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Santé

Comment se démerder lorsque vous êtes réfugié et handicapé ?

Pourquoi il est difficile de se soigner dans un camp de 60 000 personnes où le seul médecin disponible est un ORL.
Photos de Stav Dimitropoulos

Shaig Rasuli a dû débourser plus de 19 000 euros pour être pris en charge par des passeurs, qui lui ont assuré qu'une fois en Europe, lui et sa famille connaîtraient enfin un peu de répit. À titre personnel, Shaig avait hâte d'être pris en charge pas les services de santé du Vieux Continent, plus à même de traiter sa maladie. Shaig Rasuli souffre d'hydrocéphalie depuis sa naissance. Il est régulièrement victime de crises d'épilepsie et de vomissements. Il peut s'évanouir à tout moment. Ces problèmes ne s'arrangeront pas avec le temps. Pour espérer mener une vie presque normale, il a besoin qu'on lui implante un système de drainage directement dans le crâne. Dans le cas contraire, il finira sans doute par perdre toute motricité, voire mourir. Mais où pourrait-il bien avoir accès à une telle opération ? Dans sa ville natale de Kunduz, en Afghanistan ? Évidemment pas. Shaig a déjà eu pas mal de chance en 2015, quand il a pu stocker des antibiotiques provenant de l'aide humanitaire de Médecins Sans Frontières. Quelques jours après, l'unique hôpital du coin était détruit par des bombardements, tuant 42 patients et docteurs. En Afghanistan, on dénombre un docteur pour 6 000 habitants, et ceux qui peuvent en profiter vivent majoritairement dans les grandes métropoles du pays.

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Il y a neuf mois, la famille de Shaig Rasuli a entrepris un long voyage vers l'Europe. Destination privilégiée : l'Allemagne. On leur avait dit que les passeurs allaient leur faire traverser des milliers de kilomètres sans problème.  Sauf qu'en mars 2016, l'Europe a fermé la route à travers les pays de l'Est, ce qui a transformé la Grèce en une salle d'attente géante pour les migrants.

60 000 personnes de dix nationalités différentes occupent les dizaines de centres pour réfugiés de Grèce – un pays en récession depuis plus de sept ans. Si les dirigeants européens se sont racheté une conscience en offrant de l'argent à la Grèce – l'Union Européenne a promis de verser 500 millions d'euros d'ici 2018 – on dénombre pour le moment une centaine d'employés pour 41 centres de réfugiés. Ces employés doivent traiter des milliers de demandes d'asile et apporter de l'aide à des gens qui veulent échapper à la guerre et à la grande pauvreté.

« Nous sommes désolés, nous ne pouvons donner suite à votre demande car vous ne disposez pas des documents exigés », a-t-on dit à Shaig Rasuli lors de sa dernière visite dans un hôpital grec il y a un mois.

« J'ai l'impression d'avoir un couteau planté dans mon cerveau », me précise-t-il en mimant sa douleur. Nous sommes assis dans le camp d'Elliniko, un lieu où l'hygiène est inexistante. La santé de Shaig se dégrade de jour en jour. Pire, il a désormais des difficultés pour contrôler sa vessie. Il ressent également de fortes douleurs intestinales. « Je prie cinq fois par jour », me confie-t-il, calmement. « Dieu ne m'abandonnera pas. »

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Shaig Rasuli

Parwin Amini a 30 ans. Elle est la seconde épouse de Daut Amini, un ancien haut gradé de l'armée afghane. Aujourd'hui, elle passe ses journées dans le camp d'Elliniko – celui où Shaig Rasuli prie cinq fois par jour. Parwin est la fille d'un imam afghan, brutalement assassiné par les talibans il y a dix ans. En Afghanistan, un homme peut négocier un mariage exclusif avec une femme – l'inverse n'est pas vrai. Amini a fait la paix avec la première épouse de Daut. Elle affirme que ce n'est pas sa plus grande préoccupation du moment.

« J'ai d'énormes migraines, trois ou quatre jours par semaine, dit-elle. Souvent, je ne peux même pas dormir tellement mes mains fourmillent… Quand je m'endors enfin, je fais des cauchemars où je vois mon père étendu sur le sol avec du sang qui coule de sa tête. »

Des flash-back, un stress intense, une mémoire aléatoire, des palpitations au cœur, des pensées suicidaires, des cauchemars, une absence totale de lait maternel – ce sont les symptômes de Parwin, qu'elle a décrits au médecin du camp. Il lui a expliqué qu'elle souffrait très probablement de stress post-traumatique. C'est tout. Que voulez-vous qu'un ORL – c'est sa spécialisation – fasse à la vue d'un tel cas ? Et on ne compte même plus les femmes enceintes sur le point d'accoucher, les enfants atteints de rougeole, les hommes qui boitent, etc.

Parwin, qui voulait devenir pharmacienne avant de se marier, se gratte régulièrement la tête et les lèvres jusqu'au sang – un symptôme qui a alerté son mari, habituellement indifférent.

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« Je suis surtout préoccupée par ma fille, déclare pourtant Parwin. Elle a neuf ans et elle est déjà dépressive. »

Daut et Parwin Amini

Nadia Amiri – rien à voir avec les Amini cités plus haut – a 11 ans. Elle souffre de dystrophie musculaire. Elle marchait correctement jusqu'à ses quatre ans. Soudainement, elle a commencé à boiter. Ses membres sont aujourd'hui aussi résistants qu'un Bretzel, selon les dires de son oncle, Ahmad Amiri, qui prend soin d'elle depuis l'absence de ses parents biologiques. Il y a huit mois, ces derniers ont été arrêtés en Turquie. Nadia a dû passer plusieurs mois dans un refuge avec d'autres mineurs isolés. Au bout d'un moment, les autorités turques ont réussi à contacter son oncle et à les réunir dans le camp d'Eleonas à Athènes. Ses parents sont toujours portés disparus. La nuit, Nadia les appelle. Son oncle et sa femme, Alima, ont tout fait pour qu'elle ait un ours en peluche – un cadeau de ses parents pour son dernier anniversaire. M. Pig fait toujours son effet.

Selon son oncle, un ancien soldat afghan, la vie de Nadia est en danger. On lui a diagnostiqué une dystrophie myotonique musculaire (DMM). Les violents spasmes dont elle est victime dès qu'elle utilise ses muscles ont alerté les médecins sur la détérioration de sa santé. Les médecins ont dit à son oncle que le système nerveux de sa nièce, son cœur, son système digestif, ses yeux, sa production hormonale allaient dysfonctionner sous peu. Il n'existe aucun traitement contre la DMM – seuls des médicaments et des exercices peuvent alléger la souffrance. Une opération est possible pour retarder l'échéance. C'est tout.

Évidemment, espérer un tel degré de soin dans un camp pour réfugiés relève du délire. « Elle a un rendez-vous médical tous les deux mois et on lui interdit de manger du sucre ou du poivre », résume Ahmad Amiri. Il prend sa nièce dans ses bras pour nous montrer à quel point ses membres sont devenus mous. L'habituel sourire de Nadia a disparu. Elle ne peut plus tenir debout et tout le monde la regarde étrangement. C'est à ce moment-là qu'Alima Amiri lui tend un ours en peluche, que Nadia serre très fort. Son visage s'illumine de nouveau.