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Music

YG : « S'il le faut, je serai le porte-parole de la rue »

Le rappeur californien nous a parlé de tout ce qui l'emmerdait : Donald Trump, les abus de la police et les rappeurs célèbres qui refusent de s'exprimer sur les évènements récents.

Photos - Jason Favreau

Il y a quelques jours, j'observais YG pénétrer dans la pièce où l'on s'était fixé rendez-vous. Il a commencé à inspecter les rafraichissements disposés sur la table, ouvrant un paquet de fruits secs en jetant un oeil sur les sodas, avant de demander une bouteille d'eau. Il déambulait avec une grâce quasi-féline ; à la fois nonchalant mais très présent. Il portait une casquette rouge 4Hunnid, un T-shirt blanc uni, un short treillis et des baskets sans chaussettes - en apparence, juste un mec qui traîne au coffee shop du coin de la rue. Il y a deux ans et demi, quand le rappeur de Compton faisait la promo de son premier album, My Krazy Life, il avait une lassitude de branleur qui lui donnait un côté wannabe. Aujourd'hui, YG semble beaucoup plus sûr de lui. On peut deviner le charisme et l'importance du mec sans avoir aucune idée de qui il est et de ce qu'il fait. Il pourrait aussi bien être entrepreneur qu'acteur, ou meilleur gangsta-rappeur que L.A. ait produit en 25 ans - ce qu'il est très certainement.

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Même si l'industrie musicale est régie par les singles , YG —qui en a balancé plus d'un par le passé avant de se faire une place au sein de la scène de L.A.— a élaboré avec son nouveau disque Still Brazy, un véritable album - pas un produit commercial riche en featurings ou reposant sur un concept aussi cryptique que foireux. C'est un conçu comme un univers sonore autonome et cohérent, qui résume sans se forcer, tout en retenue, trois décennies de rap californien. Le moment le plus pop du disque, « Twist My Fingaz » est un rework costaud de classiques du G-Funk. Quant à « Why You Always Hatin’ », un des deux seuls titres avec un feat étoilé (Drake), c'est un pont jeté vers la Bay Area (sous la forme d'un couplet laissé à l'excellente rappeuse d'Oakland, Kamaiyah), comme pour rendre hommage à tout ce qui a fait la qualité du rap West Coast des 90's.

Still Brazy est bourré de récits psychologiquement éprouvants, de doigts d'honneur et d'une grosse dose de pragmatisme politique. Il analyse sans fioritures les coups durs vécu par le rappeur (on a tiré sur YG alors qu'il était dans son studio pendant l'enregistrement de l'album) sur « Who Shot Ya », qui penche plus vers Dre que BIG. Le morceau final, « Police Get Away with Murder », énumère les meurtres perprétrés par la police sur des citoyens désarmés, de Kimani Gray à Laquan McDonald, et finit sur cette note : « et ils se demandent pourquoi je passe ma vie à regarder par dessus mon épaule »… L'horizon est sombre, et YG le scrute minutieusement.

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Mais le titre qui surpasse tous les autres est le single « Fuck Donald Trump » aux côtés de Nipssey Hustle. Aussi impropable que ça puisse paraître —on a quand même affaire à un rappeur devenu célèbre grâce à un morceau intitulé « Toot It and Boot It »—c'est devenu la protest song définitive de cette année pré-élection, une année aussi asurde que controversée. Une oeuvre d'art politique et badass à la fois, avec son refrain (« Fuck Donald Trump ! ») qu'il est impossible de ne pas reprendre en gueulant, à n'importe quel moment du morceau. YG m'a dit que les gens criaient « Fuck Donald Trump » dès qu'ils le croisaient dans la rue. Il est devenu le doigt d'honneur contre le plus gros démagogue d'Amérique, une voix du côté du peuple, de la raison, qui, étant donné toute la publicité accordée à Trump, semble plus que jamais, profondément et viscéralement nécessaire. YG a toujours été cool, mais il est peut-être en train de devenir plus cool que jamais.

Noisey : Ca fait quoi de voir que Still Brazy sort enfin et que tout le monde peut l'écouter partout dans le monde ?
YG : Bordel, ça fait du bien. J'ai eu une mauvaise passe à un moment, la sortie de l'album m'a soulagé. Le fait de le diffuser et de commencer à tourner un peu partout, c'est une très bonne nouvelle. Comment s'est passée la collaboration avec Terrace Martin ?
C'est mon homie. Il était déjà sur mon premier album. Il en a fait un peu plus sur celui-ci. J'aime bien bosser avec lui, c'est un vrai musicien, et un vrai producteur. Je peux lui soumettre des idées tout le temps, genre « j'aimerais bien que tu gères ce sample » et il saura comment faire. Il y a beaucoup de gens dans la musique, qui ne sont pas de vrais producteurs ; ce sont juste des beatmakers. Donc quand tu as l'occase d'avoir ce type de personne à tes côtés, tu veux la garder, parce que c'est une chose rare. Selon toi, quel morceau reflète le mieux le talent de songwriter et d'arrangeur de Terrace ?
« Bool, Balm & Bollective ». Pourquoi celle-là ? Vous bossez comment ensemble ?
Il a composé le beat de ce titre à la cave. J'ai entendu ça de loin, je suis descendu et je lui ai dit « ouais, c'est bon ça, je crois que j'ai un truc qui colle ». Et j'ai commencé à rapper dessus. Voilà comment ça se passe pour moi : j'entends un beat, et s'il me plaît, je le défonce aussitôt.

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De quoi parle « Don’t Come to L.A. » ?
C'est un morceau sur les gens de l'extérieur qui viennent habiter à L.A., et qui revendiquent la culture et le style de vie d'ici. Alors qu'ils n'appartiennent même pas à cette ville. Voilà le message. Il faut que les négros empêchent ce phénomène de se perpétrer. Ça dilue tout, et il y a beaucoup de gens qui pensent la même chose. Mais ils n'ont pas la tribune et la portée pour se faire entendre, afin que ces enfoirés le sâchent. Perso, je trouve ça merdique. Et je me devais de le dire. À propos, comment as-tu ramené Drake sur « Why You Always Hatin’ » ?
D'une façon tout à fait normale. Tout le monde continue à me poser la question. Je lui ai envoyé la chanson, il a dit qu'il était opé, il a posé son couplet dessus et me l'a rebalancé, et le morceau est sorti. Voilà. Et Kamaiyah ? Il y a un vrai lien entre vous deux. Qu'est ce qui t'a plu dans sa musique ?
Elle va percer. Elle a son propre style, son propre son. J'avais jamais entendu un truc pareil, jamais vu de rappeuse sortir d'Oakland avec un tel talent. Elle a la dalle. Ils ont vraiment leur délire là-bas, loin de l'industrie musicale. Ils ont l'impression que Oakland est sousestimée, à l'image de la grande période de la Bay Area. Donc elle a beaucoup de choses à prouver. Et elle tue. Il y a une connexion musicale entre la Bay et L.A. en ce moment ?
On est sur la même longueur d'ondes. La Bay est à fond sur moi. Vraiment à fond. Je fais de la musique depuis 2008, et je traîne avec eux depuis le début, je fais des concerts au quartier, dans le ghetto. J'y tourne des clips, tout ce genre de trucs. Tout le monde écoute la musique de tout le monde en ce moment, de toute façon.

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On t'a posé beaucoup de questions sur la vidéo que t'as tourné avec un thérapeute pour VICELAND ?
Ouais, les gens ont apprécié. Ils ont dit que ça leur avait parlé, touché direct au coeur, qu'ils avaient pleuré même. J'ai entendu des trucs tarés là-dessus. Les miens m'ont souvent dit que je devais aller voir un thérapeute, donc je l'ai fait, et j'ai laissé VICE filmer. Il faut faire des choses qui sortent de l'ordinaire parfois. Quelle est la réaction la plus bizarre que t'aies reçu ?
Mon père m'a chopé : « Il faut qu'on parle, bonhomme. J'ai entendu ce que t'as dit dans cette vidéo. Il y a des trucs qui m'ont ouvert les yeux sur certaines situations. Il faut qu'on en discute. » Je lui ai répondu « Mais de quoi tu veux qu'on parle putain ? Tu me fous la trouille, négro. » Mais bon, voilà. Le morceau « Police Get Away with Murder » est plus que jamais d'actualité. C'est un titre plus important que les autres ?
C'est un truc qui se passe maintenant, sous nos yeux, et franchement, il n'y a personne au sein du rap, de notre communauté, qui en parle vraiment, qui met la pression sur les autorités, qui parle au nom des gens d'ici. Tout ça s'est produit au moment où je bossais sur l'album. Moi, mes homies et tous les autres gens du coin, on parlait tout le temps de ce qui se passait : le cas Mike Brown, le cas Eric Garner, et tous les autres innocents qui ont été tués par la police, ce qui se passait à Baltimore, et tout le reste.

Donc on en discutait, et je suis le genre de gars qui; au bout d'un moment; en a marrer de causer. C'est soit on fait quelque chose, soit on se tait. Et c'était tellement présent dans nos vies… Il n'y avait que ça à la télé, donc je me disais : qui va se décider à l'ouvrir vraiment ? Les gens parlent et parlent mais ça n'a jamais l'air d'une menace parce qu'ils le font d'une manière trop soft. J'ai dû en prendre la responsabilité. J'ai fait le morceau, et la situation n'a fait que s'aggraver depuis.

Les miens m'ont dit de mettre le morceau en ligne pendant les évènements de Baltimore, mais j'étais là, « nah, je vais pas sortir ça maintenant pour que les gens pensent que j'essaie de capitaliser là-dessus. Je vais le garder pour mon album parce que c'est du lourd. » Le merdier a continué, c'est pour ça que d'autres titres comme « Fuck Donald Trump » et « Blacks and Browns » sont arrivés. J'avais un certain état d'esprit pendant que je bossais sur mon album, on parlait des bavures tout le temps, donc j'étais obligé d'en faire des morceaux. Tu penses que l'heure est venue pour les artistes d'écrire là-dessus ?
Ouais, tous les enfoirés doivent le faire parce qu'on essaie de noyer le poisson. J'en ai ma claque de voir que des tas de types qui ont atteint la gloire grâce au rap ne se bougent pas, tu devrais ressentir ça comme une obligation quand tu fais partie de la culture hip-hop, point barre. C'est pour ça qu'on l'a construite. Ça a commencé avec des artistes qui parlaient de ce qui se passait dans leur communauté et dans la culture qu'ils utilisaient pour réveiller tous les autres et les pousser à s'impliquer, et dire à ceux d'en haut qu'on était là, qu'on se serrait les coudes quand il le faudrait. Et ce n'est pas ce qu'il s'est passé, alors j'ai voulu agir. Avant, ta musique ne parlait que de passer du bon temps. Maintenant, tu chantes « Fuck Donald Trump ». Tout le monde doit te parler de politique, non ?
Je ne suis pas un politicien. Mais je sais juste séparer le bien du mal, et mon peuple sait qu'en ce moment il y a beaucoup de mal de fait, mes frères en ont marre. Je parle au nom de la rue, pour les gens qui la vivent. S'il le faut, je serai leur porte-parole. Je ne suis pas un politicien. Je ne peux pas parler trop longtemps de cette merde non plus. Mais je sais quand ça ne va plus, bro.

Justin Staple et Kyle Kramer sont sur Twitter.