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C'est officiel : vous avez moins de chances de vous faire arrêter pour de la drogue si vous êtes riche

Sur les 200 000 personnes fouillées par la police britannique l'an passé, 93% d'entre elles provenaient de la classe ouvrière.

Un homme en train de se faire serrer à Soho, Londres

À une époque, la police britannique avait annoncé qu'elle allait « s'attaquer au problème de la consommation de drogue parmi les classes moyennes ». Il s’est avéré que c'était plus compliqué que prévu. Au final, ils ont même décidé de revenir à ce qu’ils savaient le mieux faire : serrer les consommateurs de drogues pauvres. Une étude à paraître menée par l'association Release – laquelle se bat pour protéger les consommateurs de drogue des abus en terme de justice – montre que les pauvres seraient plus susceptibles d'être arrêtés pour possession de drogue que les autres.

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D'autres résultats obtenus par des chercheurs de la London School of Economics devraient être publiés prochainement et prouvent que les classes supérieures – banquiers, médecins et avocats en tête – auraient trois fois plus de chances d'être relâchés après avoir été arrêtés en possession de drogue que leurs compatriotes chômeurs. Sur les 200 000 personnes fouillées par la police britannique l'an passé, 93% des condamnées provenaient de la classe ouvrière.

J'ai discuté avec le lieutenant Nick Glynn, vice-président de la National Black Police Association, pour savoir pourquoi les classes populaires étaient plus souvent victimes de ce type d'arrestations. « Ces chiffres ne surprendront pas les gens qu'ils concernent, a-t-il commenté. Si vous êtes pauvre, jeune, si vous venez d'un quartier défavorisé, et si vous êtes Noir, vous avez plus de chances d'être contrôlés par les forces de police. »

Pourquoi donc les flics de Londres visent-ils en priorité les classes populaires alors même qu'ils semblent savoir pertinemment que les populations aisées se droguent tout autant ?

« Certaines zones sont considérées comme “sensibles” par la police, m'a confié le lieutenant Glynn. Il existe des endroits où les policiers savent que les gens se rendent pour fumer du cannabis – ils n'ont qu'à aller les cueillir. »

L’une des raisons derrière tout ça, c’est l'intolérance croissante des autorités vis-à-vis des consommateurs de drogues. Tandis que la consommation de cannabis est en baisse au Royaume-Uni depuis une dizaine d'années, le nombre de personnes arrêtées pour possession de cannabis a augmenté sur la même période. Ceci est lié au fait que la multiplication des fouilles est un moyen simple de faire gonfler les chiffres, lesquels donnent l'impression que les autorités font leur boulot.

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Les conséquences portent en réalité sur l'efficacité globale des services de police anglais. En termes statistiques, une arrestation pour possession de drogue est considérée comme une « affaire résolue », au même titre qu’un braquage élucidé. Les agents dont le taux d'élucidation est élevé sont bien entendu susceptibles de progresser plus rapidement dans la hiérarchie ; à partir de là, pourquoi s’emmerder à enquêter sur des crimes plus difficiles à résoudre lorsqu’il suffit de remplir un quota en arrêtant deux ou trois hippies ?

Du cannabis trouvé dans une voiture lors d'une fouille

Il ne s'agit pas de dire que les flics ne font plus leur travail correctement. Ceci dit, le fait que le taux d'élucidation pour détention de cannabis soit de 98% indique forcément à certains d’entre eux comment faire du chiffre simplement et rapidement.

Par ailleurs, cette manière de faire risque également d'être à l'origine d'une prophétie auto-réalisatrice. Plus la police surveille certaines groupes, plus ils seront marginalisés. Plus ils seront marginalisés, plus ils seront hostiles à la police, et plus la police sera dure avec eux.

Dan Silver est le président de la Social Action and Research Foundation, association qui étudie la pauvreté et ses conséquences en Angleterre. Il m'a expliqué que la situation actuelle s'inscrivait dans une double logique de retrait de l'État sur le plan social et de renforcement de la répression.

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Pourtant, il doit bien y avoir des policiers issus de milieux modestes, conscients qu'il est préférable pour tous d'éviter de diaboliser un groupe social particulier si l'on souhaite éviter de causer des problèmes sur le long-terme.

Le lieutenant Glynn n'en est pas si sûr. Selon lui, les services de police seraient de moins en moins proches des classes populaires. « La sociologie des agents de police – et ce d'autant plus que l’on monte en hiérarchie – montre une majorité de membres des classes moyennes. Il existe une tendance dans la police à regarder les classes populaires de haut – une sorte de lutte des classes institutionnelle. »

Un policier à Brixton

Un autre problème vient du fait que le nombre de policiers londoniens vivant à Londres est en baisse, et que ceux-ci risquent donc de se sentir moins investis, moins proches des gens qu'ils sont censés protéger. D'après le lieutenant Glynn, ce problème existe pour de bon, à tel point qu'une campagne vient d’être lancée dont le but est de recruter de nouveaux policiers habitant Londres même. « Lorsqu’on vit en dehors, on ne fait plus partie de la même communauté. Le rapport à la ville n'est plus le même. Ces policiers font le trajet le matin, traitent les problèmes des Londoniens la journée, et rentrent chez eux le soir sans se sentir concernés outre mesure. »

Pour lui, ce gouffre grandissant entre la police et les civils – et les comportements qu'il engendre – est à mettre en relation avec l'affaire Ian Tomlinson, décédé en 2009 après avoir été molesté par un policier en marge d'une manifestation à Londres. « Cette affaire est souvent prise comme exemple de l'attitude déplorable de la police à l'égard de la population. Tomlinson a été traité comme un animal, et ce uniquement à cause de son apparence. »

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Daniel Bear, criminologue canadien ayant étudié de près les policiers de la ville de Londres entre 2010 et 2011, m'a expliqué qu'il avait remarqué que les services de police divisaient la population en deux groupes : ceux qui paient des impôts, et les autres.

« De nombreux agents semblaient voir une relation entre le fait d'être pauvre et la propension à enfreindre la loi. “Il faut surveiller les pauvres et protéger les riches”. Ceux qui ne paient pas d'impôts sont perçus comme des parasites. Les gens qui ont un revenu régulier, des enfants et une jolie maison sont en revanche dignes de confiance et méritent qu'on les aide. »

Un agent de police lors d'une fouille, à Soho

Heureusement, l'apparence n'est pas un motif suffisant pour arrêter qui que ce soit. En revanche, certains policiers peuvent justifier leurs fouilles abusives en se plaignant du comportement de ceux qu'ils arrêtent. « J'ai vu de nombreuses fouilles tout à fait arbitraires. Un agent se vantait de pouvoir trouver un motif d’arrestation pour n'importe quelle situation. Il suffisait que le mec en face s'appuie sur le capot d'une voiture pour qu’il soit arrêté. »

En avril dernier, la secrétaire d'État à l'Intérieur Theresa May a demandé aux services de police de diminuer le nombre de fouilles. Mais les réclamations de Release, qui souhaitait que la lutte contre la détention de cannabis ne soit plus utilisée comme un moyen de gonfler les chiffres, sont restées sans suite. Niamh Eastwood, le président de l'association, voit dans la dépénalisation le moyen le plus simple de régler le problème.

« Nos lois permettent aux policiers de fouiller les membres d'un groupe social spécifique. Si Therese May veut réellement mettre fin aux abus de la police de Londres, elle doit commencer par réformer la loi. Elle doit rendre impossible d'infliger des sanctions pénales à de simples détenteurs de drogue douce. »

Il existe bien sûr nombre de policiers préoccupés par le sort des populations qu'ils défendent. Mais laisser la police remplir des quotas en arrêtant des détenteurs de petites quantités de drogue, c'est risquer de voir certains groupes sociaux être de plus en plus marginalisés. Or, le rôle de la police est bien de limiter toute fracture sociale – pas de les provoquer.

@Narcomania / @tomjohnsonuk