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L’ancien braqueur qui s'attaque aux prisons françaises

Après 12 ans derrière les barreaux, Hervé est devenu juriste et prend sa revanche face aux dérives de l’administration pénitentiaire.
Hervé
Photos : Théo Englebert 

« [Les] conditions dans lesquelles se déroulent les promenades des détenus du centre pénitentiaire de Fresnes excédent le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et sont, dès lors, attentatoires à la dignité des intéressés », concluait en avril dernier le tribunal administratif de Melun. Dans une décision prise en juillet que VICE a pu consulter, les magistrats ordonnent à l’administration pénitentiaire d’entreprendre de nombreux travaux à la prison de Fresnes. Ce jugement a été arraché grâce au combat d’Hervé, un juriste qui s’engage pour améliorer les conditions de détentions dans les prisons françaises. Il a également poursuivi un agent d’insertion et de probation pour voie de fait et manquement à la déontologie, une directrice du Service d’insertion et de probation pour refus d’accès aux documents administratifs et quatre matons pour voie de fait, violences et viol. Mais avant d’être un juriste qui fait la misère à l’administration pénitentiaire, Hervé était braqueur. Pour la première fois, il accepte de parler de sa vie et sa trajectoire.

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À 41 ans, Hervé a douze ans de taule au compteur. Un quart de son existence, enfermé dans une cellule miteuse. Sa dernière peine s’étendait de 2015 à 2017, dont il purgea une partie à Fresnes. La prison du Val-de-Marne est un véritable mythe dans le monde carcéral. Son environnement abominable, sa culture de la discipline et ses minuscules cours de promenades participent pleinement à cette légende. Hervé a donc attaqué l'établissement avec un stylo et du papier. Et ses victoires face à l’administration pénitentiaire commencent à s’accumuler.

Tout commence au début de l’année 2001. Hervé a 23 ans et il est écroué à la maison d’arrêt de Loos (59) pour association de malfaiteurs et vol à main armée. « J’ai fait sortir cinq Lituaniens de taule », lâche-t-il sans avoir l’air de s’en vanter. Pendant un mois, Hervé observe les cinq hommes dans la cour de promenade. Ils sont indigents, ils ne changent pas de vêtement mais restent dignes et ne mendient pas. C’est la compassion qui poussera le braqueur à les aider. « Ils sont incarcérés pour vol et recel en bande organisée. Ils encourent dix ans. Je me penche sur leur cas et je me rends compte qu’il n’y a aucun élément ». Pour Hervé, il s’agit d’une détention arbitraire. Il écrit en leur nom au procureur pour porter plainte contre la juge d’instruction qui les a mis en détention « Quarante-huit heures après ils sont libérés. C’est ma première victoire juridique. À ce moment-là, je me rend compte que le droit c’est juste du bon sens. ».

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En 2003, Hervé est de nouveau incarcéré à Longuenesse (62). Entre les murs de la prison, il croise un réfugié kurde détenu pour complicité dans une tentative d’homicide. L’homme ne maîtrise pas le français et peine à s’exprimer. Hervé va l’écouter, le temps ne lui manque pas. « Quand il me raconte l’affaire, je me rends compte qu’il n’y a rien du tout. En fait, c’était un témoin, pas un complice », se rappelle-t-il. Il contacte son avocat et s’offusque que rien ne bouge. L’homme ne daignant pas répondre, Hervé prend les choses en main. Dans sa geôle, il ressort la plume et s’adresse aux magistrats. « Je saisis son juge et sa chambre d’instruction. Je développe mes arguments et ils se rendent compte que le dossier est trop maigre pour le renvoyer aux assises ». Après six mois d’échanges, le prévenu est libéré. « Plutôt que de se taper la honte aux assises ils ont préféré se taper la honte en amont », analyse Hervé.

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Au fil des ans, Hervé multiplie les procédures contre l’administration. En prison, il s’est forgé une réputation de procédurier. À tel point qu’il finira sa peine dans le quartier des « isolés médiatiques » de Fresnes. Les surveillants le craignent mais il n’a pas le droit à l’erreur. Actuellement, il poursuit quatre surveillants devant la justice administrative de Rouen pour voie de fait. Il a également saisi le procureur d’Évreux afin de poursuivre les matons pour viol et violences volontaires, en réunion dans un lieu public. Autant le dire : ça fait un paquet de circonstances aggravantes. Hervé a également déposé un recours devant le tribunal administratif de Rouen pour voie de fait et manquement à la déontologie contre une agent du SPIP et pour refus d’accès aux documents administratifs à l’encontre de sa directrice. Visiblement, rien ne l’arrête. L’homme n’a pas froid aux yeux et il se prépare déjà à saisir les plus hautes juridictions de l’État. « Sur le volet administratif de ces deux affaires, si le tribunal de Rouen refuse de se prononcer, ce sera l’occasion d’aller jusqu’au Conseil d’État », assure-t-il.

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Depuis qu’il est sorti l’année dernière, Hervé a rendu trois mémoires universitaires. Le premier est une recherche autour du contre discours à opposer aux salafistes qui lui vaut un 16 sur 20.

Alors qu’il enchaîne les faits d’armes juridiques pour aider ses codétenus durant les années 2000, la révélation est venue d’ailleurs. Un soir en 2006, devant la télé de sa cellule, Hervé découvre l’histoire de Christian Laplanche, ex-braqueur, devenu avocat. « Là j’ai un déclic, se rappelle Hervé. Je me rend compte que c’est possible. J’ai vraiment le truc sous mes yeux ». La graine est plantée dans son esprit. En sortant de prison en 2011, Hervé s’inscrit à la fac et passe une licence de droit. Malgré une nouvelle brève incarcération, sa détermination reste intacte. Depuis qu’il est sorti l’année dernière, Hervé a rendu trois mémoires universitaires. Le premier est une recherche autour du contre discours à opposer aux salafistes qui lui vaut un 16 sur 20. « Son parcours est atypique, mais il s’est révélé être un excellent élément. Il avait tout à fait sa place parmi nous. Il est sorti major de la promotion », observe le professeur Vincent Cattoir-Jonville qui dirige le master. Le deuxième mémoire concerne le Règlement général sur la protection des données. Il est aujourd’hui admis en doctorat.

Hervé étudie la défense et la sécurité nationale. Il a dû trouver sa place dans ce nouvel environnement. « Je suis dans un master avec que des gens qui veulent rejoindre les forces de sécurité. Et au départ, j’ai une conviction. Je me dis que je suis un défenseur des libertés, explique-t-il. Est-ce que j’avais ma place dans ce master ? Oui, parce que le contentieux m’a aidé à conquérir des libertés ». Son professeur renchérit : « Son passé est un atout qui lui donne une maturité que les autres étudiants n’ont pas. Ce n’est pas la même chose qu’un étudiant de 22 ans qui n’est pas sorti de ses bouquins de cours ».

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Il se rapproche ensuite de l’Observatoire international des prisons (OIP) qui mène une véritable guérilla juridique face à l’administration pénitentiaire. Il la compare à celle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. « Le CGLPL est une autorité administrative fantoche qui fait des rapports, mais ça ne sert à rien. L’OIP a bien plus de résultats ». Il élabore une théorie : l’action contentieuse peut constituer un levier d’équilibre, important dans une démocratie, entre pression sécuritaire et défense des libertés.

« Quand il y a un incident en détention, c’est l’administration qui enquête sur l’administration. Quand la police tue quelqu’un, c’est la police qui enquête sur la police. Ça ne mène à rien. »

Nicolas Ferran, responsable du contentieux à l’Observatoire international des prisons se rappelle de ses premiers contacts avec Hervé. « Il nous a contactés quand il était en prison pour nous dire qu’il engageait des recours. Il nous demandait conseil et on lui a répondu », résume-t-il. Et même s’il n’a pas encore pris connaissance du mémoire d’Hervé, il ne tarit pas d’éloges au sujet du jeune juriste : « Il a passé deux mois ici et ça s’est super bien passé. C’est un mec efficace et il connaît la prison. C’est une ressource intéressante pour nous. Il a vraiment apporté des trucs à l’asso ».

Hervé, juriste de son état, amorce sa thèse. Vincent Cattoir-Joinville était tout désigné pour la diriger. « Il y a eu un accord de volontés, confirme ce dernier. C’est la rencontre entre Hervé et le sujet sur lequel il souhaite travailler d’une part et la personnalité d’un directeur de thèse avec qui il y a une certaine affinité et une certaine appétence », poursuit le professeur.

Son élève défend le principe d’acteurs civils indépendants dont le statut serait reconnu et inscrit dans la constitution. « Ça existe déjà, dans certains domaines, mais il faut l’institutionnaliser en désignant des membres de la société civile qui puissent poursuivre l’État sur un ensemble de dossiers qui ne sont pas satisfaisants ». Il ne perd pas de vue sa cible : « Ça commence par le contrôle des forces de sécurité nationale en général. Quand il y a un incident en détention, c’est l’administration qui enquête sur l’administration. Quand la police tue quelqu’un, c’est la police qui enquête sur la police. Ça ne mène à rien ». Une théorie que son maître de thèse juge pour sa part « tout à fait crédible ».

La France est régulièrement montrée du doigt pour ses conditions de détention. Deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme la condamnent sur ce point et 39 requêtes sont actuellement pendantes devant l’institution. L’écrasante majorité des requérants invoquent une violation de l’article 13 de la convention qui protège leur droit à un recours effectif devant les instances nationales. Hervé, l’ancien bandit devenu juriste, conclut notre entretien par ces mots : « Restaurer la justice, c’est combattre la violence. Donner l’accès au droit c’est redonner confiance dans le système ».

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