Roméo et Juliette, version lesbienne, visite les parcs québécois
En haut, Shauna Thompson (Roméo) et en bas, Michelle Rambharose (Juliette). Crédit photo: Studio Baron Photo.

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Culture

Roméo et Juliette, version lesbienne, visite les parcs québécois

La metteuse en scène Amanda Kellock redécouvre l’oeuvre de Shakespeare dans toute sa queerness.

C’est sous un ciel nuageux mais doux que je rencontre Amanda Kellock, metteuse en scène de Romeo & Juliet: Love is Love. À l’occasion de la trentième année de Shakespeare-in-the-Park, elle revisite Roméo et Juliette avec une twist de modernité : les protagonistes sont queers, deux femmes éperdument amoureuses l’une de l’autre.

Dans le parc de l’ouest de Montréal où la troupe répète, un petit groupe de personnes s’affairent à mettre en place le décor, tandis que les autres sont installés plus loin, à discuter des derniers détails de la production.

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Ces jours-ci, les heures de répétition s’allongent. L’entrée en scène est prévue pour la semaine prochaine. La troupe commencera alors la tournée des parcs québécois et ontariens, qui attire annuellement plus de 10 000 personnes.

C’est dans ce sprint final qu’Amanda Kellock trouve une trentaine de minutes à nous accorder pour décrire son projet un peu décalé, mais tout de même ancré dans l’esprit de Shakespeare.

Shakespeare rime avec queer

Pour marquer le 30e anniversaire de la troupe, on a choisi de s’attaquer à un des plus grands classiques de l’histoire du théâtre. « Mais j’hésitais à en faire une interprétation classique, raconte Amanda Kellock. Je sentais que ce n’était pas assez, d’une certaine manière. »

Au centre de sa démarche, il y a cette volonté d’élargir le public pouvant se reconnaître dans les pièces du fameux barde.

Amanda Kellock et, au loin derrière, la troupe de théâtre.

Amanda Kellock a donc invité les acteurs à auditionner pour le rôle de leur choix, peu importe leur genre. L’idée de mettre en scène un couple de même sexe, homme ou femme, a germé. Les protagonistes sont devenus un couple de lesbiennes lorsque Amanda a eu le coup de foudre pour les actrices Shauna Thompson (Roméo) et Michelle Rambharose (Juliette).

Ensuite s’est enclenché le processus de redécouverte de l’œuvre de Shakespeare, dans toute sa queerness. Et certains passages prennent un tout nouveau sens.

Comme au début de la pièce, lorsque Roméo est dépressif parce qu’il est affligé d’un amour non réciproque.

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Son cousin et confident, Benvolio, lui demande de qui il est amoureux. Roméo répond « In sadness, cousin, I do love a woman. [Sérieusement, cousin, j'aime une femme.] »

« Normalement, ce passage, c’est un peu une joke, explique Amanda. Mais maintenant, ça devient un coming-out, auquel Benvolio répond un peu comme l’ami qui répond “Je sais, tout le monde le sait, mais je suis si heureux que tu m’en parles”. Ça devient un moment vraiment charmant, alors que, normalement, c’est une réplique un peu lancée comme ça. »

Outre ces petits moments transformés, la structure de l’histoire, intouchée, demeure celle d’une rivalité entre deux familles. Mais, contexte oblige, on y trouve désormais une couche supplémentaire d’homophobie.

« La rivalité entre les familles est aussi centrale que leur crainte de faire leur coming-out à leurs parents », nuance Amanda.

Les parents de Juliette, une famille hétéro et patriarcale, ignorent que leur fille aime les femmes. Ils tiennent son hétérosexualité pour acquise et insistent pour qu’elle marie le comte Pâris.

« On discutait justement du fait que la plupart des parents présument que leur enfant est hétéro, jusqu’à ce qu’il dise le contraire. C’est possible de le présumer innocemment et que ça cause quand même des souffrances, parce que tu n’expliques pas clairement à ton enfant qu’il peut aimer qui il veut », dit la metteuse en scène.

Amanda espère que la pièce pourra soulever de bons questionnements chez les spectateurs. « S’il y a des parents dans le public qui en viendraient à repenser à deux fois à la manière dont ils parlent [d’homosexualité] à leurs enfants… Merveilleux! »

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Dépoussiérer les classiques

Amanda n’en est pas à sa première expérimentation avec les classiques de Shakespeare. C’est aussi ce qu’elle a fait en 2016 avec Jules César : tragédie en cinq actes. Elle a laissé les hommes au rencart, et n’a mis en scène que des femmes.

Elle s’attendait à énormément de réactions hostiles, mais ç’a été tout le contraire. Même de « vieux hommes blancs plus conservateurs de Westmount » lui ont dit qu’ils avaient aimé, qu’au bout de cinq minutes, ils avaient oublié qu’en scène, c’étaient des femmes. « Pour moi, c’était l’idéal. C’était le point : que le public voie les femmes comme étant simplement des êtres humains qui racontent une histoire. Quelle idée intéressante! » rigole-t-elle.

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On verra donc si Roméo et Juliette en couple homosexuel, ça choque. « En un sens, j’espère que certaines personnes oublient que ce sont deux femmes, qu’ils regardent plutôt deux personnes qui tombent amoureuses », avance Amanda.

« Cela dit, ça sera extraordinairement important pour certaines personnes que ce soient deux femmes qui tombent amoureuses, ajoute-t-elle aussitôt. Et c’est parfait aussi. »

Ma dernière question pour Amanda : Shakespeare, il approuverait tout ça, ou on s’en fout? « Je parie qu’il trouverait ça fantastique! » s’exclame-t-elle, tout sourire.

La première de Romeo & Juliet: Love is Love aura lieu au cimetière du Mont-Royal, le vendredi 6 juillet.

Justine de l'Église est sur Twitter.