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Nouvelle réjouissante pour tout le monde : Daech adore le FN

Pourquoi les combattants djihadistes supportent la droite nationaliste française.

Le 14 juillet dernier, Daech frappait Nice, faisant 85 morts. En s'en prenant à la métropole de la Côte d'Azur, le groupe visait, comme à chacune de ses attaques, à accentuer les nombreuses tensions politiques et idéologiques à l'œuvre en France. Pour rappel, aux dernières régionales de 2015, le Front national (FN), dirigé par Marine Le Pen, tapait à Nice 40,55 pour cent au premier tour, puis 36,09 pour cent au second. Quelques mois après, les vidéos post-attentat confirmaient ô combien Nice reste une cité divisée, en proie parfois à l'islamophobie. Le coup de pouce de Daech au FN était donc rêvé en vue des prochaines élections.

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C'est tout le jeu trouble qu'entretient l'organisation terroriste avec l'extrême droite française. Depuis sa création, Daech a toujours soufflé le chaud et le froid avec ce qui devrait être son pire ennemi idéologique. Pourtant, par la voix de quelques-uns de ses moudjahidin, le groupe armé a quelquefois légitimé son meilleur ennemi. Nicolas Hénin, journaliste détenu par Daech de 2013 à 2014, en sait quelque chose : « Quand j'étais retenu en otage en Syrie, Najim Laachraoui était un de mes geôliers. Il m'avait lancé un jour : "le Front national a raison!" » Selon lui, « c'était par rapport au désir [du Front national] de se débarrasser des musulmans de France. »

Bien entendu, le discours en apparence bienveillant des soldats de l'EI envers le FN est à lire sous le prisme d'une double lecture, à la fois idéologique et stratégique.

Dans un premier temps, le discours de Daech envers la droite nationaliste locale découle d'une défiance totale envers la classe politique dans son ensemble. L'inefficacité des partis républicain et socialiste à résoudre les problèmes sociaux et économiques des banlieues sensibles et des agrégats ruraux pauvres a légitimé cette défiance. Au point que chez tous les djihadistes français, la politique se résume aujourd'hui à un immense mensonge complotiste orchestré.

Dans les propos de djihadistes relayés par David Thomson, le 6 décembre 2015, en pleine élection régionale, le rejet des partis politiques conventionnels était on ne peut plus clair. L'un des combattants disait par exemple : « Je suis content, car le FN a le programme le moins hypocrite. Ils sont sincères dans ce qu'ils disent. C'est pas comme le PS qui vient, qui nous dit : "On vous aime, on est les moins pires" ou "C'est le moindre mal", comme disent certains prédicateurs, alors que c'est eux les pires. »

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Farhad Khosrokhavar, sociologue expert en radicalisation, proroge ce désaveu des partis traditionnels. « L'extrême droite tient un discours dur de pays de "croisés", m'a-t-il affirmé. C'est l'ennemi soit; mais c'est un ennemi "honnête" et "courageux", un peu comme eux et la manière dont ils envisagent leur interprétation "vraie" et "courageuse" de l'islam. » Selon Daech, les deux partis dits républicains ne montrent pas leur vrai visage et leurs vraies pensées. De fait, ils sont en effet persuadés qu'ils sont tout aussi racistes que l'est le Front national. Car en réalité, le FN dit ce que l'EI veut entendre. Adoubé par son prétendu courage politique, ou par le mimétisme de son discours sectaire, fort et autoritaire, le FN arrive à convaincre certaines branches djihadistes. Car Daech n'est pas le seul mouvement à saluer le parti d'extrême droite français.

Dans le documentaire intitulé Djihad : les recruteurs diffusé dans le cadre de l'émission Complément d'enquête, Omar Omsen, recruteur niçois pour le Front Fateh el-Cham, a aussi pris la défense du parti de Marine Le Pen. « Si les Français ne veulent pas la guerre, ils votent Marine Le Pen, dit ainsi le recruteur face caméra. C'est une femme, d'accord, qui est, on peut dire, raciste. Mais au moins, elle défend les vraies valeurs de la France […] »

Capture d'écran bien connue tirée d'une vidéo officielle de Daech l'État islamique

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Pour Nicolas Hénin, la légitimation des idées de l'extrême droite par Daech tient à ce qu'il nomme une « haine commune du multiculturalisme ». De la même manière – toutes proportions gardées, bien sûr – que l'obsession du Front pour l'immigration et l'islam, l'EI étrille – au sens strict, en l'occurrence – toute communauté religieuse autre que la sienne. Yézidis, chiites, chrétiens, juifs, athées, sunnites modérés : personne n'en réchappe sur les terres du Levant.

Pieter Van Ostaeyen, chercheur sur le sujet et « traqueurs de djihadistes sur les réseaux sociaux » comme il aime à se définir, a parlé à de nombreux soldats du califat. Même s'il reconnaît que ses interactions avec eux sont « actuellement compliquées en raison de la recrudescence de bombardements et de leur paranoïa », l'homme a pu évoquer plusieurs fois le sujet des extrêmes politiques avec certains. Il me l'a expliqué ainsi : « Pour eux, le discours du FN n'a rien de choquant. Ils pensent même que le FN est dans son droit patriotique de défendre ses valeurs. Or, les valeurs nationales selon eux, c'est une France chrétienne et blanche. ». Cette façon d'envisager la politique et le monde est, pour le chercheur, « bien plus de la simple propagande pour inciter les musulmans à quitter la France et rejoindre leur califat. C'est dans leur idéologie. C'est simple : les musulmans n'ont rien à faire en occident. »

Daech observe chaque déchirement occidental avec plaisir et espoir. Le Brexit a, par exemple, été pour eux une immense victoire.

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Outre ce soutien idéologique, l'EI agite le drapeau du FN pour servir ses intérêts. « Derrière cette étrange communication se cache une envie de normaliser le discours du Front national, comme si c'était le discours politique majeur en France », poursuit Van Ostaeyen. Car, depuis quelques années, l'extrême droite a changé de visage dans le paysage politique français. Autrefois marginal et agité en vue de choper quelques voix éparses en marge du duel droite-gauche, le Front national est devenu omniprésent. Et notamment dans les médias. Télévision, radios, journaux, éditos : le parti s'approprie le jeu politique.

Toujours pour Pieter Van Ostaeyen, « la montée du Front national en France ne peut être qu'une bonne nouvelle pour eux [Daech]. Premièrement, ça confirme que, selon eux, le discours islamophobe est majeur en France. Et deuxièmement, ça renforce le climat d'antagonisme contre les musulmans. Enfin, ils observent chaque déchirement occidental avec plaisir et espoir. Le Brexit a, par exemple, été pour eux une immense victoire. »

Selon Reuters, Daech aurait récemment perdu 30 % de ses territoires en Syrie et en Irak, de même qu'un nombre important de soldats cadres et de généraux. Repoussé dans le nord du pays, à la frontière avec la Turquie, dans le Rojava, le groupe islamiste de sinistre réputation est en passe de perdre définitivement Minjeb et sa dernière route de ravitaillement en troupes vers la Turquie. Il va sans dire que l'organisation a besoin, plus que jamais, de réconfort dans l'immédiat. Les renforts humains ne semblent plus être d'actualité, tant rejoindre Daech au Levant est devenu difficile.

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C'est pourquoi, dans plusieurs vidéos récentes et officielles, des djihadistes français ont appelé leurs adeptes à ne plus les rejoindre. Mais plutôt, à frapper aussi fort que possible sur le sol français – comme à Nice.

D'un proto-État, l'organisation se mue petit à petit, au fil des bombardements et des défaites, en un groupe terroriste plus traditionnel. Et dans cette configuration, quoi de mieux que le FN pour pousser ses sbires encore hésitants à passer à l'acte? Selon Van Ostaeyen, « pour eux, les musulmans de France n'ont rien à faire dans ce pays – surtout en temps de guerre. L'EI dit que les musulmans doivent être régis par la charia, la loi de Dieu. C'est pourquoi vivre en démocratie, sous une loi dictée par les hommes, n'est pas envisageable. »

Selon d'autres témoignages de djihadistes, rapportés également par David Thomson, une victoire du FN aux régionales de 2015 aurait été « une humiliation pour ces pseudo-musulmans de la République, qui défendent les valeurs de la laïcité. Quant aux vrais musulmans, ça les poussera à faire la hijra [départ pour une terre d'Islam, NDLR]. » Un coup de pouce du destin qui aiderait certains musulmans à « prendre conscience et plier bagage », selon un autre pion du califat – ou à commettre des attentats.

De fait, une victoire ou au moins un gros score du FN aux présidentielles de 2017 accentuerait et crédibiliserait le discours du parti comme principale force politique française : « le premier parti de France », comme il aime à se définir. Dans une entrevue donnée à la Tribune de Genève , l'islamologue Olivier Roy confirme le jeu stratégique de l'EI. « Le discours de Marine Le Pen prospère sur le terrorisme et la peur qu'il inspire, et Daech voit cela d'un très bon œil. »

Selon Farhad Khosrokhavar, au niveau français comme européen, il existe une raison double du support des droites nationalistes. « Premièrement, l'extrême droite européenne rejette tout le temps les musulmans. Ça facilite grandement leur travail de culpabilisation de ces populations qui peuvent croire qu'elles vivent un pays qui n'en veut pas. Puis, en second lieu, il y a le discours théologique, qui veut que les musulmans n'aient pas le droit de résider dans des pays où ne règne pas l'islam. Avant l'EI, Al-Qaïda avait aussi fait usage de cette propagande. »

Depuis sa guerre contre l'occident et la France, Daech n'avait jamais menacé le FN. Mais en février 2016, la communication du groupe terroriste a pour la première fois explicitement mis en garde le parti d'extrême droite, dans le 8e numéro de Dar al-Islam, son magazine en langue française. Au détour du numéro, on pouvait voir la photo d'un défilé du FN un 1er mai avec les Le Pen père et fille, où apparaissait cette mention sans équivoque : « Cibles de premier choix ». Cette fois-ci, la menace était frontale. Mais qu'il soit la cible d'un attentat ou celle d'un exercice médiatique stratégique, le FN reste et restera un premier choix pour les combattants djihadistes français.

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