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13 novembre : « Un faux survivant est un bon personnage de roman »

C'est l'histoire d'un type qui se fait passer pour une victime du Bataclan. Avec « Animal Boy », Karim Madani, le biographe de Spike Lee et Kanye West, explore la face la plus sombre de l'âme humaine.
Photo : Hugo Protat

Grosse paire de lunettes vintage, moustache de hipster et bonnet vissé sur la tête, Karim Madani ne ressemble pas à l’idée que l’on se faisait d’un écrivain. Pourtant, il suffit de l’écouter parler pour s’en convaincre : Karim Madani est un conteur. Dès la première phrase, on est embarqué dans son univers. Et c’est pareil avec ses livres : une page et nous voilà ferrés jusqu’à la dernière. Il nous avait déjà eu avec ses biographies de Spike Lee et de Kanye West, qu’on avait dévoré comme on binge watch une série. Et il vient de nous refaire le coup avec Animal boy, un roman qu’on s’est pris en pleine tête.

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Tout y est d’une violence inouïe : la langue, l’histoire elle-même, mais surtout la société française décrite par Madani. Dans Animal Boy, il est question d’un looser qui s’invente une vie, et peut-être un avenir, en se faisant passer pour une victime des attentats du Bataclan. Mais, surtout, de la cruauté de cette « ville de winner »… Entre argot de rue et critique sociale, le nouveau roman de Karim Madani claque comme un morceau de hip-hop.

VICE : Pourquoi ce roman sur les attentats du 13 novembre ?
Karim Madani : Déjà parce que le roman noir, c’est mon univers. Non pas que je sois un mec sinistre ! Mais la noirceur de l’âme humaine m’a toujours intéressée. Au départ, je ne comptais pas prendre le Bataclan comme toile de fond. Comme tout le monde, je lisais les témoignages des survivants dans les journaux et au bout d’un moment, j’ai commencé à me demander si un de ces mecs n’était pas en train de nous mentir… Je vous ai dit, la noirceur de l’âme humaine, c’est un peu mon truc ! Bref, un jour, je me suis dit qu’un faux survivant ferait un bon personnage de roman. Ça n’est qu’à la fin de l’écriture du livre que j’ai entendu parler du mec qui a prétendu avoir perdu son meilleur ami au Bataclan sur le plateau de La France a un incroyable talent.

Quel regard portez-vous sur Alex, votre antihéros ?
C’est un paumé. Un pauvre type qui tombe une opportunité incroyable : il passe par hasard devant le Bataclan le soir du 13 novembre 2015 et une survivante lui tombe dans les bras. De là, il s’invente une vie. Mais il n’est pas calculateur. Et humainement, ça reste un bon gars. Quand j’ai conçu ce personnage, j’ai mixé plein de mecs que j’ai connus à Paris : des gars sympas, mais beaucoup trop portés sur la défonce pour aller au bout de quoi que ce soit. Certains ont fait des trucs, dans la musique par exemple, mais d’autres ont terminé à Saint-Anne…

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Le vrai perso, n'est-ce pas la ville de Paris elle-même ?
Carrément. Je voulais montrer combien, dans cette ville, un mec comme Alex n’a pas droit à l’erreur. Paris est une ville winner alors que lui, c’est la loose incarnée ! Avant, les mecs comme lui y avaient leur place mais aujourd’hui, c’est terminé. C’est beaucoup plus chaud d’être un looser à Paris qu’en province. Paname, c’est une ville que je kiffe, mais parfois, je la déteste. Elle est tellement bourrue, rude, agressive…

Qu'est-ce qui vous a amené vers la littérature ?
À la base, j'aurai kiffé être dessinateur de BD. Gamin, je n’ai jamais pensé être écrivain : chez moi, personne ne lisait. Ni mon père immigré, qui bossait chez Citroën, ni ma mère. À la maison, il n’y avait pas un bouquin. Pendant longtemps, le livre était quelque chose de très abstrait pour moi – un truc qui n’était pas fait pour les gars comme moi. Alors, un écrivain, ça n’était certainement pas un mec comme moi. D’ailleurs, j’ai longtemps cru qu’un écrivain ne pouvait pas porter de baskets ou de casquette. Et puis, j’ai découvert le romancier américain John Fante et ça a été un gros choc : il avait les mêmes problèmes que moi ! Des galères de fric, par exemple… Lui, c’est le premier qui m’a fait kiffer l’écriture. Plus tard, j’ai lu beaucoup de magazines de rock comme Best ou Rock & Folk, et c’est comme ça que j’ai découvert des gars comme Lester Bangs, Nick Tosches ou Hunter Thompson… J’ai tout de suite adoré ce genre de journalisme, un peu gonzo et très stylisé dans l’écriture.

Vous étiez donc un fan de rock, à l’origine. Qu'est-ce qui vous a amené au hip-hop ?
En vrai, au départ, j’écoutais surtout du jazz… Mais ma première grosse claque rap, c'était en 1988, avec la sortie de l’album « Yo ! Bum Rush the Show » de Public Ennemy. Ensuite, j'ai vu Do the right thing, de Spike Lee et là, ça à été un énorme coup de cœur. Je me souviens très bien aussi de l’arrivée de « Yo ! MTV RAP ». C’était la révolution ! On sentait que le hip-hop était une culture neuve, radicale, excitante… Aujourd’hui, il connaît une nouvelle mutation d’ailleurs : ça n’est plus une musique sociale mais celle de la classe moyenne blanche.

Dans Animal boy, il est beaucoup question de musique. Comment s’est construit ce lien entre vos deux passions ?

Animal Boy est un roman, mais je l'ai presque construit comme un album. D’ailleurs, les 13 chapitres portent le nom d'un titre des Ramones. Moi, je suis de l'école qui écoute les albums en entier. Aujourd'hui, ma fille de 14 ans écoute un morceau par-ci par-là, alors qu'un album ça relate une atmosphère. Regarde un mec comme Kendrick : ces albums sont des histoires. C’est malheureux mais les gens n’ont même plus le temps se mettre au calme pour écouter un album en entier…

Animal boy, Karim Madani, éditions du Serpent à plumes.