En fait Christine & the Queens me donne juste envie d'être de droite
capture d'écran du clip « Damn, Dis-Moi » (Because)

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Music

En fait Christine & the Queens me donne juste envie d'être de droite

« On se permet de douter que je puisse être auteur et producteur parce que je suis une femme. » Eh ben c'est pas comme ça qu'on va faire gagner la musique.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

Vous l’aurez sans doute captée la semaine dernière, coincée entre le ventilo et les fruits de mer, Benalla et les lectures de plage pétées : la polémique musicale de l’été, servie sur un plateau par Christine & The Queens - on met de côté le clash Booba vs Kaaris pour l'instant. Ça s’est passé en deux temps : d’abord, un petit galopin postait la semaine dernière sur Youtube une vidéo dans laquelle il montrait, démonstration à l’appui, que « Damn, Dis-moi », la dernière chanson de notre pimbêche nationale en featuring avec Dâm-Funk reposait presque entièrement sur une paire de boucles libres de droit qu’on trouve gratuitement sur le logiciel Logic Pro. Alors, passons rapidement les accusations de plagiat, voire même de flemmardise créative, qui pullulent à chaque fois qu’une mélodie a le malheur de ressembler à une autre (parce que bon, la pop music est un éternel emprunt, tout ça), ou les poissons rouges qui semblent redécouvrir chaque année l’existence des boucles et de l’échantillonnage. L’histoire se serait même arrêtée là si Chris n’avait jugé bon il y a trois jours de réagir en ces termes : « Démocratiquement, je suis libre de prendre ce que je veux dans Logic pro. Quand Gainsbourg empruntait des mélodies à Chopin, est-ce que c’était du plagiat ? […] Je déplore qu’on en soit encore là en France. On se permet de douter que je puisse être auteur et producteur parce que je suis une femme ».

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Et sur ce point, on ne peut pas (totalement) lui donner tort. Déjà, jusqu’à preuve du contraire (ou alors on ne nous aurait pas tout dit), c’est bien une femme. Oui, elle a parfaitement droit de faire ce qu’elle veut et de faire feu de tout bois, PNL utilise des type beats depuis toujours et ça ne pose (presque) de problème à personne, donnez un tuba à John Lennon et il en tirera une symphonie, tout ça. L’argument est valide, mais il suffit juste de réécouter le morceau et de relire ses propos pour voir que quelque chose cloche. Déjà, il n’est pas impossible que son producteur Dâm-Funk, par ailleurs génie issu de l’écurie Stones Throw et qui se réclame lui-même comme le chantre d’un progressisme funk, lui ait foutu une énorme disquette, en allant piocher directement à la première source venue et, pour le coup, ne pas trop se fouler la pogne en lui refilant le bébé. C’est qui en soi est déjà marrant, et également une manière de se foutre de sa gueule ou de renvoyer l’ascenseur discretos à celle qui a certainement voulu s’acheter une légitimité pop avec une signature qui claque. Résultat : un funk blanc javellisé plus proche d’Ophélie Winter que des embardées cosmiques de Flying Lotus ou des propres productions trempées dans le stupre et le soleil californiens de Dâm-Funk. Ce qu’on peut donc appeler, comme dirait un de mes anciens collègues, un michetonnage malin.

Et ça révèle un des vrais problèmes de cette histoire, dans laquelle, comme souvent, ce n’est vraiment pas la musique qui gagne à la fin. Car l’argument d’autorité « je suis une femme » vient éclairer l’intention de l’auteure, mais également l’œuvre en elle-même. Inattaquable, imparable, il désamorce et invalide d’office toute critique. De là, sont immédiatement sexistes, homophobes, et pourquoi pas phallocrates et masculinistes tant qu’on y est, ceux qui osent ne serait-ce qu’émettre une réserve par rapport à la grande-œuvre marmoréenne et intangible de leur auteure. Comment ose-t-on s’attaquer à elle, au juste ? Ça me fait penser à cet extrait de Vamps & Tramps de Camille Paglia, dans lequel l’auteure décrie les avocates ou cadres d’entreprise qui refusent d’être importunées car elles « considèrent qu’elles ont trop de pouvoir pour être traitées de la sorte. »

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Car il est bien question de la défense d’un pré carré ici, et la prolongation d'un certain autoritarisme de classe qui prend les habits de l'éclectisme Internet pour vendre une démocratisation des goûts musicaux - lesquels n'ont plus de frontière, tout ça tout ça. Éclectisme qui, soit dit en passant, est l’apanage des classes dominantes depuis que la frontière entre art savant et art populaire (et la définition bourdieusienne qui va avec) se fait de plus en floue, comme l’explique le sociologue Philippe Coulangeon dans l’article « La stratification sociale des goûts musicaux » publié dans « La revue française de sociologie » (2003) : « Ce qui distingue le comportement des classes supérieures, c’est en effet moins, comme il est traditionnellement avancé, la familiarité avec la culture « légitime » que la diversité des préférences exprimées, à l’opposé des membres des classes populaires, dont les préférences apparaissent plus exclusives. »

On pensait que Chris avait conduit cet éclectisme à son stade terminal dès 2014, en convoquant Michael Jackson et Christophe pour n’en tirer qu’un suc vidé de toute substance. Mais malheureusement, il faut lui reconnaitre qu’elle a réussi à enfanter des héritiers bien plus pénibles depuis ; soit des chanteurs queeneurs (lol) aux cacahuètes ramollies comme des Chocapic qui ont trop longtemps baigné dans le bol de lait, et des rappeurs blancs déguisés en Jim Carrey dans Dumb & Dumber qui pleurent leurs états d’âmes de petits puceaux. Et la presse de tomber en plein dans le gros panneau clignotant du storytelling, et de nous servir des éditos (de pretto) qui vantent l’idée d’une France post-genre et post-classe (grosse barre de rire sur ce coup-là). Laquelle n'existe visiblement que dans le cerveau malade de directeurs artistiques qui n’essaient même plus de faire semblant de s’intéresser à ce que « les jeunes » écoutent - ils ont peut-être peur d’eux - et de journalistes qui ne mettent visiblement plus le nez dehors depuis un bail.

L'argument « vous ne pouvez pas m’attaquer, je suis une femme » (qu’on peut aisément remplacer par « je viens d’un milieu modeste et je suis homosexuel, si vous me critiquez vous êtes un affreux mâle blanc cis-genre et classiste ») vient donc servir une certaine rhétorique, comme le dit l’universitaire américain spécialiste des queer studies Jack Halberstam, dans un article traduit par la revue « Vacarme » en 2015, d'une génération « de petits soi nus, tremblants et frémissants : trop vulnérables pour accepter qu’on les charrie, trop endommagés pour pouvoir faire des blagues. » Et, dans le cas présent, une génération qui produit une musique épouvantable, mais qui arrive tout de même à faire écran à toute critique par sa rhétorique progressiste, et qu'il est donc impossible de contrer. On vient s’attarder sur l’histoire trop-belle-pour-être-vraie d’Eddy Bellegueule de Pretto en oubliant que la musique qui en sort est sans doute ce qui s’est fait de pire en France ces cinq dernières années – production effroyable, tics de variétoche franchouillarde 80’s, geignardise à tous les étages. Alors que les deux sont liés : la question n’est pas seulement de parler de « bonne » ou de « mauvaise » musique, seulement d’attendre un minimum d’incarnation, de débordements et d’extravagance qu’appelle une telle revendication de subversion et de renversement des genres. Lesquels ont visiblement déserté. Étonnant qu’une musique qui se réclame autant de la marge produise aussi peu de trouble, non ? Depuis quand l’indiscipline est-elle devenue aussi disciplinée, au juste ? Depuis quand cherche-t-elle autant, non plus à bousculer, mais à constituer une norme plate et incolore ? En somme : à quel moment s’est-on fait niquer à ce point ?

Ces manies d'infirmières aux seringues pleines de moraline donnent furieusement des envies de virer sa cuti et de se radicaliser, comme le dit le metteur en scène de théâtre Rodrigo Garcia dans le numéro de mai de la revue « Mouvement » : « C’est sur le respect, socle des normes sociales, que grandit le positif, le bon. Mais qui s'intéresse au bon dans l'art ? Je suis partisan du mauvais, d’œuvres perverses avec des personnes à la réputation douteuse et une stabilité émotionnelle fragile ». Une invitation qu’on peut trouver salvatrice par les temps affreusement proprets (et pour le coup, réellement normatifs) qui courent. Et qui permettrait, peut-être, de recommencer un peu à se marrer.

Marc-Aurèle Baly est sur Noisey.