MGMT  : « Nous sommes toujours à l’écart de la pop-culture et n’avons pas besoin de suivre ce mouvement »

FYI.

This story is over 5 years old.

Music

MGMT : « Nous sommes toujours à l’écart de la pop-culture et n’avons pas besoin de suivre ce mouvement »

Avec leur quatrième album, « Little Dark Age », les deux Américains confirment leur objectif : écrire les pop-songs les plus tordues de leur époque.

Ce samedi après-midi, les américains de MGMT reçoivent à leur hôtel parisien et entre deux bavardages avec des journalistes, Benjamin Goldwasser, moitié du duo, reste scotché à son smartphone. Un de ses derniers morceaux s'intitule pourtant « TSLAMP » pour « Time spent looking at my phone » [Temps passé à mater mon téléphone]. Les MGMT ne seraient donc pas sérieux ? En fait si - c’est juste qu’ils sont l'exact opposé d'un groupe comme les Vaccines : sympas, peu sûrs d’eux et pas arrogants pour un sou à la ville, appliqués et imaginatifs sur disque, où ils transcendent pop psyché, dance music et électro 80's -comme sur leur quatrième et nouvel album, Little Dark Age, qui sort cette semaine. MGMT c'est aussi (et surtout) un groupe qui avait le monde à ses pieds au moment de la sortie de son premier album, Oracular Spectacular, et qui a choisi de se tirer une balle dans le pied et dans cette industrie qui aurait bien voulu en faire de la bouillie de stade, façon Killers ou Fall Out Boy.

Publicité

Mais voilà, pas de bol, Andrew VanWyngarden et Benjamin Goldwasser préfèrent Brian Eno et les TV Personalities, les instrumentaux drogués de 10 minutes et les chansons à multiples tiroirs, ce qui leur vaudra un chef d’œuvre de deuxième album (Congratulations) et un suivant (MGMT) tailladé dans la même veine, sans pour autant les mener au suicide annoncé. Produit avec Patrick Wimberly (Chairlift) et finalisé par le fidèle Dave Fridmann, Little Dark Age s’offre comme une synthèse de la naïveté poppy des débuts, de l’écriture psyché canal historique (Syd Barrett et ses apôtres) et d’une appétence toute nouvelle pour les sons synthétiques de la décennie 80 qui les a vu naître.

Noisey : MGMT, l’album précédent semblait plein de doute, de paranoïa… il semble que vous avez réussi à chasser ces thèmes.
Ben : Certains sujets abordés dans Little Dark Age renvoient quand même à un truc sombre, au doute, mais il y a aussi l’idée d’avancer plutôt que de nous y complaire, comme sur le précédent.

Andrew : On était dans un contexte de paranoïa, de théories de la conspiration et de doute. On a donc voulu représenter toute l’anxiété que l’on ressentait. C’est sûrement ce qui explique ce disque tout sauf commercial. Le côté sombre du nouvel album est assumé de façon beaucoup plus légère et espiègle. Les textes sont moins moroses.

Les fans et les critiques vont ont reproché de tourner le dos aux hits sur les deux albums qui ont suivi Oracular Spectacular. Là, on dirait là que vous avez réussi la synthèse entre pop et expérimentations.
Ben : Oui, ces dix dernières années, nous n’avons fait que nous construire sur la base de nos influences. Toutes les musiques qui nous ont inspiré sur les trois premiers albums restent présentes. C’est donc logique que Little Dark Age corresponde à un mélange de tout ça, agrémenté de trucs nouveaux. Mais notre intention était de faire danser les gens, y compris comparé à Oracular Spectacular. Faire danser, c’était important à nos yeux. Andrew fait de plus en plus le DJ depuis quelques années. Moi non, mais j’aime aussi ça. Il y a la musique que tu écoutes à la maison, celle en voiture. Là, on a voulu s’adresser au dancefloor.

Publicité

C’est cette envie qui explique le choix de bosser avec Patrick Wimberley ?
Andrew : On est amis avec Chairlift depuis notre premier album. Patrick est un super musicien, il a un bon feeling pop, mais ce qu’il a le plus apporté, c’est son côté positif. Il n’y avait jamais eu de place pour une tierce personne pour nous encourager dans nos idées. Alors que pendant des années, on a eu une centaine d’idées qu’on n’a pas développées et qui sont tombées à l’eau.

Ben : Il a réussi à nous faire dépasser notre propre sens critique. Sans lui, on aurait juste tué certaines idées sans leur donner la moindre chance.

Ça a toujours été comme ça ou c’est un doute que vous récoltez de vos disques précédents ?
Ben : On a toujours été comme ça. D’ailleurs, on travaille plutôt lentement. Sur les deux albums précédents, nous n’avons pas eu beaucoup plus d’idées que le nombre de chansons. On prenait une idée que l’on travaillait méticuleusement jusqu’à ce que ce soit fini. On n’avait pas de titre supplémentaire ni de faces B. Alors que pour le nouveau, on est partis sur la base d’une quarantaine d’idées qu’on n’a pas toutes menées à terme. Voilà toute la différence.

Vous en êtes au point où vous arrivez à concrétiser en studio ce que vous avez en tête ?
Andrew : On y travaille, c’est notre objectif. C’est une des raisons pour lesquelles j’adore Ariel Pink et Connan Mockasin. Leur musique ressemble à la parfaite traduction de ce qui se passe dans leur tête, particulièrement Ariel Pink qui transforme ça en enregistrement. On aimerait en arriver-là nous aussi.

Publicité

Là, vous avez battu un record au niveau des invités.
Ben : En enregistrant à Los Angeles, c’était facile d’avoir des amis qui passent dans le studio où on bossait. Sébastien Tellier, par exemple, enregistrait dans le studio à côté du mien. On l’a juste invité et ça c’est fait à la cool. Ça a collé avec notre envie d’être moins stricts sur nos sessions.

Andrew : …moins « protecteurs » de nos sessions.

Ben : Sinon c’était cool d’avoir des gens qui passent, s’attaquent à du matériel brut qu’on retravaillait pour nos chansons. C’est finalement comme ça que se créé le hip-hop, sur la base de nombreuses collaborations, c’est une façon cool de travailler.

Après des hommages à des artistes comme Dan Treacy ou Brian Eno, vous semblez avoir plus de distance sur vos héros musicaux.
Ben : Effectivement, les références sont désormais plus subliminales. On n’a pas forcément besoin de citer telle référence, ça pourra être basé sur un peu n’importe quoi, pourquoi pas une publicité qu’on aura vue. La nostalgie, c’est finalement bien plus que taper dans nos souvenirs et sonner comme telle chanson.

Andrew : On a par exemple voulu démarrer « James » comme si c’était la musique d’un show télé, on a donc essayé d’imaginer et de rendre cette impression.

Le clin d’œil à Madonna sur « TSLAMP » est bien voulu ?
Andrew : Oui, c’est une petite référence à « La Isla Bonita ». Sur cette chanson, on a voulu pousser au maximum le ridicule, depuis le titre, les textes, jusqu’à ce mélange des genres. C’est pas le genre de truc qu’on aurait fait avant.

Publicité

Peut-on dire que votre éducation musicale s’est faite sur le tard ?
Andrew : Oui, si on parle de la profondeur des connaissances et des trucs les plus obscurs. Quand j’étais au lycée, mon monde musical se résumait à ce que ma sœur et mes parents écoutaient. Alors que quand je suis arrivé à l’université, ça a été l’explosion. Un nouveau monde s’ouvrait à moi.

Ben : La pop-music m’a été étrangère jusqu’à la fin de mon adolescence, je n’écoutais pas la radio et ne regardais pas MTV. J’écoutais principalement des trucs bizarres. Quand je me suis mis à m’intéresser à la pop-music « classique », je me suis senti comme un extra-terrestre qui débarquait dans un autre monde mais ça s’est révélé être une grande source d’inspiration, en particulier pour nos premiers morceaux où on cherchait à reproduire des trucs.

Ce retard s’est transformé en gros avantage ?
Andrew : C’est agréable de ne pas nous sentir obligés de rester en permanence au top des tendances. Car si tu tombes là-dedans, mieux vaut arrêter tout de suite. Telle grosse pop-star qui a disparu pendant un an se doit d’orchestrer une énorme campagne publicitaire. Alors que nous, nous sommes toujours à l’écart de la pop-culture et n’avons pas besoin de suivre ce mouvement.

Ben : Le truc, c’est que nous avons tous les deux étudié la musique expérimentale à la fac, et ça a façonné notre façon d’appréhender la pop-music de façon plus conceptuelle, de la même façon que Brian Eno a pu le faire. Avec ça, on touche à la partie vitale de MGMT.

Publicité

Pourquoi avoir joué avec l’imagerie gothique dans le clip de « Little Dark Age » ?
Ben : Les références sont bien évidemment intentionnelles, nous sommes de grands fans de musique et de culture goth. Mais nous y jouons des personnages, nous ne voulions pas que ce soit compris comme notre nouvelle image. C’était la même chose à l’époque de « Time To Pretend » mais vu que personne ne nous connaissait, les gens nous ont associés à cette image de gosses peinturlurés sur une plage.

Andrew : Maintenant, nous sommes plus conscients que le fait de publier un nouveau truc depuis des années va façonner une nouvelle image. C’est aussi comme ça que fonctionne la grosse machine de la pop avec les calculs faits afin qu’on dise de telle artiste, « wow, c’est une méchante fille maintenant ». On joue bien sûr de ça et certains ont effectivement cru qu’on s’était transformé en groupe gothique.

Ben, toi qui es parti t'installer à Los Angeles, le soleil de n’a visiblement pas eu d’influence sur ton écriture.
Ben : Je ne sais pas, je ne suis pas un gars porté sur le soleil. Andrew, tu es le surfeur du duo, c’est toi qui aurais dû partir vivre à Los Angeles, finalement.
Andrew : Oui c’est vrai. Justement, je crois que j’ai besoin de contrebalancer mon penchant naturel pour les endroits dark. J’ai toujours eu un souci avec les lieux où il fait beau mais je commence à devenir un peu plus normal ces temps-ci.

Publicité

Ben : Je n’ai jamais été super fan de Los Angeles mais j’ai enfin compris la façon dont je pouvais être heureux là-bas. Ça ne pouvait passer que par les amis, en se voyant chez les uns et les autres autour de bons dîners. Car à LA, c’est facile de se retrouver en voiture, ou dans un café ou un restaurant, et d’être seul.

Andrew : C’est vraiment une ville de solitude, où les gens traînent à la recherche d’on ne sait quoi. Elle est très différente de New York où tu sors et tu vas forcément croiser quelqu’un que tu connais dans la rue, où tu rencontres toujours les mêmes personnes dans les mêmes bars.

C’est ironique car cette pochette d’Oracular Spectacular vous avait transformés en éphèbes de plage que vous n’êtes pas.
Ben : T’inquiète, si comme à l’époque, la pochette de Little Dark Age avait été extraite du clip de la chanson, les gens auraient une image totalement différente de nous !

J’ai lu une de vos dernières interviews dans le Rolling Stone US…
Andrew : …on l’a vue et j’ai demandé à notre manager de ne plus nous montrer d’interviews… Il faut qu’on arrête de les lire.

Vous êtes-vous sentis trahis ?
Ben : Certaines personnes aiment croire qu’à un certain moment, nous nous sommes perdus et que là, c’est « l’album du retour », mais c’est bien plus compliqué que ça. Ce serait une explication bien trop facile. Elles aiment aussi l’idée que notre label nous mette la pression pour faire de la musique plus populaire. Rien de cela n’est vrai.

S’il y a bien une constante sur tous vos disques, c’est ce sentiment de nostalgie.
Andrew : On essaie toujours d’apporter un parfum de nostalgie dans les mélodies. Mais les textes ne cherchent pas à faire revivre une époque. On essaie d’être un maximum dans notre temps. Même si ça peut paraitre parfois hors de portée, on essaie de comprendre ce qui se passe et comment le monde avance.

Ben : On n’essaie pas d’avoir des messages du style, « la technologie c’est le diable ». C’est plus une réflexion sur les changements, une interrogation sur ce que nous faisons. Nous avançons en âge mais nous manquons de réponses.

Pascal Bertin est sur Twitter.