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La vie, ça va passer

Le mariage est la seule chose qui m’émeut

Quoi de plus bouleversant que deux fous choisissant de foncer tête baissée vers un échec quasi inévitable ?
Paul Douard
Paris, FR
Illustration : Pierre Thyss

Avant 25 ans, l’été consiste à se payer un Interrail pour boire de la vodka dans un pays étranger jusqu’à échanger des fluides corporels avec un(e) inconnu(e), puis à vomir dans une poubelle – exception faite des fétichistes du travail qui occupent les bibliothèques en vue d’un concours qu’ils n’auront jamais. Mais au milieu de cet épicurisme caractéristique de la jeunesse française CSP+, il arrive que la panique vienne les frapper : il faut se rendre en Meurthe-et-Moselle pour assister au quatrième mariage de votre tante Monique. 24 heures avec des gens que vous n’avez pas vus depuis votre naissance et avec qui vous allez devoir discuter. C’est la famille, impossible de se défiler ni même d’émettre une quelconque réserve quant au concept du mariage.

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À cause de cela, j’ai longtemps vu le mariage comme un truc pénible que les vieilles personnes font quand elles ont peur de la mort. C’est sans doute vrai. Lors de chaque noce, je ne suis ni ému, ni abattu. Je suis juste là, indifférent. Surtout, l’idée de dépenser en moyenne 20 000 euros pour inéluctablement divorcer dans les 10 années qui suivent me donne un étourdissement.

Après 25 ans, les mariages auxquels je suis invité se succèdent à une vitesse grandissante. Les gens vieillissent et refusent de mourir seuls dans leur T2 meublé en regardant la saison 16 de La Casa del Papel. Si je pousse toujours un soupir de fainéantise à chaque faire-part trouvé au fond de ma boîte aux lettres, coincé entre deux factures EDF, les choses ont néanmoins changé sur un point : ce n’est plus Monique qui se marie, mais mes potes. Et tout récemment, je suis surpris à me réjouir de leur bonheur.

Cet été, au moment du consentement devant Dieu de Stéphanie et Maxime – deux amis de la fac de droit qui aujourd’hui défendent des pédophiles et autres tueurs en série –, toute la noirceur et le nihilisme qui m’habitent quotidiennement ont alors quitté mon corps. Une sorte de frisson me traversa, comme si j’avais été touché par la grâce divine. Je passais même outre le fait que j’étais alors habillé comme un con, en sueur, incapable de reconnaître ma grand-mère parmi toutes les personnes âgées présentes. Je songeai même à porter un nouveau-né dans mes bras, pour lui faire des grimaces stupides afin de célébrer la vie. Je ne savais pas ce qui m’arrivait. Ma mère, par l’intermédiaire de Dieu, essayait-elle de me faire passer un message ? Étais-je déjà trop ivre ? Avais-je un cancer du pancréas ?

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Voulant abattre cette montée de bien-être qui germait en moi, j’ai naturellement cherché une citation de Michel Houellebecq sur mon téléphone – citation qui aurait dû me replonger dans le chaos et l’abîme. Mais non, il n’y avait rien. Si même lui – qui s’est pourtant marié deux fois – n’a jamais profité de ses romans pour disséquer le mariage comme il le fait avec la vieillesse ou les supermarchés, c’est bien qu’il doit y avoir quelque chose de spécial dans ce manège.

J’étais définitivement envahi de bonheur. Mes repères avaient disparu et ma vision du monde s’en voyait troublée à jamais. J’essayais tant bien que mal de me persuader que tout ça n’était qu’une affaire de tranche d’imposition et de liste de mariage pleine d’écrans plasma et de voyages aux Caraïbes. Mais ces deux amants pleuraient devant tout le monde au moment de se dire « oui ». Et moi aussi, j’avais moi aussi envie de pleurer très fort et de crier.

C’est alors que je compris une chose qui ne m’avait pas sauté aux yeux jusque-là : le mariage est un truc magnifique, surtout quand on connaît les mariés – ce qui n’est pas le cas de tante Monique. Quand un pote se marie, on repense à toutes les fois où il a chialé ivre mort à côté d’un panneau stop, celles où il était heureux avec une autre, où il me détestait, où il disait que jamais il ne se marierait. Un mariage, c’est voir son pote comprendre la vie, que toutes ces étapes ne l’ont conduit qu’à cet instant.

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Alors oui, un mariage sur deux se termine en divorce. Mais malgré cette donnée statistique qui devrait ramener n’importe quel marié à la raison, deux fous choisissent de foncer tête baissée vers un échec quasi inévitable. Conscients du désastre qui se profile à l’horizon, ils décident de courir main dans la main vers un précipice et d’y sauter en même temps. C’est comme se suicider à deux en espérant tromper la mort. C’est beau. C’est une version moderne de Roméo et Juliette où l’INSEE joue le rôle des Montaigu qui refusent l’union et le replay disponible sur la box, le poison qui aura raison d’eux.

Finalement, le mariage reste le dernier bastion face à ces amants qui ne cherchent qu’à exclure le doute et la spontanéité en gérant leur couple comme un tableau Excel. Aujourd’hui, je suis autant ému devant un mariage que devant la souffrance animale. J’ai ressenti le même anéantissement en voyant mes amis se marier qu’en regardant la vidéo du policier qui bloque toute une autoroute pour laisser traverser une famille de canards prise au piège. (Celle où il les sauve d’un égout est également très bien).

J’aurais pu écrire 100 articles pour vous dire que se marier est complètement con, inutile et une énième façon de facturer un service à des gens qui n’ont rien demandé. J’aurais pu écrire qu’il est temps d’arrêter l’escroquerie du « photographe » de mariageainsi que du « DJ » de mariage. Je pourrais aussi vous dire que se vanter d’une amitié de 20 ans avec des amis pour qu’ils vous pondent un Powerpoint Veolia sur votre jeunesse devrait vous pousser vers la dépression.

Mais dans un monde gris où il faut se rendre au travail en trottinette électrique, envoyer des textos qui restent sans réponse et aider ses parents à plier des piles de draps tout un dimanche, se marier est peut-être le dernier moment de bonheur naïf et égoïste qu’il nous reste et que personne ne peut nous retirer. C’est tant mieux. Et puis comme tout est statistiquement voué à mourir, autant vivre le plus de choses possible le temps qui nous est imparti. Après, nous serons à la merci d’aides-soignants qui attendent sagement de nous molester dans des « centres pour seniors ».

Lecteurs de VICE, buvez, baisez et marriez-vous si vous êtes heureux. Le reste n’a aucune importance.

Quand Paul ne va pas bien, il traîne sur Twitter .