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Ultra droite

Aux portes ouvertes de l'Institut de Sciences Politiques de Marion Maréchal

Au programme : chrétienté, djihadisme, esprit d’entreprise et stage d’aguerrissement dans la forêt.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
Photos : Arsène Marquis 

Planté au milieu du quartier Confluence de Lyon, le lieu est à la fois miséreux et flambant neuf comme un local à start-up, c'est-à-dire froid, désincarné et pas très avenant. Trois salles, dont une mini-cafétéria, une salle vidéo, et une salle de cours d'une capacité d'une cinquantaine de personnes, ont l'air aussi habitées qu'un jour de relâche.

Je jette un œil aux livres posés sur l'étagère à l'entrée, et lance à la cantonade un timide « Commémorer, c’est célébrer ? » en direction d’un livre de Maurras histoire de faire le malin et d’attirer doucement l’attention. Ma blague tombe non seulement à l’eau, mais un mec de type gudard bon teint (possiblement du Sud, baraqué comme un rugbyman, l’air peu commode, vous voyez le genre) me lance un regard noir en grattant le sol de son pied comme un sanglier prêt à charger, avant de se radoucir, puis de sortir à la fille à côté de lui : « Ce bouquin-là, tous les journalistes se l’arrachent ».

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Autour de lui, les quelques aspirants élèves épars ont tous l'air de sortir de ma Terminale L, tant ils n'attirent pas l'œil – il y en a une qui vient de la Sorbonne, un autre de Sciences Po – sûrement ici pour « étudier toutes les options » quant au choix de leur future école, j'imagine.

Les locaux de l'ISSEP se trouvent au rez-de-chaussée d'un bâtiment à Confluence.

La journée portes ouvertes de l'ISSEP, L'institut des sciences sociales, économiques et politiques de Marion Maréchal, s'annonce sous des auspices peu engageants. Les journalistes sont pistés à l'entrée, et les questions un peu insistantes reçues de manière suspicieuse (« Vous êtes journalistes ? », ai-je entendu plusieurs fois durant la matinée). Malgré tout, mes craintes d’être démasqué sont assez vite balayées par la bibliothèque sur laquelle je m'attarde un peu et qui vaudrait à elle seule un article. Y sont disposés, pêle-mêle, les auteurs suivants : Antoine de Rivarol, Eric Zemmour et son Suicide français, le grand Maurras donc, mais aussi, plus curieusement (ou pas d’ailleurs), Natacha Polony, Jeremy Rifkin, Marx (« Il faut connaitre son ennemi », me glisse-t-on – forcément), Antoine Compagnon (avec les Antimodernes bien en évidence), Guy Debord. La France de la diversité, donc. Ou alors juste un patchwork sans queue ni tête dans lequel on a jeté des auteurs de droite (et d’autres, pour faire genre).

« Elle se remplit de jour en jour », me dit Patrick Louis, savoureux double prénom et membre du Mouvement pour la France de Philippe de Villers (la droite « plurielle », donc) qui nous présente les lieux avec un large sourire et des idées (plus très neuves, mais des idées quand même) dans la tête. Docte, d'une éloquence fine et fin de race qui absorbe l'auditoire, c'est le co-président du conseil scientifique de l'ISSEP. Vu que son truc à lui, c'est l'économie (il enseigne à Lyon III), j'en profite pour tenter quelque chose. Et me présente comme un protectionniste convaincu (n’importe quoi, mais aujourd'hui il va falloir zigzaguer si je ne veux pas me faire sortir), tout en me disant moins charmé par les racines chrétiennes de la France. Il me répond quelque chose de si louvoyant et tarabiscoté que je l’oublie dans la seconde – à peine le temps d’attraper quelque chose du genre « Deviens ce que tu es, et non ce que tu veux » en vol.

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C’est bien maigre, surtout de la part de ce que j’attends de l’auteur de Minorités au Moyen-Orient, également sur l’étagère, qu’il fait semblant de planquer, même si on voit bien qu’il a envie de le mettre en évidence. D’ailleurs, la moitié des livres disposés (y compris celui d’Yves Marie Adeline qui explique dans sa quatrième de couverture que la philosophie est une discipline historiquement profondément européenne – ouf, j’ai eu peur un moment) ont été écrits par des membres de l’ISSEP. À quel point sont-ils tous là pour se mettre en avant, au juste ?

Module « Mode d’action des minorités agissantes »

Patrick Libbrecht, un des autres intervenants qui nous accueille, n’a quant à lui aucun livre signé de son nom sur l’étagère, mais il est souriant, donc on a envie de lui parler. L'homme a auparavant exercé des fonctions marketing-ventes au sein du groupe Danone, notamment en tant que directeur commercial des Brasseries Kronenbourg, puis comme directeur général produits frais en Afrique du Sud et en Bulgarie. Cocasse, surtout quand on pense au mode de financement d’un institut comme l’ISSEP, dont on ne sait pas s'il est une couverture pour son illustre fondatrice ou s’il aspire véritablement à devenir un « vivier de jeunes talents, de futurs dirigeants et décideurs de la nation ». Tout le monde ici parle de financements privés sans vouloir vendre la mèche (on se doute pourquoi), mais aussi que l’ISSEP est en négociation pour être reconnue par l’État, ou au moins obtenir des équivalences au niveau européen. Certes, mais l’institut a pour l’instant le statut d’association, donc c’est pas gagné.

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D'une manière générale, il y a un réel décalage entre le contenu de l'enseignement et ce qu’on nous dit aujourd'hui. À première vue, la plaquette de l’école ressemble à toutes ces documentations qu’on nous fournit lorsqu’on entre dans un établissement surprivé de ce genre. Les valeurs « d’excellence, engagement, éthique et enracinement » sont particulièrement mises en avant. Plus loin, le programme des formations continue et initiale précise que l'on peut se présenter à la première sans demande de diplôme, tandis qu’un dossier et un concours sont exigés pour la seconde, qui devrait accueillir une trentaine d’étudiants à la rentrée se démarque un peu tout de même. Les modules concernent « la direction des hommes » (en gros, gérer une équipe), « organiser une campagne électorale », « histoire des idées politiques ». Jusque-là, rien d'anormal. Là, on arrive tout de même à quelque chose d'intéressant : on passe d'un seul coup du module « Quelle structure juridique pour votre projet ? » à « Mode d’action des minorités agissantes ». Celle-là, on l'a pas vue venir. Comment on en est arrivé là, au juste ?

Côté pile & côté faf

En un clin d’œil. A l'image de l'ISSEP, qui jongle entre droite libérale et poussées souverainistes. Les autres modules se nomment « Intelligence économique », « Terrorisme & djihadisme » », « Idéologies mondialistes, défis technologiques et transhumanisme » (pour le coup j’ai vraiment envie de m’inscrire à celui-là), et pourtant, on nous parle avec la novlangue de l'entreprise.

La cafet' de l'ISSEP.

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Patrick Libbrecht me dit que l'ISSEP « cherche avant tout des esprits et des personnalités », et que ses deux socles sont « les humanités et l’entreprise ». À partir de là, tout prend des airs de grosse pantalonnade à mesure qu’avance (péniblement) la matinée : du côté de la salle vidéo, Sylvain Roussillon, responsable de l'enseignement et de la recherche, et ancien directeur d'une école de management, n'arrête pas de prononcer le mot « projet ». Si souvent que je pourrais croire que je suis tombé chez des macronistes. D’habitude, lorsqu’on a envie de déconstruire la communication de la politique de Macron, on l’applique à la novlangue de l’entreprise et ça fait tout de suite son petit effet. Ici, rien de tout ça, tout est assumé en tant que tel.

Stage d'aguerrissement dans la forêt

Roussillon est très touchant, a du mal à avouer du bout des lèvres qu’il est plutôt du genre eurosceptique et que les profils qu’on attend des élèves de Sciences Po sont « assez formatés. » Quel formatage au juste ? « Avant tout scolaire. On attend trop des systèmes de notation. Et c’est excluant. Ici, on a vocation à accueillir tout le monde. » Intellectuel, peut-être aussi ? « Il a des prérequis, oui. Je faisais les oraux de Sciences Po Paris, et dès qu’un étudiant émettait ne serait-ce que des petits doutes quant à l’avenir de l’Europe, on le rabrouait tout de suite. Je trouve ça très dommage. Même si je suis en profond désaccord avec quelqu’un, j’aimerais pouvoir être en mesure d’entendre une opinion divergente, si elle est argumentée. »

À ce moment-là, je me demande pourquoi tout le monde ic a peur des journalistes, car le niveau de langue de bois employé voltige au-dessus de toutes les têtes. En feuilletant la plaquette, on tombe sur le stage d'aguerrissement dans la forêt. Une sorte de week-end d'intégration ambiance militaro-fun. Mais même ça, on tente de le minimiser aussi sec. Un homme se précipite pour embrayer : « Vous inquiétez pas, ce sera pas Koh-Lanta. » Vu sa capacité à désamorcer plus vite que son ombre, il doit probablement faire partie du service de presse.

La plaquette de présentation de l'ISSEP, avec des activités des enseignements divers et variés.

Roussillon est de loin le plus sympathique et le plus avenant du lot. La plaquette oublie tout de même de préciser qu’il a été membre de l’Action française, chef de file de la génération Maurras dans les années 90, et est plutôt du genre royaliste sévère – il suffit juste de creuser un peu, ces informations sont à la portée de tout le monde. On voit donc qu'ici, deux droites s'affrontent et concordent en sous-main. Côté pile, la droite libérale : Charles Beigbeder, ancien cadre de l’UMP et frère du fameux écrivain, a présenté des entrepreneurs à Marion Maréchal pour monter l’aventure. Côté faf, la droite nationaliste et réactionnaire : Charles Millon, grand avocat de l’union des droites soupçonné d’avoir mis en œuvre ses réseaux (selon Mediapart) pour monter l’institut. On pourrait penser que les deux sont opposées aujourd'hui, si l'on n'avait pas en tête le versant ultra libéral du Menhir dans les années 90. Comme si les membres de l'ISSEP voulaient effectivement proposer une refondation souterraine, à l'écart des partis, mais ne pouvaient s'empêcher de retomber sur leurs vieilles rengaines identitaires, comme on le voit aujourd'hui.

Une partie de corps professoral de l'ISSEP.

Mais en ont-ils vraiment envie ? À les écouter, ils n'ont pas encore trouvé tous les professeurs qui enseigneront à la rentrée (on nous parle d'un ancien membre de la DGSE « mais rien n'est fait »), tandis que le flou artistique semble être pour l'instant le seul véritable fil rouge de la matinée. S’il se présente à coup sûr comme le premier maillon du retour en politique de Marion Maréchal (avec un redoux macroniste dans sa communication ? L’idée fait en tout cas rêver qu'elle doit faire grincer des dents en interne), pas sûr de ce qu’on a affaire entre les mains : un joujou politique ou une tentative un peu fauchée de refonte ? Pour ma part, je préfère me retirer discrètement, éviter mes dernières cartouches désespérées du type « quelqu’un a des bons plans soirées identitaires dans le coin », je sens que ça ne servirait absolument à rien, et puis j’ai salement l’impression que le gudard du début me suit dans la rue.