Jackson MacIntosh, héros discret de la scène musicale montréalaise, revient nous rendre visite
Photo: Michael Stasiak

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Culture

Jackson MacIntosh, héros discret de la scène musicale montréalaise, revient nous rendre visite

On lui parle de l’époque du Drones Club, de son implication dans une dizaine de bands et de sa crainte de faire une tournée en solo.

Entre 2012 et 2017, s’il y avait bien un endroit où vous pouviez me croiser la nuit, c’était au Drones Club. Ça ne vous dit rien? C’est sans doute normal. Le Drones Club était un espace de diffusion autogéré par une poignée d’artistes montréalais où l’on pouvait voir des groupes d’ici et d’ailleurs. Les shows commençaient tard et finissaient « tôt ». On pouvait y apporter notre propre alcool et même fumer à l’intérieur. Le confort de la maison à prix d’ami.

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Parmi les artistes qui géraient le Drones Club, il y avait Jackson MacIntosh, un musicien néo-écossais aux cheveux clairs qui y traînait pas mal souvent puisqu’il faisait partie de la majorité des groupes qui s’y produisaient sur une base régulière. Il est l’un de ces êtres qui possèdent une aura singulière même s’il paraît réservé au premier regard. Une sorte de charisme inné et inexplicable.

En apprenant qu’il effectuait un retour sur les planches de l’Esco, dans le cadre du Taverne Tour, j’ai voulu dresser le portrait de cet homme à l’importance fondamentale pour la scène musicale montréalaise.

Quarante degrés Celsius et trois heures de décalage nous séparaient au moment où Jackson et moi nous sommes entretenus au téléphone la semaine dernière.

De la Nouvelle-Écosse au Silver Door

C’est dans sa résidence familiale de Sydney, en Nouvelle-Écosse, que Jackson MacIntosh fait ses premiers pas en musique. Il est alors âgé de douze ans et n’a pour but que de faire rire les membres de sa famille à l’aide de sa guitare. « Je faisais des chansons à trois accords où j’imitais la voix haut perchée de Preston Manning, qui était chef du Parti réformiste du Canada à l’époque. Il avait une voix tellement weird, ça faisait beaucoup rire ma petite sœur », me raconte-t-il au bout du fil.

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Photo: Michael Stasiak

Un an plus tard, alors qu’il fait son entrée à l’école secondaire, il forme son tout premier groupe avec des camarades de classe. Comme plusieurs ados qui ont grandi durant les années 90 (dont l’auteur de ces lignes), sa première formation faisait dans le ska punk juvénile.

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« Au début, on s’appelait Team Rocket, mais mes bandmates m’ont forcé à changer le nom parce qu’ils étaient trop embarrassés par la connexion qu’il y avait entre Team Rocket et Pokémon. On a changé pour After School Special, qui, à mon avis, était un nom vraiment cool. Cependant, on s’est rendu compte que l’acronyme était A.S.S. Tout le monde qui nous connaissait nous appelait ASS », raconte Jackson en riant.

Dans le courant de 2007, après avoir étudié au New College of Florida, MacIntosh décide de s’exiler du Sunshine State sans trop réfléchir à l’endroit où il irait. L’idée de partir de rien, guidée par l’insouciance de la jeune vingtaine, l’amène alors à Montréal, un endroit où il n’a ni repère ni amis. Il s’inscrit à l’Université Concordia et se met peu à peu à découvrir la métropole.

Quelques années plus tard, alors que Montréal connaît une véritable invasion de musiciens venant d’Halifax, Jackson MacIntosh rencontre Christian Simmons, se joint à la formation Play Guitar et forme Sheer Agony. Le groupe commence à répéter à l’Opera : un modeste jamspace situé près des bureaux d’Ubisoft qui est géré par Tobin Belanger, un autre ami néo-écossais.

Après quelques mois, Belanger leur propose d’emménager dans un autre espace qu’il gère au coin de l’avenue du Parc et de la rue Beaubien. L’endroit s’appelle alors le Silver Door : emblématique théâtre des after-hours du quartier Marconi-Alexandra (mieux connu sous le nom de Mile-Ex maintenant). Il leur en coûte environ 400 $ pour occuper la moitié de l’espace. Peu de temps après, vers 2012, Jackson et sa bande – composée à ce moment-là de Christian Simmons, Pat Gregoire et Phil Karneef – prennent les commandes de l’espace.

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La belle époque du Drones Club

Au moment où il hérite du Silver Door, le collectif décide de le rebaptiser Drones Club en référence aux livres Jeeves et Wooster de P.G. Wodehouse. « C’était une inside joke avec les gars de Sheer Agony. On écoutait beaucoup les versions audio dans la voiture en tournée. Ce sont des histoires à propos d’aristocrates anglais qui inventent des jeux sans règles et sans but, et qui font tout leur possible pour éviter les responsabilités. Au début, tous les autres détestaient le nom parce qu’ils pensaient que c’était à propos de la musique drone, mais ce n’était pas le cas », me raconte-t-il.

L’endroit prend une nouvelle direction et devient un lieu de rassemblement pour beaucoup de groupes canadiens expatriés à Montréal (HOMESHAKE, Each Other, Telstar Drugs, Freelove Fenner, Un Blonde et Hand Cream pour n’en nommer que quelques-uns) qui font pour la plupart de la guitar pop.

À l’image d’un club privé, les événements présentés se font plutôt discrets et sont difficilement visibles sur Facebook. L’adresse n’est jamais divulguée par peur de représailles, puisque le Drones Club est constamment la cible de descentes policières lors de sa première année d’activité.

« Au début, ça faisait presque partie du show [rire]. On était comme : “OK, c’est le moment où tout le monde prétend quitter l’espace et on revient dix minutes plus tard pour que le spectacle reprenne là où il s’est arrêté.” Une fois, on pensait qu’on était vraiment fichus, la police avait saisi les bières qu’on vendait et tout l’argent qu’on avait fait. On pensait avoir une amende de 10 000 $ et devoir fermer le Drones. Finalement, ils n’ont rien fait, ils ont gardé la bière et l’argent pour eux, je pense. »

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Pour une raison mystérieuse, de 2013 à 2017, pendant la période Coderre, le Drones Club n’a plus jamais été victime de descentes policières et a pu faire comme bon lui semblait.

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Durant ces années, Jackson MacIntosh devient une figure incontournable de cette scène qui gravite autour du Club et fait partie de Sheer Agony, Paula (avec les membres de TOPS), Play Guitar, Christian Michael Jackson en plus d’être musicien pour Jef Elise Barbara, Bernardino Femminielli et HOMESHAKE à l’occasion… « J’étais effectivement all over the place, avoue le musicien. C’est drôle parce que je trouve que je suis fondamentalement une personne paresseuse, et de me rendre compte que j’ai fait tout ça au courant des années est étonnant. »

Feuille de route impressionnante, oui, mais au final, tout ce que Jackson voulait du Drones Club, c’était son propre studio d’enregistrement sans avoir à en payer les frais, un rêve qu’il caressait depuis un bon moment. « Ce que ça me coûtait, c’était de nettoyer l’endroit après les partys stupides et de faire le nécessaire pour que l’endroit demeure fonctionnel. Personne du Drones ne voulait “gérer” l’endroit. On s’en foutait tous un peu. On ne pensait pas que ça durerait aussi longtemps. En fait, on voulait surtout bénéficier des avantages que ça comportait. Pour moi, c’était essentiellement de pouvoir enregistrer mes trucs sans payer le temps de studio. »

California dreamin’

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Comme toute bonne chose a une fin, en 2017, les jours du Drones Club semblent comptés. La plupart des gens qui gèrent l’espace se sont lassés et le propriétaire de l’immeuble laisse planer la rumeur voulant que le bail ne sera pas renouvelé, entre autres à cause de la construction du nouveau pavillon de l’Université de Montréal situé tout près. À ce moment-là, Jackson MacIntosh aide ses amis de TOPS à la composition et l’enregistrement des bed tracks de leur prochain album, Sugar at the Gates.

La chimie opère et ces derniers l’invitent à se joindre à eux pour une tournée en Californie (là où ils sont désormais installés). Le timing est bon : Jackson accepte sur-le-champ et se met à vivre dans la maison d’où il me parle lors de notre entretien au téléphone. « La maison où je suis présentement est située sur une montagne de Los Angeles avec une vue prenante de la ville et même du cimetière où est enterré Michael Jackson [rire]. C’est plutôt idyllique, je passais d’un appart plutôt lamentable à Montréal à ça. »

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Photo: Tess Roby

La tournée avec TOPS s’étire finalement à cinq mois aux États-Unis et en Europe, et permet à Jackson de faire la rencontre de gens avec qui il collabore présentement, soit les groupes Drugdealer et PAINT.

De retour à Montréal, il obtient la confirmation que le Drones Club devra cesser ses activités à partir d’août 2017. « Rendu là, tout était différent. Il y avait de la tension entre ceux qui géraient le Drones et il ne se passait plus grand-chose. Il me restait deux albums à finir : le deuxième de Sheer Agony et un album solo sur lequel je travaillais on and off depuis quelque temps. J’ai décidé de profiter du peu de temps qu’il me restait au Drones pour les finir. J’ai développé un rythme de vie assez malsain à cette période : je travaillais littéralement tous les jours et buvais tous les soirs. »

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La santé, ça va normal

Jackson MacIntosh finit l’année 2017 en tournant aux quatre coins du globe avec TOPS, dont il est maintenant un membre officiel. Comme bon nombre de musiciens qui font de la tournée, il finit par frapper un mur au bout de ces mois passés à faire la fête, à mal s’alimenter et à peu dormir. Il prend alors la dure décision de mettre un frein à sa consommation d’alcool. « Je crois que c’est la chose qui a été le plus bénéfique à ma vie de musicien. Je me sens vraiment mieux, moins déprimé, tout est plus égal. Je suis plus fiable aussi, j’arrive de moins en moins en retard. »

Jackson entame donc l’année 2018 tout en sobriété et se prépare à la sortie de son premier album solo, My Dark Side.

Avec ses quatre nouveaux projets (Drugdealer, PAINT, TOPS et son projet solo), il se met à tourner plus que jamais, offrant à maintes reprises de doubles performances en une même soirée, puisque son projet solo se retrouve à faire la première partie des groupes avec lesquels il tourne. « C’est probablement l’année la plus positive de ma vie, c’était vraiment cool, mais c’est sûr que ça comporte aussi son lot de déceptions. Ça peut être difficile d’en parler aux autres sans avoir l’air d’un abruti parce qu’à leurs yeux, ta job est parfaite, tu joues de la musique, tu voyages partout. Mais y a vraiment des moments où tu souhaites vouloir dormir dans le même lit durant 30 jours consécutifs », souligne-t-il.

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Seul en tournée, seul sur scène

À l’aube d’une tournée solo avec Video Age qui le mènera au Taverne Tour, entre autres, Jackson ne cache pas qu’il est complètement terrifié à l’idée de devoir partir seul et d’avoir à parcourir plus de 6000 km dans sa voiture de location. Il est certain que sur le plan logistique, il est plus facile de partir en tournée en solo, mais il manque tout de même l’élément clé pour lequel Jackson a toujours eu du plaisir à faire de la musique : la camaraderie. « Je n’ai jamais vraiment été nerveux de ma vie, mais là, je suis terrifié à l’idée de partir en tournée. Je serai seul sur la scène, je ne pourrai pas me cacher de rien. La camaraderie avec les autres va vraiment me manquer. Je ne sais pas si je vais finir par m’y faire, mais cette expérience sera particulièrement weird pour moi. »

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Après toutes ces années à prendre part à différents projets musicaux avec de multiples collaborateurs entre le Québec et la Californie, Jackson avoue qu’il n’y a rien de mieux que la camaraderie lorsque l’on fait de la musique. « Il faut apprendre à écouter les autres, avoir l’humilité d’admettre que mes idées ne sont peut-être pas les meilleures. Au fond, c’est ça collaborer : prendre les meilleures idées de chacun et en faire quelque chose de spécial. »

Jackson MacIntosh sera en spectacle le 1er février à l’Esco dans le cadre du Taverne Tour.

Le Taverne Tour se déroule du 31 janvier au 2 février 2019. Programmation complète et billets ici

Dominic vous recommande l’écoute de la compilation Meet the Factory pour découvrir la scène du Drones Club.