Entre supplices et délices : bosser dans un resto quand on fait le ramadan

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Entre supplices et délices : bosser dans un resto quand on fait le ramadan

« Bien sûr que ça me donne faim. Mon job consiste à préparer de la nourriture toute la journée – c’est surtout l’odeur qui ne me facilite pas la vie. »

Entre deux immeubles de briques rouges, des employés du Yadgar – un des restos pakistanais les plus anciens de Glasgow – sont en train de s'occuper d'une livraison avant le « rush » du soir, quand les clients commencent à affluer pour rompre le jeûne du ramadan.

Ils transportent avec précipitation de larges sacs de riz basmati et de blé. Difficile de croire qu'ils n'ont rien mangé ou bu depuis maintenant plus de 10 heures.

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Une pile de papadums dans le restaurant Yadgar à Glasgow. Toutes les photos sont de l'auteur.

Comme le calendrier musulman repose sur le cycle lunaire, le jeûne peut durer au Royaume-Uni jusqu'à 19 heures par jour. Cette année, le ramadan a lieu pendant l'été et c'est le plus long observé depuis 33 ans.

Pour ceux qui pratiquent la religion et travaille dans l'industrie de la restauration, c'est un facteur qu'ils doivent apprendre à gérer.

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« Pour moi, c'est l'odeur de biryani qui rend le travail et le jeûne difficile, mais on s'y fait », explique Umar Farooq Mirza en urdu, alors qu'il s'arrête un instant dans sa tâche. « Les musulmans le font chaque année donc ce n'est vraiment pas très grave. »

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Umar Farooq Mirza, employé du Yadgar, en plein jeûne.

Depuis son ouverture en 1981, le Yadgar est parvenu à attirer une clientèle régulière. Le restaurant est reconnu pour sa cuisine du Pendjab. La déco est assez sommaire mais ça donne un cachet « home sweet home » pas désagréable. Mon père m'y emmenait souvent quand j'étais ado et rien n'a vraiment changé depuis.

Derrière moi, quelqu'un en cuisine hurle une commande de riz et de pois chiches en pendjabi. On dirait que le service va être chargé pour Mirza et ses collègues.

Il me confie que sa routine est différente pendant le ramadan et que, même s'il travaille dans un environnement composé d'aliments super appétissants, le jeûne n'est pas aussi difficile qu'il en a l'air. Tous les jours, après la prière de l'après-midi dans une mosquée du voisinage, Mirza fait le trajet jusqu'au Yadgar où l'équipe prépare à manger.

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« Bien sûr que ça me donne faim. Mon job consiste à préparer de la nourriture toute la journée – c'est surtout l'odeur qui ne me facilite pas la vie », souligne-t-il. « Mais je ne vis pas le jeûne comme une pression. Je le fais parce que j'ai envie de le faire. Je vois le ramadan comme un moyen de me purifier de tous les éléments négatifs accumulés dans l'année. »

Mirza finit son service vers minuit, après avoir rompu le jeûne – à l'heure de l'iftar. Il doit ensuite rester debout pour prier et prendre un repas avant l'aube. Ce qui lui manque le plus ? Un bon dîner au Yadgar.

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« Hors période de ramadan, toute l'équipe mange généralement ensemble dans la soirée », décrit-il. « L'atmosphère est super agréable. Heureusement, on va bientôt reprendre un rythme normal. »

Pour les musulmans, le ramadan est aussi l'occasion de mettre sa patience à l'épreuve. Faire la cuisine et servir de la nourriture pendant le mois saint est un défi supplémentaire pour ceux qui observent le jeûne.

« J'ai un petit faible pour le curry, les pakoras [beignets de légumes] et les samoussas », avoue Mirza, désignant les plateaux remplis de bouffe qui sont alignés à la vue des clients. « Vous devez sacrifier ses envies pendant le ramadan – votre faim, votre soif. Tout est une question de patience. »

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Naveed Iqbal, le manager du resto, échange avec un habitué venu passer une commande d'iftar pour lui et sa famille.

Après 19h, le rythme s'accélère pour les employés du Yadgar. Un petit coup de stress causé par les parieurs du week-end qui viennent prendre des plats à emporter et les clients jeûneurs qui font leur premier repas de la journée.

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Entre deux commandes, Iqbal m'explique que les premiers jours du ramadan sont les plus difficiles à supporter pour lui. Tout est plus simple ensuite.

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« Le ramadan se passe bien pour moi », dit-il. « C'est un des rares moments de l'année où les musulmans se tournent vers leur foi et travailler toute la journée au milieu de la nourriture ne me gêne pas. »

Une commande de naan traverse la salle, allant d'une petite lucarne dans le mur jusqu'à la cuisine où les cuistots continuent de bosser. Iqbal place des morceaux de viande sur du pain alors que des clients commencent à faire la queue.

« Ce n'est pas si compliqué », assure-t-il. « Si vous êtes fort mentalement, vous pouvez vous motiver. Les deux premiers jours, vous ressentez surtout la soif, pas vraiment la faim. Après, vous vous habituez et ça fait partie du job. »

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Mirza avec le manager du Yadgar, Naveed Iqbal.« Mes collègues sont très sympas. C'est un bonus d'être ici pendant le ramadan »

Il interrompt l'interview parce que le téléphone du restaurant n'arrête pas de sonner.

L'agenda trépidant d'Iqbal signifie qu'il doit trouver un équilibre entre son taf et le ramadan quand il débarque au resto dans l'après-midi. Comme tous les plats du Yadgar ne sont pas préparés en même temps, il commence sa journée en aidant les cuistots à préparer des grosses fournées de nourriture.

« On aime étaler la préparation pour cuisiner au fur et à mesure et conserver la fraîcheur des ingrédients », explique Iqbal. « Ensuite, si on voit qu'il y a quelque chose qui vient à manquer, on refait les plats dans la soirée. »

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, ajoute Iqbal qui précise que toute l'équipe du Yadgar jeûne.

Quand je demande comment il fait pour ne rien manger ou boire pendant 19 heures alors qu'il est constamment entouré de nourriture, il rigole.

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« Ce n'est pas si ardu. Les gens font bien des régimes et ça ne leur pose pas de problèmes », blague-t-il. « Sérieusement, tout est affaire de volonté et de préceptes religieux. Bien sûr, ma patience est mise à l'épreuve et je risque d'être de mauvaise humeur, mais je n'en fais pas toute une histoire et je sais que je serai récompensé à la fin. »

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Kheer, un dessert qui ressemble à du gâteau de riz.kheer

Un employé passe. Il transporte un large plateau de , un dessert qui ressemble beaucoup à un gâteau de riz.

« Il est frais, on le prépare chaque jour », dit Iqbal fièrement.

Beaucoup de musulmans choisissent de rompre le jeûne avec quelque chose de léger comme des dates ou du lait, pour l'équipe du Yadgar et les clients, l'iftar est obligatoirement composé de pakoras.

« Il y a un dicton en Asie du Sud qui dit que tant qu'on n'a pas mangé de pakoras, alors le jeûne n'a pas été rompu », confie Iqbal

Alors qu'il me dit ça, une fournée toute fraîche sort de la cuisine. Il les zieute. Puis retourne à son travail.