Il y a 20 ans, DMX aboyait sur la concurrence et personne n'osait broncher

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Il y a 20 ans, DMX aboyait sur la concurrence et personne n'osait broncher

1998 : un rappeur schizophrène et autodestructeur s'imposait avec deux albums enragés et devenait un symbole de réussite et d'authenticité.

En 1998 sort Belly, un film de Hype Williams réunissant Nas, DMX, Method Man, Vita et même Sean Paul (le temps d‘une brève apparition). Soit l’histoire de gangsters intraitables retrouvant peu à peu la foi et rejoignant au final une organisation inspirée de la Nation Of Islam. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais on tient là un film d’une excellente tenue, porté par des acteurs très bons, très justes, très bruts, et une mise en scène parfois expérimentale qui n’a pas valu que des bons retours à son réalisateur – la preuve, j’avais acheté le DVD de Belly dans un bac à cinq euros chez Planet Saturn au début des années 2000, et, bien que hors sujet, cette anecdote dit bien à quel point ce gangster movie est à redécouvrir.

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Ce qu’il y a de fascinant dans Belly, ce sont les dialogues, pas souvent finauds, mais toujours très vrais, authentiques. Dans une des scènes, Nas (Sincere dans le film) dit ainsi à DMX : « Yo, tu n'as pas vu ce putain de feu rouge, mec ? » Ce à quoi son personnage, le coriace Tommy 'Buns' Bundy, répond : « Mec, tu penses que j'en ai quelque chose à foutre de ton putain de feu rouge ? Ces salopes de flics ne peuvent pas m'atteindre. Je suis ici en train de fumer de la weed, d'accélérer, tout ça, mec ! Alors merde à tout ça ! C'est moi. Je suis intouchable. » Anodine, la réplique ? Pas quand on connaît l’importance de l’année 1998 dans la carrière de DMX.

Avec Belly, mais surtout avec ses deux premiers albums, It's Dark And Hell Is Hot et Flesh Of My Flesh, Blood Of My Blood, DMX laisse alors derrière lui quelque chose de sa routine. Sa vie d’ancien braqueur de Yonkers, ses petits featurings à droite et à gauche (pour Jay-Z ou Mic Geronimo, notamment), les refus des maisons de disques, ses multiples fugues à l’adolescence et ce loyer qu'il faut toujours régler. Ça fait plusieurs années que le bonhomme fait parler de lui (il a été repéré par The Source en 1991), mais tout prend désormais une toute autre ampleur. 2Pac et Biggie sont décédés, Jay-Z n’a pas encore pris le contrôle de l’industrie, le hip-hop se veut plus gentil qu’il y a encore quelques années et personne ne se doute pas qu'un gars un peu schizophrène, autodestructeur tout du moins, sorte de blouson noir des ghettos, s'apprête à en devenir l'emblème, un symbole de réussite, d'authenticité, de succès et d'underground. Après tout, c'est aussi ça DMX : un rappeur à succès, écouté par le plus grand nombre, mais bien incapable de mettre à bonne distance l'écusson des flics de NY. C’est une sorte de bandit en cavale, un pitbull qui n’aurait pas été vacciné contre la rage, un rappeur qui écrit des textes que tout à chacun devrait lire, même si ses paroles, son langage, sa façon de parler et de débiter les mots semblent n’appartenir qu’à son quartier, son entourage.

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Pourtant, ce n'est pas toujours ce qu'il dit qui intéresse (selon une étude, le X est parmi les rappeurs ayant utilisé le moins d’outils de vocabulaires dans ses textes), mais la façon dont il s’exprime. On l'a dit, DMX est aussi acteur. Jouer, il sait le faire : être charismatique, avoir l'air sûr de lui et donner un peu de profondeur à chacune de ses phrases, c'est sa spécialité. Sans doute parce qu'il la fait toute sa vie et que ça lui permet de se montrer particulièrement attentif aux sonorités des mots qu'il choisit. Clairement, DMX ne fait pas partie de ces rappeurs qui passent de longues heures à méditer leurs textes, à les nourrir de rêves et de lectures de poètes romantiques. Ça ne l’empêche pas d’avoir quelques fulgurances, très simples, très fortes (« Home of the brave, my home is a cage and I’m a slave ’til my home is the grave » sur « Ruff Ryders’ Anthem »), mais sa force se trouve ailleurs. Qu’importe qu’il raconte son enfance meurtrie (« Look Thru My Eyes »), joue la carte de l’horrorcore (« X-Is Coming ») ou de la voyoucratie (« Damien ») ; qu’importe qu’il rende hommage à son premier pitbull, Boomer, mort écrasé par les flics, ou adopte la parole d’un prêcheur (« Prayer »), c’est bien sa capacité à rapper comme si sa vie en dépendait qui fascine.

Pareil pour Flesh Of My Flesh, Blood Of My Blood : ce deuxième album se veut même encore plus extrême, plus intransigeant et jusqu’au-boutiste dans sa démarche. Pas un gros tube, pas une seule concession faite aux standards mainstream, mais un duo avec Marilyn Manson (« The Omen » où DMX réhabilite le personnage de Damien), un autre avec Mary J. Blige (le temps d’un exercice de style étonnant) et tout un tas de jeux de voix (rauque, forcément) fascinants. Là encore, c’est rarement de la grande littérature ( « J’aime mes négros, mais où sont mes putes ? » sur « It’s All Good »), mais le propos est ancré dans un réalisme âpre et dans le désespoir d’un homme évoluant dans un monde sans plus aucune valeur, qui sait que tout court à sa perte. Car DMX a beau rapper la bite à la main et le pétard aux lèvres, jurer qu’il va se farcir (probablement dans des positions inédites) ta mère, ta copine et tout ce qui peut compter pour toi, sortir les armes sur « Bring Your Whole Crew », « We Don’t Give A Fuck » ou « Heat », toutes ses vantardises masquent mal sa solitude, les regrets planqués derrière ses envolées testostéronées et l’aigreur qui persiste une fois les excès consommés – ce n’est peut-être pas pour rien s’il implore le pardon de Dieu sur « Ready To Meet Him ».

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Entendre It's Dark And Hell Is Hot et Flesh Of My Flesh, Blood Of My Blood, c’est donc découvrir un monde ultraviolent, une tension maladive qui bloque le sourire, récite un drame et permet à DMX de libérer ses colères, de ressasser son dégoût, sa haine, et de représenter les siens. Les siens ? Tous ces types qui n’échappent à la mort que pour la rencontrer un peu plus tard, les oubliés du système social, les gros durs et, bien sûr, les gars de Ruff Ryders, très présents lors de l’enregistrement de ces deux disques : le premier a notamment été produit par l’ancien de chez TVT, Irv Gotti, ainsi que PK et Dame Grease de la clique new-yorkaise ; le second voit l'apparition de Styles P, Jadakiss, Drag-On, The Lox et, bien sûr, Swizz Beatz, presque en roue libre sur Flesh Of My Flesh, Blood Of My Blood.

À l’époque, à New York, c’est peut-être la première fois que l’on se confronte à un crew aussi sauvage, profondément hip-hop, mais à la posture punk, au mode de fonctionnement hardcore. Ce ne sont pas des croisés partis en guerre contre le gouvernement américain, eux veulent simplement tout brûler, tout défoncer et en profiter pour récupérer tout le blé tant qu’à faire. Loin de s'ériger en modèle, DMX cultive d’ailleurs ses failles et ses imperfections ; ça s’entend sur ses morceaux les plus violents (« How can I maintain with mad shit on my brain ? » sur « Ruff Ryders’ Anthem ») comme sur les plus introspectifs (« I Can Feel It », une reprise de Phil Collins par DMX, putain !). It's Dark And Hell Is Hot s’écoulera à plus de 250 000 exemplaires en première semaine, se classera au sommet du Billboard et finit quatre fois disque de platine ; Flesh Of My Flesh, Blood Of My Blood, malgré sa pochette ensanglantée, s’écoulera à 670 000 exemplaires en première semaine et permettra à DMX d’être le premier artiste depuis 2Pac à classer deux albums la même année à la première place du Billboard.

Problème : difficile de dissocier sa vie de rappeurs de sa vie cathodique lorsqu'on est ainsi exposé. Certes, DMX choque, intrigue, impressionne avec ses grosses bécanes, ses meutes de chiens, son flow rugueux, ses instrus rêches, glaciales, basées sur des lignes de synthés obsédantes, ses clips ancrés dans la rue et ses envies très claires ( « I want the money, give me the honeys with big asses, the most expensive champagne you got in big glasses »), mais cette attitude pose visiblement problème.

Avec l’industrie, bien sûr : DMX peut bien écouler plus de disques qu’un bon paquet d’artistes validés par les institutions (plus de 29 millions en vingt ans), enchainer les enregistrements mythiques, il n’en reste pas moins rancunier envers un milieu qu’il méprise. Si bien que quelques jours avant la sortie de Grand Champ en 2004, le mec se veut très clair : ça en est fini avec la musique et l’industrie qui en tire les ficelles. « C'est dirigé par le démon, et 99% des gens avec qui tu collabores sont des serpents ». Problème : DMX va tout de même sortir deux albums derrière (pas forcément ses meilleurs en plus), promettre un disque gospel jamais vraiment concrétisé et multiplier les moments gênants, les vidéos YouTube visiblement sous crack, les délires illuminatis et les problèmes avec la justice.

Au point que l’on ne sait plus très bien qui est réellement DMX aujourd’hui : un rappeur définitivement bon pour la retraite ou un presque quinquagénaire, plus cabossé que l’histoire du blues elle-même (écoutez le refrain de « Ain’t No Way » et osez nous dire que le X ne tient pas la concurrence avec un vieux bluesman chantant son quotidien âpre), un has-been junkie en attente de réhabilitation ou un artiste définitivement imprévisible, un rappeur empêtré dans son génie ou une âme esseulée en attente d’un signe divin (« Lord give a sign », qu’il rappait) ? Au fond, DMX est peut-être tout ça à la fois, ce qui expliquerait précisément pourquoi on reste attaché et indulgent le concernant. Maxime Delcourt est sur Noisey.