue. Ceci explique pourquoi nous considérons des groupes comme Behemoth et Darkest Hour comme « actuels », alors qu'ils existent depuis une éternité : ils sont simplement plus jeunes que les vieux.

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Ces groupes-là ont besoin d'espace et de ressource pour devenir eux aussi des cadors, avant de tirer leur révérence et ainsi de suite. Le moment est venu pour Slayer de montrer à ces groupes qu'ils sont capables de faire le truc le plus metal qui soit : mourir.

Certains diront que Slayer est déjà mort avec son guitariste Jeff Hanneman, en 2012, et que le groupe aurait dû arrêter à ce moment-là. Hanneman était non seulement le compositeur le plus prolifique du groupe, mais aussi le membre qui incarnait le plus son identité et sa psychologie étrange et asociale. Sans lui, la musique du groupe – et ses décisions – pouvaient clairement être remises en question.

Slayer avait besoin de savoir qu'il ne pouvait pas continuer sans Hanneman, et c'est maintenant chose faite. Finir sa carrière sur un « Et si ? » est une mauvaise manière de procéder. Cela n'appelle qu'à l'inévitable tournée de reformation, ou pire, à l' « album du come-back ».

Par chance, on n'en est pas encore là. Comme cela a été le cas d'autres grands groupes de heavy metal défunts – Black Sabbath, Mötley Crüe –, Slayer risquent fort de se faire un énorme paquet de fric avec cette tournée d'adieu, qui sera assez longue pour que, une fois finie, les membres du groupe ne puissent très probablement plus se voir en peinture.

C'est une belle manière de s'arrêter : assis sur un tas de billets, le désir de faire des concerts réduit à néant. Si tout se passe comme prévu, le groupe donnera tort aux cyniques en n'essayant pas de se réunir pour une dernière série de concerts ou un dernier album. Mieux vaut emmerder les gens en disparaissant que de les décevoir en revenant.

Il est difficile d'assister à la fin de quelque chose, parce que cela nous rappelle que nous allons disparaitre un jour, nous aussi. La fin de Slayer inscrit cette partie de ma vie dans le passé, la transforme en souvenir, comme tant d'autres choses que je regrette parfois. Mais les fins sont importantes, car lorsqu’une chose se termine, elle devient ce qu'elle restera à jamais. N'importe quel crétin peut naître. La façon dont on meurt, et l'héritage qu'on laisse derrière nous, voilà ce qui importe vraiment.

L'histoire de Slayer touche à son inévitable fin. Le groupe a fait tout ce qu'il pouvait faire, et pour cela, Tom, Kerry, Jeff, Dave, Paul et Gary peuvent dormir tranquilles, en sachant qu'ils ont contribué à nous faire tous sentir moins seuls. Slayer sera toujours à nos côtés, dans le sang et la rage qui coulent dans les veines du metal. Crions son nom une dernière fois, et offrons lui les funérailles païennes qui lui reviennent de droit.