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Culture

Le post-porn, précurseur de la porno engagée

À l’avant-garde de toute la production pornographique féministe actuelle, le post-porn reste un mouvement méconnu, mais dont l’influence se fait sentir au-delà des représentations de corps nus sur écran.

La première fois que j’ai entendu l’expression post-porn, je croyais que c’était un mouvement souhaitant la disparition de la pornographie. Ce n’est pas du tout le cas : c’est une rébellion contre un regard masculin et dominant dans la pornographie populaire, mais aussi dans l’espace sociétal en général, inspirée par les théories queers, le travail du sexe et un féminisme inclusif.

De l’anonymat des glory holes à une sexualité glorieuse et publique

Le post-porn appelle à la désobéissance sexuelle, non seulement dans une chambre, mais partout, pour s’affranchir d’une sexualité domestiquée. Si les glory holes, ces trous dans les toilettes qui invitent le regard, le sexe ou le doigt d’une autre personne à envahir un lieu communément privé, apparus d’abord dans le milieu gai, aident à s’affranchir d’une certaine frontière, ils restent cachés, anonymes. Dans l’essai Bildungs-post-porn, publié en 2013 dans la revue Rue Descartes , la fondatrice de la première association queer en France, Marie-Hélène Bourcier reprend l’image du glory hole pour le comparer à ce que serait le glory hole post-porn : « Il est différent. Mobile. Issu de la sexualité féministe. Il fonctionne comme un regard en retour sur les lieux du crime, sur ce male gaze qu’il transforme. Il relève plutôt de ce qu’il faudrait appeler un glory gaze, qui place les femmes et les queers en position de regardants et de regardés puissants. »

C’est ce que projetait en 1989 l’actrice et auteure Veronica Vera, dans le manifeste Post Porn Modernist Manifesto. Elle y décrit son souhait de créer un mouvement artistique qui célébrerait la sexualité comme une force inspirante, hors des cadres genrés habituels. Au début des années 90, l’actrice en vient à créer Miss Vera’s Finishing School For Boys Who Want To Be Girls, la première académie transgenre, située à New York, qui permettrait aux hommes de se libérer des diktats de la masculinité. Sur le site web de l’école, elle mentionne que, pour chaque femme voulant brûler un soutien-gorge, un homme désire le porter. Veronica Vera veut briser la soumission hétéronormative et offrir un lieu sécuritaire où les hommes peuvent expérimenter le plaisir des perruques, des talons hauts, de la lingerie.

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La reconquête de l’espace par les minorités sexuelles

Depuis 25 ans, entre un cours de maquillage et un thé vert à la rose, Veronica Vera propose des cours d’éducation sexuelle et apprend à ses étudiants, qui sont en majorité des hommes mariés, à affirmer leur identité. Elle les invite également à sortir de l’isolement et à se promener, en sa compagnie, dans les rues de New York, vêtus de jolies robes, de gants et de chapeaux traditionnellement féminins.

C’est ainsi que les cours prennent une dimension de bouleversement politique, comme Rachele Borghi l’établit dans Post-Porn, un texte paru dans le même numéro de la revue Rue Descartes que celui de Bourcier : « En rendant visibles les corps non normatifs, en libérant la sexualité hors de la sphère privée, en revendiquant une dissidence sexuelle, le post-porn accomplit un acte politique. » L’espace public est reconquis par des minorités sexuelles, qui prennent leur revanche sur un territoire dont la neutralité sexuelle est faussée et qui les exclut habituellement.

Un orgasme libérateur pour déclarer la guerre à la censure

Annie Sprinkle, une actrice, éducatrice sexuelle et activiste écologique, est cosignataire du manifeste présenté par Veronica Vera. Grâce à son spectacle Public Cervix Announcement, présenté au Harmony Theater en 1990, Sprinkle popularise le terme post-porn. Elle y projette des photos d’elle petite, déjouant les limites de l’intime et de l’exhibitionnisme, y raconte ses débuts dans la pornographie populaire des années 70 et offre aux spectateurs de regarder son vagin, à l’aide d’un speculum et d’une lampe de poche. En tournant le dos à la pornographie produite par les hommes, Sprinkle s’est élevée contre son statut d’objet sexuel, sans toutefois nier sa sexualité. Son spectacle se termine par un orgasme libérateur, car, pour elle, le sexe guérit physiquement et émotionnellement. Pour l’artiste Frank Moore, qui assiste au spectacle, c’est une véritable déclaration de guerre à la censure contre l’art, contre l’humain, contre le plaisir et contre l’amour.

Se venger de la pornographie traditionnelle

Vingt ans plus tard, c’est le film polémique Baise-moi de Virginie Despentes qui est reconnu par Bourcier comme le premier film post-porn français. Censuré brutalement en France, la cabine de projection du film est saccagée par un spectateur au Québec, qui part avec la bobine du film en menaçant de déposer une bombe si Baise-moi est de nouveau projeté en salle. Le film met en scène deux femmes qui participent à des orgies et qui tuent des inconnus, à la suite d’un viol. Les scènes de sexe ne sont pas simulées. La pornographie hétéronormative y est déconstruite et les actrices qui y participent s’en réjouissent.

Karen Lancaume et Raffaëla Anderson, toutes deux ex-hardeuses, ont l’impression que Virginie Despentes leur a donné en cadeau la permission de se venger, non pas des hommes, mais de tout ce qu’elles ont subi dans la porno traditionnelle, où elles ont senti qu’après une scène de « double pénétration par moins cinq degrés dehors », elles ne valaient plus rien pour ceux qui tenaient les caméras. Dans une entrevue à Libération, Raffaëla Anderson explique que « le porno c'est des mecs qui jouissent sur la gueule des filles. C'est l'homme qui baise la femme, la femme qui en prend plein la tronche. Baise-moi, c'est le contraire. » Les mécanismes de domination sont donc perturbés et une certaine dissidence sexuelle est réalisée dans Baise-moi, totalement à contre-courant de la pornographie et d’une morale hétérocentrique qui fait subir aux femmes des désirs, leur ordonnant la passivité dans la réception du plaisir d’autrui.

L’anus célébré comme lieu d’expérimentations révolutionnaires

La sexualité du post-porn est fluide et l’expérimentation la pousse à donner une place centrale à l’anus. Paul B. Preciado, un philosophe espagnol ayant organisé le Marathon post-porn du musée MACBA à Barcelone en 2003, voit en cette partie du corps la possibilité d’un contre-imaginaire sexuel enfin libéré d’un régime hétérosexuel normatif. Dans son Manifeste contre-sexuel, publié en 2000, il impose sa vision d’un anus qui « traverse les frontières anatomiques imposées par la différence sexuelle, un lieu d’excitation et de production de plaisir qui est absent de la liste des zones orgasmiques établies ». Le fist-fucking est encouragé, tout comme l’utilisation du godemichet et du strap-on, non pas pour remplacer un pénis, mais pour déplacer la sexualité encore une fois directement dans un espace d’expérimentation libre. Pour Bourcier, dans la revue Rue Descartes, le godemichet permet de se déconnecter de la filiation hétéronormative, « en permettant de se situer hors procréation, hors nature ».

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Le corps en post-porn devient le lieu principal des transgressions, encore plus critique et déstabilisant qu’un manifeste sur papier. Bien que la production post-porn soit disparate, d’une œuvre vidéo à une séance de masturbation collective à l’Université de Valence dirigée par Diana Pornoterrorista en 2009, elle est toujours inspirée par la subversion et le renversement de tout ce qui est de l’ordre du privé et du légitime.