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Non, le rap français de 1997 n'est pas ce que vous croyez

De La Rumeur à Tout Simplement Noir, en passant par Mafia Trece, Afrojazz, Monsieur R ou les Belges de Starflam : tous les classiques méconnus d'une année charnière.
Genono
par Genono

La tournée « L'Age d'Or du Rap Français », une version hip-hop du célèbre Stars 80, a remis sur le devant de la scène bon nombre d'acteurs de la première décennie médiatique du rap en France. Une époque particulièrement prolifique en classiques, ces disques intemporels que l'on peut encore réécouter vingt ans plus tard sans les trouver ringards ou dépassés. La période 1995-1998 est régulièrement citée comme la référence absolue, puisque tout ce qui est sorti avant 1995 sonne immanquablement vieillot –entre les bpm hyper rapides et les sonorités boom-bap vraiment très prononcées- et qu'à partir de 1998, le rap devient un truc cool et populaire, qui s'engouffre sans le moindre scrupule dans le mainstream.

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Cette époque légèrement mystifiée par la frange nostalgique des amateurs de rap a donc laissé à la postérité une série d'albums que tout le monde a forcément écoutés à un moment ou à un autre de sa vie. Le problème avec ce devoir de mémoire, c'est qu'il est très sélectif : si l'on cite sans hésitations L'École du micro d'argent, Détournement de son ou Paris sous les bombes, on a malheureusement tendance à oublier les très nombreux disques parus dans l'ombre, à une époque où on ne pouvait compter ni sur YouTube, ni sur Haute Culture pour annoncer la sortie d'un album de rap underground.

L'année 1997 est particulièrement représentative de cet état de fait. Prenez n'importe quel top, n'importe quel classement relatif à cette année, et vous obtiendrez toujours le même quinté d'albums : IAM, Fabe, Passi, la compile L432, et la BO de Ma 6T va crack-er. Un petit rebelle citera bien Rocca, la FF ou Neg'Marrons, mais tout le monde fera l'impasse sur Afro Jazz, Monsieur R, S-Kiv ou le défunt East –pour ne citer que les plus connus. Il est donc grand temps de rendre hommage à ces projets de l'ombre, dont beaucoup ont malheureusement fini par sombrer dans l'oubli.

L'exemple le plus frappant est peut-être celui de Tout Simplement Noir, systématiquement laissé de côté, pour tout un tas de raisons plus ou moins valables -alors qu'il aurait indubitablement sa place au panthéon des groupes de rap français, aux côtés de Lunatic, du Ministère Amer et de PNL. L'idée selon laquelle TSN est simplement arrivé trop tôt pour être en phase avec un public en retard constitue probablement l'explication la plus logique, d'autant que le décalage entre les précurseurs d'une tendance et son véritable succès est une mauvaise habitude dans l'histoire de la musique.

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Pour résumer, TSN est l'un des premiers groupes français à s'engouffrer dans la vague G-Funk et à parler de cul de manière aussi crue que festive. En plus de ce handicap volontaire –alors qu'il aurait été beaucoup plus vendeur de copier-coller des prods new-yorkaises en parlant de problèmes sociaux-, TSN ne fait rien pour rendre sa musique intelligible auprès du grand public, avec une grande part d'argot purement parisien dans ses textes. Résultat, si le premier album, Dans Paris nocturne (1995), trouve un certain succès d'estime et touche sa cible (un peu moins de 80 000 exemplaires vendus, ce qui serait excellent aujourd'hui, mais qui était parfaitement banal il y a 20 ans), la seconde galette, Le Mal de la nuit (1997), passe bien plus inaperçue et n'atteint que le quart du total des ventes du premier opus.

Pourtant, ce deuxième album possède globalement les mêmes qualités que le premier, et malgré l'absence de Mc Bees, il contient son lot de pépites, dans la continuité de Paris nocturne, au point de proposer des suites directes ou indirectes à certains morceaux, comme « À propos de tass' 2 » ou « Delakapitale », qui renvoie à « Negro Parigo ». Trop obscur, trop spécialisé pour parler directement au grand public, il peut sans trop de mal concourir pour le titre de meilleur disque de rap français de l'année 1997. Apothéose de ce disque particulièrement sous-côté, la dernière piste, sobrement intitulée « Solidarité noire », est l'un des plus beaux posse-cuts de la décennie, avec la moitié du Secteur Ä, les Sages Po', Doudou Masta ou encore Nemesis, une rappeuse que tout le monde a certainement oublié –moi y compris, avant de rédiger cet article- mais qui a marqué les esprits le temps d'un titre sur les Liaisons dangereuses de Doc Gynéco (1998).

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Cet album-compilation du Doc constitue d'ailleurs une transition parfaitement involontaire vers la suite de l'exploration de cette année 1997, puisqu'il contient des apparitions de Cochise, Awax et A.Speak, trois membres de la Mafia Trece, un collectif qui place trois projets entièrement auto-produits dans les bacs au cours de l'année 1997 -une performance tout à fait banale de nos jours, à l'époque des JuL et des Kekra, mais qui constitue un véritable exploit à l'ère du minitel. Le premier maxi du groupe, sobrement intitulé M13, n'est pas forcément indispensable mais constitue l'épine dorsale de l'album le plus important de la courte discographie de la Mafia Trece, Cosa Nostra. Malgré une relative réussite commerciale, le disque ne semble pas avoir marqué durablement le public français, puisqu'on cite rarement la Mafia Trece parmi les grands groupes de l'âge d'or. Peut-être conscient de son incapacité à durer, elle enchaîne d'ailleurs rapidement sur une suite de Cosa Nostra, avec un mélange de titres déjà parus, de titres inédits, d'Acapella et d'instrumentaux -un genre de vide-grenier, en somme. La carrière du groupe ne durera que trois ans, mais tout son parcours est entièrement résumé par cette seule année 1997 : un premier projet pour préparer le terrain, un album, et un bonus « fonds de tiroirs ».

Dans le genre « succès rapide, trois ans de carrière, et au revoir », le groupe Afrojazz suit quasiment la même trajectoire que la Mafia Trece. Après quelques années à vivoter dans l'ombre, puis un premier maxi en 1996, le trio parisien explose définitivement en 1997, avec l'album Afrocalypse. Un classique absolu, à la destinée paradoxale : on connait plus Afrojazz pour ses rapprochements avec NTM que pour son impact réel sur les auditeurs français, et quand on cite les collaborations entre rappeurs français et cainris, tout le monde oublie cet incroyable featuring avec Ol' Dirty Bastard -à l'époque où le Wu-Tang était au sommet absolu. La même année, quand IAM faisait un carton avec le titre « La Saga », personne ne trouvait bizarre de créditer « featuring Wu-Tang-Clan » alors qu'il ne s'agissait en fait que de Sunz Of Man -un peu comme si un rappeur d'aujourd'hui créditait « feat PNL » après avoir enregistré un titre avec la MZ.

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Beaucoup moins éphémère que les triennats de la Mafia Trece et d'Afrojazz, la carrière de La Rumeur démarre elle aussi en 1997 -mais ne semble toujours pas prête de s'arrêter. Malgré quelques apparitions durant les années précédentes, le premier disque de La Rumeur dans les bacs correspond à la sortie du EP Le Poisson d'Avril, premier chapitre d'une trilogie devenue mythique. Cinq titres qui n'ont toujours pas pris la moindre ride, et surtout ce solo d'Ekoué, « Blessé dans mon égo », qui inverse la problématique de l'identité nationale, et aborde la question depuis l'angle le plus inconfortable : le cul entre deux chaises. Perçu comme un Togolais en France, et comme un Français au Togo, paria d'un côté et touriste de l'autre, il résume, dès ce premier projet, tout ce que sera La Rumeur pendant les vingt prochaines années : un groupe capable de déplacer le terrain d'analyse pour poser les bonnes questions, en relevant les contradictions et en n'épargnant personne.

Proche de La Rumeur dans sa démarche très politisée et sans concession, Monsieur R fait également ses premiers pas dans les bacs en 1997 avec l'album Au commencement, dont une version du disque sort avec le tampon « certifié contre le Front National », à une époque où imaginer un membre de la famille Le Pen à deux doigts d'arriver au pouvoir est encore complètement inimaginable. La même année, L'Skradrille et La Brigade, deux groupes majeurs de l'histoire du rap français, posent également les premières pierres de leurs discographies perspectives. Dans un genre différent, 1997 est aussi l'année des débuts de S-Kiv, le mec qui accompagnera Alibi Montana quelques années plus tard au sein des MC Warriors le temps du célèbre sketch de Groland, « Un grand coup dans ton cul ».

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Une année particulièrement marquante pour le rap français, donc, et même de manière plus large, pour le rap francophone. Souvenez-vous par exemple de Starflam, un groupe belge que j'ai découvert pendant mes années collège. Plutôt enthousiaste face à ce collectif capable de faire les premières parties de la tournée d'Assassin, de feater avec La Caution, et d'inviter MC Jean Gab1 et Le Rat Luciano sur son album, je me suis rapidement heurté à l'opprobre de mes camarades. Pas pour des raisons artistiques, puisque Starflam était plutôt irréprochable de ce point de vue –du moins, en comparaison avec le rap que j'écoutais à l'époque- mais uniquement à cause du nom du groupe : STARFLAM. Un nom qui évoque des chanteurs en collant, ou bien un album de funk des années 70, mais sûrement pas un groupe de rap engagé –alors qu'il s'agit surtout de l'anagramme de MALFRATS, un blaze beaucoup plus attirant pour un adolescent en quête de rap bien viril.

Cette anecdote sans grand intérêt résume en quelques mots le handicap du groupe belge face au public français : quelle que soit la qualité du produit, ces maudits mangeurs de grenouilles n'oseront jamais s'y intéresser, pour des raisons aussi stupides que celle mentionnée plus haut. La plupart des Français imaginent en effet que le hip-hop belge est né en 2015 avec Hamza et Damso, mais Starflam accrochait déjà des disques de platine aux murs de son studio il y a quinze ans. Le premier album du groupe -au titre éponyme- date de 1998, mais connaît ses prémices en 1997, avec la sortie du maxi La Corde raide, qui annonce clairement la couleur avec un titre comme « Fusion organisée ». Un maxi fondateur, qui correspond donc aux grand débuts de l'un des seuls groupes belges capables de dépasser les frontières - Starflam avait sorti une mixtape 2 ans plus tôt, mais sous le nom des Malfrats Linguistiques, et avec une formation différente.

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Il est évidemment techniquement impossible de dresser une liste exhaustive de tous les projets rap sortis en 1997 n'ayant pas forcément su traverser les âges ou atteindre les hautes sphères médiatiques, d'autant que le pire des années 90 côtoie des pépites cachées, comme l'album La Rime urbaine du groupe Different Teep, qui derrière un blaze de Boys Band constitue en fait les prémices de la Mafia K1Fry. Le trio Manu Key / Mista Flo / Lil' Jahson au micro, le regretté DJ Mehdi à la baguette, des featurings avec Ideal J et le 113 : sorti trois ans plus tard, La Rime urbaine aurait remporté une Victoire de la Musique et accroché quelques certifications platine. Mauvais contexte, peu de suivi médiatique : malgré des moyens importants déployés par le petit label Night and Day, le groupe fait un flop terrible. Un peu sur le même principe, l'année 1997 voit nombre d'autres excellents projets rap manquer leur décollage. Au panthéon des compilations de rap français, on cite par exemple régulièrement L432, Street Lourd, Première Classe, Hostile, Sang d'Encre, ou encore les BO de Taxi, alors que L'Invincible Armada de Mysta.D est tombée dans les oubliettes de l'histoire -pour d'obscures raisons que je n'ai personnellement jamais comprises.

Sa faible distribution, à sa sortie en 1997, explique probablement qu'elle n'ait pas marqué des générations entières d'adolescents : à l'époque, on entendait parler de cette cassette et de son casting XXL -Oxmo Puccino, Weedy, Rohff, Zoxea, Abuz, Cassidy ou Rockin Squat- à travers les magazines spécialisés, mais elle n'était pas forcément facile à trouver si l'on était un peu trop éloigné des réseaux névralgiques de distribution des disques de rap. La plupart des auditeurs l'ont donc découvert avec quelques années de retard, au début des années 2000 ou un peu plus tard -et le décalage avec la sortie a peut-être réduit l'impact qu'aurait pu avoir une telle compilation à l'époque. Il est d'ailleurs particulièrement intéressant de noter que la plupart des compilations et des mixtapes sorties en 1997 retrouvent une grosse valeur marchande aujourd'hui -comme cette cassette de DJ Follow qui a multiplié son prix par dix, ou l'incroyable compilation Invasion de Cut Killer, qui se négocie aujourd'hui autour de 60 euros. Si vous retrouvez de vieilles cassettes dans une boite à chaussures, attendez donc avant de les jeter : il n'est pas impossible qu'entre deux albums de Ace of Base, se cache une vieille pépite du rap français.

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