Blonde Redhead ne se sentent toujours pas concernés par la réalité

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Blonde Redhead ne se sentent toujours pas concernés par la réalité

Malgré une erreur de briefing et un état semi-comateux, Kazu Makino, chanteuse/guitariste du groupe new-yorkais, a quand même réussi à nous parler de hip-hop, de chevaux et de chaussettes.

Il faudra un jour penser à rendre hommage à tous les tentatives ratées de « Range Tes Disques ». Après The Cult (qui donnera lieu à une excellente interview malgré tout) et Suicidal Tendencies (qui ont tout simplement refusé de nous parler), c'est au tour de Blonde Redhead de se casser les dents sur notre rubrique dans laquelle un artiste fait le ménage dans sa discographie en rangeant ses albums du moins bon au meilleur. Le trio New-Yorkais semblait pourtant tout désigné pour l'exercice, lui qui est passé par quelques-uns des meilleurs labels indie du circuit, de Smells Like Records (label de Steve Shelley, batteur de Sonic Youth) à 4AD en passant par Touch And Go, et qui semble aujourd'hui avoir atteint un état de grâce et de sérénité avec son excellent nouveau EP 3 O'Clock, après plusieurs années de tempêtes.

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Mais voilà, comme dans un couple, une équipe de créatifs ou une bande d'aventuriers urbains en trottinette, la communication est un élément vital dans un groupe. Et il s'est très vite avéré, en entamant la discussion avec Kazu Makino, la chanteuse/guitariste du groupe, que personne ne l'avait avertie de la nature assez particulière de l'entretien. Réveillée par son manager après trois heures de sommeil, elle surnage dans le potage, articule difficilement les mots, croyant au départ que je veux qu'elle range l'ensemble de sa discothèque. Et pourquoi pas passer l'aspirateur aussi ? Impossible pour elle d'improviser le quelconque ordonnancement de l'œuvre du groupe, surtout sans l'avis des jumeaux Pace qui en forment les autres deux tiers. Dans un semi-coma, elle lance qu'elle n'est pas du genre à se retourner sur le passé. Qu'elle aime se projeter dans l'avenir, parler de l'instant présent. L'entretien est mal enquillé, mais pas question de laisser Kazu pioncer sur son canapé. On s'est donc lancés dans une conversation improvisée pleine de réponses à des questions parfois pas vraiment posées.

Noisey : Bon, on va parler du nouveau EP. J'ai l'impression que le groupe est entré dans une nouvelle phase de sa carrière depuis Barragán et que cet EP se pose dans sa continuité.
Kazu Makino : Oui, peut-être. On sent comme une plus grande liberté. J'ai écrit assez vite en ce qui concerne ma partie, ma contribution. Je travaille beaucoup. Je me sens un peu plus courageuse.

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Ça correspond aussi à une époque où vous avez changé de label.
Tout ça relève du mystère pour nous tous, et par là, je veux dire tous les groupes. J'ai toujours un grand respect pour les majors du disque, mais je ne sais pas à qui nous appartenons pour le moment. Quand je tombe sur un nouveau groupe ou un nouvel artiste - en hip-hop notamment, vu que j'en j'écoute beaucoup - je ne fais pas attention à son label. Je m'intéresse juste à son origine. Je pense que c'est plus important que son label.

Tu parles de hip-hop, c'est un genre où tu trouves quelque chose de neuf et d'enthousiasmant ?
Oui c'est un genre qui m'attire beaucoup en ce moment. Mais je trouve la pop mainstream très intéressante aussi. Je ne sais pas si c'est parce que je n'y avais jamais prêté attention et que maintenant, je comprends. C'est une période très difficile pour les groupes de rock mais excellente pour la musique pop.

Vos deux premiers albums ont fait l'objet d'une réédition l'an dernier, ils représentaient quelque chose de spécial pour vous ?
Oui, c'est le point le plus éloigné de là où nous sommes aujourd'hui. C'était donc, assez naturellement, la première chose que nous avions envie de re-documenter.

C'était marrant de…
[Coupant la question] Je ne m'en suis pas occupée. J'ai vraiment du mal à regarder en arrière. Je suis plus dans l'instant ou à m'occuper de l'avenir. Je n'aime pas être dans la nostalgie de quoi que ce soit. Je n'aime pas parler de mes souvenirs et de trucs comme ça. Mais les frères adorent ce qu'on a fait par le passé alors que j'ai horreur de me replonger dedans.

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Tu n'étais donc vraiment pas la bonne personne pour ce « Range Tes Disques » !
Oui, c'est vrai. Mais tu sais, il y a une chose à laquelle j'étais quand même attachée, c'est tout l'artwork. Car tellement de travaux n'avaient pas été utilisés. Le fait qu'on puisse donc reprendre toutes ces créations que personne n'avait jamais vues, j'en étais très heureuse. L'artwork du premier album avait été refusé par Steve Shelley qui ne l'aimait pas. Il l'a remplacé par celui de sa girlfriend, que je détestais. J'ai gardé ce que j'avais fait et leur ai dit que j'avais ce travail réalisé à partir d'une photo du visage d'Amedeo. J'ai été super contente qu'on l'utilise enfin.

Cette réédition rend encore plus évidentes les grandes phases musicales de Blonde Redhead. Sans te faire tomber dans la nostalgie, tu saurais les décrire ?
Vraiment, tu trouves que ça a tant changé que ça ?

Oui après les débuts, votre son est devenu plus maitrisé, puis vous avez tenté la pop synthétique, et maintenant, c'est comme une nouvelle ère.
Je n'aime pas trop penser à tout ça de cette façon. Mais bon, je ne vois pas grand-chose aujourd'hui, mes yeux sont encore plus petits qu'hier… Bon, il y a dix ans, mon visage n'était pas le même, tu vois ce que je veux dire ?

Votre musique aussi était différente, et il y a 20 ans encore plus.
Oui mais tu sais, je vais partout où il y a de la place. S'il y a une ouverture, j'y vais. Sinon, je n'y vais pas. Tu ne peux pas rester immobile, et en même temps tu ne changes pas tant que ça. C'est donc très ambigu pour moi, peut-être juste des changements superficiels. Mais j'aime encore sentir le frisson, l'excitation.

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Sur scène aussi ? Ça va mieux qu'à tes débuts où tu souffrais d'un trac maladif ?
Ça va mieux, je peux parfois me sentir nerveuse mais c'est un mélange d'éléments : tu as peur mais tu l'as fait tellement de fois que ça finit par passer. Sauf parfois où tu te sens vraiment fatiguée, comme aujourd'hui, j'aimerais vraiment pouvoir me reposer avant de monter sur scène. D'autant que j'aime tellement jouer à Paris. C'est ce que j'aime faire donc je suis quand même reconnaissante. Mais j'essaie de faire attention à moi.

Après cet EP, vous vous mettez à un nouvel album ?
Je dois d'abord finir mon album solo. J'ai commencé à enregistrer les voix, les deux tiers sont faits. Je l'aurai peut-être fini avant la fin de l'été. C'est après qu'on pourra penser à un album pour le groupe dont je me suis un peu éloigné ces temps-ci. C'est pour ça aussi que c'est plutôt bien de revenir sur scène avec les jumeaux.

Tu y pensais depuis longtemps à ce disque solo ?
Non. J'étais dans une situation financière difficile et il m'a fallu réagir. Je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose seule. Il s'est avéré que ça a été une bonne chose d'un point de vue créatif, ça m'a ouvert les yeux sur le fait que je devais le faire. Dans le même temps, j'ai rencontré le producteur Nosaj Thing avec lequel j'avais réalisé le hit « Eclipse Blue » il y a quelques années. J'ai donc commencé à enregistrer avec lui, puis on a fait le EP avec le groupe. J'ai donc constamment enregistré ces derniers temps, c'est comme une drogue dont je ne peux me passer.

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Comment les jumeaux ont réagi à ton album solo ?
Pour moi, il était vraiment important de séparer mes chansons de celles du groupe.

Tu disais que tu n'aimais pas la nostalgie mais en tournée, tu dois composer avec les anciens classiques que réclament les fans.
Oui mais une tournée, c'est tellement physique que tu n'as pas de temps pour les sentiments. Ce sont des moments violents, j'avance un peu comme au milieu d'un orage. Et nous gardons beaucoup d'éléments d'improvisation qui rendent l'ensemble toujours intéressant.

Quels sont ces moments violents dont tu parles ?
Je parlais surtout musique, celle que l'on joue n'est pas du genre mollassonne, nous devons nous projeter mais de façon intelligente.

Pourtant depuis Barragán, j'avais l'impression que le groupe avait trouvé une forme de sérénité…
J'aime jouer les nouveaux titres que je trouve à la fois plus froids et plus groovy. J'adore ces moments, c'est quelque chose de nouveau pour moi. Je n'ai pas souvent le temps de regarder le public et les réactions des gens mais sur les nouveaux titres, j'essaie parfois de le faire.

Tu as toujours été passionnée de chevaux. As-tu toujours le temps, et surtout, l'argent ?
Noooooon et c'est une des raisons de mon album solo. J'ai dépensé une grande partie de mon argent pour les chevaux et suis devenue si pauvre à tout claquer pour ce sport. Ça a occupé une grande partie de ma vie et ça a été très difficile de couper les ponts mais je devais le faire tellement j'allais sombrer. C'était dingue, seuls des millionnaires s'investissent autant dans les chevaux comme je le faisais. Il m'a donc fallu faire un choix et je me suis séparée de mes chevaux. Je suis venue en Europe et j'ai eu la chance de pouvoir aller chez un ami. Je me suis reposée car je commençais à aller mal, et j'ai commencé à écrire mes propres morceaux. J'ai compris que j'adorais ça. Il m'a aidé à financer l'album et j'ai commencé à enregistrer à New York et Berlin. Donc plus de temps pour les chevaux.

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Ils te manquent ?
Oui, je pense à eux à chaque heure du jour et dans mon sommeil. Peut-être un jour aurai-je suffisamment de succès pour m'y remettre.

Ils t'ont pourtant valu un grave accident que tu évoquais dans le morceau « Equus » à la fin de Misery Is A Butterfly.
Je les évoque dans de nombreuses chansons comme « Black Guitar », « Anticipation », « Equus »… Il y en a tellement.

C'est ta première source d'inspiration ?
Ça dépend, parfois ce sont les hommes, parfois les chevaux, presque toujours l'un des deux. Parfois ma meilleure amie…

Et le contexte politique du moment ?
Oui, j'en suis consciente mais ce n'est pas mon boulot de parler politique même si je me sens très concernée. Nous devons jouer le rôle de filtre et n'avons pas à balancer des slogans et des déclarations.

Sans parler directement politique, le contexte social a longtemps été une source d'inspiration ou de motivation pour des artistes des scènes du rock américain avant vous…
Cela va revenir comme par vagues… Mais je tends à vivre comme à travers un microscope. Par exemple, un jour où Trump a balancé quelque chose de stupide, on était tous désespérés. Je suis partie me balader avec mon cousin qui se marrait car j'étais en train d'examiner une de mes chaussettes, peut-être à me dire intérieurement qu'elle n'était pas très confortable. « Tu vois, ce monde va à sa perte et tu parles de ta chaussette » m'a-t-il dit. C'est vrai que je suis un peu comme ça. Je ne suis pas très concernée par la réalité.

Pascal Bertin a bien rangé ses disques. Il est sur Twitter.