Cornes, capuches et crocodiles : un week-end au Motocultor

Photo via le compte Instagram du Motocultorfest Soixante-six artistes à l’affiche, dont 10,56 % ont déjà fait l'objet d'un article sur ce site. Si vous cherchez de bonnes raisons de fréquenter le festival Motocultor (Morbihan), en voilà déjà une. Vous en voulez une deuxième ? : le « métal symphonique » (ou « sympho »), soit la branche la plus fatigante de la grande famille du metal y est remarquablement sous-représentée. Ceci dit, comme le rappellent les toilettes sèches présentes sur le site : « les excréments ne sont pas des déchets mais une ressource ». Sage postulat que l’industrie musicale connaît déjà par coeur, ayant depuis belle lurette opté pour le terme « groupes en devenir » pour qualifier les groupes de merde. Photo de l'auteur HOUX DE LA FORTUNE À peine arrivé à Saint-Nolff, près de Vannes, nous sommes alpagués par un membre de la Turbojugend voisine, la Arsemorica Flugenheimer, qui porte - le saviez-vous ?- le nom de l'inventeur du godemichet rotatif motorisé. Et j'ai automatiquement envie d'enchaîner avec une autre question : savez-vous comment le Motocultor a été créé ? Non ? Eh bien, je vais vous expliquer. Il y a dix ans, « Motocultor » était le nom d'un groupe local, dans la grande tradition des groupes en « - or » , tels les défricheurs nationaux Aggressive Agricultor. Le groupe Motocultor reprenait des génériques de dessins animés et des tubes de Village People ou de Boney M en version thrash metal. Un trip musicalement agressif et intellectuellement régressif, grand classique de l'humour hardos. Toujours est-il qu’un des membres du groupe, participant au jeu télévisé La Roue De La Fortune, s’est vu remettre un bon paquet de fric par Christophe Dechavanne. « Qu'allez-vous en faire ? », lui demanda l'animateur. « Eh bien je vais organiser un festival de métal avec mes potes, dans la forêt, à Saint-Nolff, au lieu-dit Kerboulard », répondit le chanceux ménestrel. Chèques encaissés. Parole tenue. Photo via le compte Instagram du Motocultorfest

VILLAGE GAULOIS Créé en 2007 et basé à Saint-Nolff, sur le site de Kerboulard, le Motocultor attire aujourd'hui 6500 spectateurs par jour dans ce petit bourg qui, on le sait grâce à la collection pointue de maillots de Max Cavalera de Soulfly, compte au moins une équipe de football. Allez l’AO Saint-Nolff ! Photo via le compte Instagram du Motocultorfest Saint-Nolff est situé à un peu moins de deux heures de route de Clisson, fameux fief du fier Hellfest. De fait, le Motocultor peut tout à fait être décrit comme un « Hellfest de poche » : moins exubérant, moins cher, moins surpeuplé, et, surtout, plus breton. On y trouve moins de touristes du métal et beaucoup moins de gens arpentant l’herbe à la recherche de l’endroit parfait où poser leur chaise de camping (à ce propos, vous connaissez la blague du mec qui vient au Hellfest avec sa chaise de camping ? Non ? Dommage, elle est pliante). SENTINELLE FEST Photo de l'auteur Sous la protection rapprochée des soldats de l’opération Sentinelle en patrouille continue, on voit déferler toute la population traditionnelle - et fort hétéroclite - de ce genre de meeting. Des mecs avec des cornes géantes en guise de sac à dos, des crusts portant sur la visière de leur casquette les dents qu'ils n'ont plus dans la bouche, des chauves aux cheveux longs (comment un tel miracle est-il possible ? C'est un secret d’abbaye bien gardé), divers festivaliers ensanglantés dont on se demande s'ils sont hyper bien maquillés ou s'ils se sont juste cassés la gueule dans du fil de fer barbelé en essayant d'aller chier derrière une haie, ou des meufs de la trempe de cette digital native ne boudant pas la compagnie de quadragénaires bien bâtis, et, elle aussi visiblement équipée d’une corne :

COUVRE-TOI BIEN, MON CHERI Top 3 des groupes à l’affiche qui n’avaient pas l’air trop tracassés par la polémique sur le burkini qui déchire notre pays : Khors (Ukraine) : Photo via Mayhem (Norvège) : Photo via et surtout Batushka (Pologne) :

Photo via le compte Instagram du Motocultorfest

GROS LABOURAGE EN PROFONDEUR Du death metal diffusé à fort volume dans les champs, cela cause un gros stress chez les taupes, mais c'est parfait pour remuer la terre. On raconte que sous l’effet des vibrations extrêmes, des cadavres sont naturellement exhumés. D’anciennes affaires criminelles jusqu’alors inexpliquées remontent à la surface. Des preuves surgissent enfin. Dûment accrédités, des inspecteurs viennent en masse depuis les commissariats de Quimperlé, de Lorient, de Hennebont et même de Concarneau. Sur la champêtre scène baptisée « Supositor » (cf. notion d’« humour hardos » évoquée plus haut) se produisent des groupes aussi mortels que Goatwhore, Entombed AD, Dying Fetus, les pionniers du thrash/death français Agressor, ou encore Gruesome, le « super-groupe » monté de toute pièce pour rendre hommage au style du groupe Death. Une tuerie. JC Satàn, invités au débotté, garent leur van dans un chemin boueux et déclarent « Mais qu'est-ce qu'on vient foutre là ? » J.C. Satàn - Photo de l'auteur

LG Petrov, le chanteur d’Entombed AD, est toujours aussi bonnard dans son rôle de grand tonton du death metal blagueur et un peu bourré. Il confisque un crocodile en plastique à un slammeur déluré. La pauvre bête sera retrouvée plus tard dans la nuit, inerte et dégonflée, pendue par le cou à une poutre du bar VIP réservé aux artistes.

Entombed AD - Photo de l'auteur

Un nombre notable de groupes à l'affiche cette année donnent dans le « post-metal/post-hardcore », tels Neurosis (dantesques), Amenra ou Cult Of Luna, qui représentent un atout non négligeable en terme de variété et de subtilité. Même si le public est, disons le encore, plutôt « hardos » et que, par exemple, quand Amenra interprète une partie « subtile » de percussions froides et métalliques, un jeune homme se tourne vers sa petite amie, et lui déclare avec placidité : « On dirait le bruit de mes couilles sur ton front ».

Le festival a été conclu par Ministry porté par un Al Jourgensen en pleine forme - ce qui n’est pas toujours garanti sur facture. Enorme succès et tonnerre d’applaudissement pendant « Just One Fix », mais nous sommes dans un village breton, rappelons-le, et la plupart des Gaulois ici réunis avaient sans doute compris que la chanson était intitulée « Just One Idéfix ».

QUELQUES NOTABLES MOMENTS D'OUBLI

Fleshgod Apocalypse

Passant devant ces Romains, je me dis « qu'est-ce que c'est que ce bordel ? ». Aux instruments : trois clones de Francis Lalanne avec cuissardes, chemises et gabardines. Et un sosie de Nosferatu au piano (enfin vu le volume dans le mix, il jouerait au démineur sur un PC que le résultat final serait le même). Et enfin, loup de carnaval vénitien sur les yeux et brandissant un haut sceptre mi-légion romaine mi-enseigne de pharmacie, une chanteuse d’opéra à qui l’on attribue d’office le prix Walkyrie 2016. Du death metal symphonique et technique. De l'opéra comique agricole. Ils sont fous ces Romains.

Dalriada
Dalriada font du folk metal magyar. Ils sont arrivés très à la bourre, et ont joué au tout dernier moment sur une scène laissée libre. J’ai adoré assister à leur soundcheck. Ils étaient hyper speed et ce fut un ballet d’instructions en hongrois, de basse six cordes, de bottes de cuir, de peaux de bêtes, de bracelets de force, de laptop, de synthé Yamaha dégueu et de flûte à bec. C’était parfait. Le concert à proprement parler, en revanche, a été beaucoup plus dur à supporter, y compris pour certains festivaliers qui se mirent à danser en rond tout en chantant « y’a du soleil et des nanas da-da-Dalriada ». Testament
Les barons de la Bay Area n’ont absolument pas démérité, en conclusion d’une journée d’ailleurs fort riche en thrash - avec Vektor et Lost Society au taquet. Non, le problème est le demi-pied de micro qu’utilise Chuck Billy. Demi-pied de micro dont il se sert d’ailleurs quasiment non-stop comme petit manche à balai pour mouliner à qui mieux-mieux façon « air guitar ». Tss. Un demi-pied de micro… Imagine-t-on un cycliste professionnel se présenter au départ du Tour de France avec juste un guidon et un tube de selle ?

RÉVÉLATION Photo via le compte Instagram du Motocultorfest Puisqu’il en faut une, ce sera Batushka. La musique parfaite pour fomenter les mauvais coups : larcins, empoisonnements, pyromanie et toute forme de basses manoeuvres. Avec cloches, encens, chasubles, goupillon et choeur de moines plus gothiques et sépulcraux encore que dans l’oeuvre de Matthew Gregory Lewis. Bref, la déclinaison black metal des outils utilisés par l'Eglise depuis Saint Paul pour accomplir son projet : séduire le peuple et l'effrayer à la fois.

KENAVO, A TANTOOU, SEE YOU Si vous appréciez la musique inhumaine à échelle humaine, le Motocultor est fait pour vous. L’endroit est agréable, et vous y trouverez toujours une âme charitable pour tenir votre gobelet d’hypocras au moment où vous aurez besoin de vous éclipser pour vous soulager dans la sciure. Le classement des Attractions Françaises Pour Fans De Métal est donc actualisé comme suit :

1 - Hellfest Festival (Pays de la Loire) 2 - Motocultor Festival (Bretagne) 3 - Tour Eiffel (Ile-de-France) - 7300 tonnes de fer, tout de même. Guillaume Gwardeath a une masse de 0,075 tonne. Il est sur Twitter.