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Mueran Humanos veulent en finir avec la culture de l'ironie

Le duo post-punk germano-argentin nous a parlé de sa rencontre avec le guitariste de Einstürzende Neubauten, de son excellent deuxième album, « Miseress », et des prétendues tendances fascistes de la scène indus.

Mueran Humanos (Mourrez, Humains !) font une musique à la fois passionnée, sérieuse, et grinçante. Un son froid joué par des types au sang bouillant, qui ont refusé de participer à la grande mascarade du monde moderne, et qui rejettent également toute forme d'ironie. Mueran Humanos est un duo, formé par Carmen Burguess (chant, machines, synthés) et Tomas Nochteff (chant, basse, machines). Ils viennent tous les deux de Buenos Aires, où ils jouaient respectivement dans les groupes Mujercitas et Dios, et ont commencé à faire de la musique ensemble en 2006, à Berlin, où ils vivent depuis.

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Le premier album de Mueran Humanos est sorti en 2011 sur Blind Prophet, le label new-yorkais fondé par Sean Ragon de Cult of Youth. Leur deuxième album, Miseress, a été publié fin 2015 chez ATP, la structure derrière le festival All Tomorrow's Parties. Si leurs premiers morceaux mettaient en avant des références parfaitement identifiables, Miseress (enregistré en partie avec Jochen Arbeit de Einstürzende Neubauten) va nettement plus loin. C'est un disque qui vous entraîne le long de l'autobahn et passe en revue tout l'éventail émotionnel de la modernité, jusque dans ses plus infimes nuances. On est allés leur poser quelques questions sur leur plan de non-carrière, leur rencontre avec Jochen Arbeit, leur passion pour Suicide et les rumeurs qui ternissent souvent les scènes minimal synth et industrielles.

Noisey : Vous étiez passés où durant les 4 années qui ont séparé vos deux albums ?
Tomas Nochteff : On ne mène pas de « carrière », donc on ne suit pas le schéma classique du un-disque-par-an. Ceci étant dit, Miseress avait été entièrement composé en studio bien avant qu'on ne commence à l'enregistrer. Le disque était quasiment fini, mais le rendu ne nous plaisait pas. Donc on a tout effacé et on a recommencé à zéro. Voilà pourquoi ça a pris du temps. On ne sortira jamais un disque à cause d'une pression extérieure. Si un truc prend du temps, 'est parce que c'est nous qui l'avons décidé ainsi. Nous ne sommes pas dans une course. On fait ce qu'on veut.

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Vous vous considérez comme un groupe berlinois ou un groupe d'expats ? Votre son fait l'équilibre entre vos deux anciens projets à Buenos Aires, le côté pop mélangé au côté sombre. Est-ce queMueran Humanos est la continuité de ce que vous faisiez avant ou c'est quelque chose de complètement nouveau ?
On est un groupe de Berlin—c'est un fait—mais si l'on vivait ailleurs, on serait le même groupe, j'en suis certain. Pour moi, les groupes sont des combinaisons de personnalités. C'est une chose dont je suis très conscient, à laquelle j'ai réfléchi. Je ne dis jamais « il me faut un batteur » mais plutôt « cette personne est intéressante, il ou elle m'attire, qu'est ce qui se passerait si l'on montait un groupe ensemble ? » Et ensuite on voit qui joue de quoi, les instruments qu'on utilisera et le son qu'on obtiendra sera la résultat de tout ça. Donc de ce point de vue, différentes combinaisons de personnalités produisent des groupes différents et différentes façon de jouer de ses instruments.

Au moment où j'ai vu Carmen j'ai su que je voulais faire un truc avec elle. J'étais la même personne qu'avec Dios, mais avec Carmen en plus, ça a donné quelque chose de différent. Dios était un groupe de jeunes mecs—très énervés, très nihilistes. Le concept était très strict, et chacun avait un rôle défini—basse, batterie, voix, rythme martial, riffs répétitifs, un chant relevant quasiment du spoken word. Très sec, des titres très courts, dès que le texte est terminé le morceau est fini, pas de répétitions, pas de plages instrumentales. Avec Carmen, d'autres éléments sont entrés dans l'équation ; de la sensualité, de l'érotisme, de l'intimité, et aussi des synthés, de longues chansons, et des rôles plus libres. Comparé à Dios, on peut dire que je suis passé de la rue à la chambre, afin d'explorer un univers plus onirique.

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Comment vous-êtes vous retrouvés à bosser avec Jochen Arbeit ?
C'est étrange, l'une des premières personnes qu'on a rencontré à Berlin a été Jochen. Dans un bar. Un pote à nous a commencé à lui parler parce qu'il était fan de ses groupes, Neubauten et Die Haut, et on a fini par boire des verres avec lui. Il est ensuite venu à nos concerts, ce qui était marrant parce qu'il était quasiment le seul dans la salle. Et un soir il nous a dit « bon, quand est-ce que vous m'invitez à jouer ? » Et j'ai répondu « sur le prochain disque ». Donc il est venu au studio, on lui a montré les morceaux, et il a joué ses parties. Ça s'est fait en une journée. Il était incroyable. Les musiciens qui s'installent à Berlin ont habituellement une idée en tête avant de déménager, une musique mythique du passé qui les a marqué—que ce soit la techno, ou l'ère Bowie et Iggy, etc. Pour moi, Berlin, c'était Einstürzende Neubauten, Crime & The City Solution, The Bad Seeds, Die Haut, la fin de Gun Club, cette petite bande qui a produit la plupart de mes disques préférés. Voilà ce que j'aimais dans Berlin avant de venir ici, donc le soutien de Jochen signifiait énormément pour moi. C'est un type génial et un formidable guitariste.

Votre album évoque souvent « Frankie Teardrop » de Suicide. C'était voulu ? Votre nom et le genre que vous revendiquez (« rock concret ») indiquent tous les deux un humour grinçant. C'est une partie importante de votre musique ?
On n'a jamais tenté d'évoquer autre chose que nous-mêmes. On adore tous les deux Suicide, évidemment c'est une influence. Mais pas dans le sens « sonnons comme eux, habillons nous comme eux » mais avec plus de recul ; « wow, ces mecs étaient si brillants et si libres, ils s'en branlaient de tout. Je veux être comme ça, être aussi libre, et atteindre cette intensité dans la musique ». L'humour est une part importante de ce qu'on fait—c'est sûr—et on s'éclate en le faisant.

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Je pense que tout ce qui est bon en art possède cet élément d'humour, d'amusement, d'espièglerie. Notre humour n'est pas là pour vous faire rire, on ne fait pas de blagues. Une blague et une chanson, ce sont deux choses complètement différentes. Un morceau de musique comme « Frankie Teardrop » évoluera au fil des écoutes et passera l'épreuve du temps. Il ajoute un supplément de vie, et à chaque fois que tu l'écouteras, tu ressentiras quelque chose de différent. Une blague, en revanche, ne marchera qu'une fois. Elle a un impact direct, puis plus rien—et la seconde fois que tu l'entendras, tu ne rigoleras pas. Voilà mon problème avec les groupes « rigolos » ou ironiques ; ça ne fonctionne pas, et c'est embarrassant.

L'« ironie » est partout, tout le temps. Les gens doivent vraiment assumer ce qu'ils ont à dire, pour que ça change. Aujourd'hui, la culture de l'ironie est un vrai fléau : consommation ironique, groupes ironiques, publications ironiques. C'est paresseux et superficiel parce que ce n'est qu'un commentaire d'autre chose au lieu d'être un vrai discours. C'est un produit dérivé par définition. Et c'est fondamentalement conformiste.

En tant que non-allemands, avez-vous rencontré des difficultés à vous intégrer dans cette scène ? Pensez-vous que la réputation tendancieuse de la scène minimal synth et neo-folk est méritée ?
L'Argentine est un pays peu connu, et beaucoup de gens sont effrayés par ce qu'ils ne connaissent pas et ils ne savent pas comment réagir avec nous. Plutôt que d'être discriminés, je dirais plutôt qu'on est sous-estimés parce qu'on chante en espagnol. Je réalise que des gens pensent que si tu ne chantes pas dans leur langue, tu ne t'adresses pas à eux. Ils pensent que tu parles de choses très spécifiques qui ne font pas partie de leur expérience. Ce qui est faux, on chante en espagnol parce que… pourquoi pas ? C'est notre langue. Mais ce n'est en tous cas pas pour s'adresser uniquement à ceux qui parlent espagnol.

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Ce qui est bizarre, c'est que tu apposes une réputation raciste à ces scènes, mais ce sont ces gens-là qui ont adopté notre groupe en premier, donc manifestement, il n'y a pas plus de racisme dans dans ce milieu qu'ailleurs. On ne se considère pas comme un groupe industriel ou minimal synth, malgré le fait qu'on joue surtout dans ces cercles, on a aussi joué dans des squats anarchistes, des galeries d'art, des concerts noise, et des festivals subventionnés. On est à notre place nulle part, donc on peut jouer à peu près partout. En gros, on joue où l'on nous invite. On ne court après aucune « scène ». On n'aime pas les « scènes ». Et non, je ne pense pas que nous ayons déjà rencontré un quelconque individu raciste ou d'extrême-droite en face à face au sein de ces cercles, il n'y a jamais eu aucun problème.

Ce qu'il se passe aujourd'hui est également arrivé au punk. Quelques groupes précurseurs ont joué avec des symboles fascistes par fétichisme ou provocation. C'est un truc qu'on trouve très, très débile, mais ça reste de l'art pur. Mais il y a d'autres débiles qui débarquent et qui prennent ça au sérieux. Et aussi quelques fashion victims qui pensent qu'elles doivent participer également au folklore, sans aucune compréhension de ce que ces symboles représentent. Donc il y a beaucoup de confusion. Et la confusion continuera jusqu'à ce que les gens prennent la parole et soient très clairs là-dessus. J'ai peur que cette merde ne fasse qu'empirer parce que le fascisme est en pleine expansion partout dans le monde, ce qui est à la fois sinistre et flippant.

Nous ne sommes pas un groupe politique, mais nous n'avons aucun lien avec ça. Tout ce sur quoi on croit est à l'opposé du fascisme. Nous sommes anti-fascistes par essence, nous l'avons toujours été et le serons toujours. Ce qui ne signifie pas que je suis insensible au boulot de gens dont les idées politiques me répugnent, aussi longtemps que leur art n'est pas une expression de leurs idéaux, je pense par exemple à Céline, Lovecraft, Ezra Pound, Wyndham Lewis, et même à notre compatriote, Jorge Luis Borges.

Mueran Humanos joueront au Klub (Paris) ce mardi 8 novembre aux côtés de Wallenberg.

Zachary Lipez ne fait rien avec ironie. Il est sur Twitter.