La prison de Poitiers-Vivonne
Photos : Léo Aupetit pour VICE FR 

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Société

Un Noël en prison

On a assisté à une messe de Noël prononcée pour les détenus du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne.

Le centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne est d'une propreté presque éclatante. Ouvert en 2009, brûlé en 2016 par une mutinerie, rénové et rouvert en 2018, il affiche des conditions de vie presque heureuses pour ses 999 occupants : 716 détenus et 283 personnels pénitentiaires. En centre de détention – établissement qui accueille les longues peines – les prisonniers sont logés dans des cellules individuelles. C'est presque un luxe par rapport à certaines prisons où les prisonniers doivent partager, à quatre et avec des rats, le même espace.

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Karine Lagier, directrice du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne.

Quelques minutes avant la messe de Noël, qui se déroule dans un gymnase improvisé en église de fortune, les détenus arrivent au compte-gouttes. En passant, ils serrent les mains de tout le monde, notamment celle de Daniel Javillon, le chef adjoint de la détention. Ils hochent la tête et sourient en disant : « Salut chef ! ». Puis chacun s'assied où il le souhaite sur la centaine de chaises en plastique, en attendant l’archevêque de Poitiers qui doit célébrer le culte. Un peu avant le début de la cérémonie, une dizaine de détenues arrivent du quartier des femmes. L'un des prisonniers se lève et fanfaronne en interpellant ses codétenus : « Oh les gars, on se lève là, on fait de la place pour les filles ». L'une d'elles rejoint aux premiers rangs un prisonnier avec qui elle est en couple.

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Daniel Javillon, chef adjoint de la détention.

Une table sert d'autel. Elle est située juste devant une petite crèche fabriquée avec du carton par les femmes du centre. Sur l'enfant Jésus, elles ont peint un grand sourire. Dans le fond de la pièce, quelques tables attendent avec du chocolat et des jus de fruit.

Pour participer à la messe de Noël, les détenus ont dû s'inscrire sur une liste établie par l’aumônerie de la prison. L'administration pénitentiaire a ensuite fait le tri pour vérifier qu'il n'y ait pas d'incompatibilité et que tout le monde se tienne bien. Pour encadrer la centaine de prisonniers, trois ou quatre surveillants ont pris place dans le fond du gymnase. Tout le monde leur serre la main. Au début de l'office, l’aumônier principal – que tout le monde appelle simplement Bruno, et qui semble jouir d'une grande popularité auprès des détenus – rappelle qu'il pense à tous ceux qui se sont inscrits sur la liste et qui n'ont pas pu venir, notamment les détenus placés en quartier d'isolement.

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Comme à l'école, les mauvais élèves ont préféré les chaises du fond. Au dernier rang, un détenu nous interpelle :

- « Excusez-moi, ça dure combien de temps, là ?

- Deux heures.

- Ah ouais, c'est cool ! Ça veut dire qu'on est là toute la matinée. Sinon, je suis dans ma cellule ou à l'école. Ou en promenade. Mais bon, la promenade, quand t'as fait sept ou huit prisons, tu connais, c'est toujours la même chose, tu tournes en rond, et c'est tout. Là, c'est bien, ça nous sort, ça fait prendre l'air. »

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Le gymnase du centre pénitentiaire a été transformé en église pour la messe de Noël.

Au cours de la cérémonie religieuse, contrairement aux autres prisonniers qui assistent à la messe, les quatre détenus du fond ne communieront pas, ne réciteront pas le Credo ou le Notre Père, mais ils feront de grandes accolades à tout le monde au moment du geste de paix, juste avant la communion. « Oui, j'ai vu. Je pense qu'il y a des gens qui ne sont pas chrétiens, il y a des gens d'autres religions, explique l’archevêque de Poitiers, Monseigneur Pascal Wintzer. Peut-être qu'ils viennent parce que c'est un temps de prière, c'est une manière pour eux de se recueillir ».

La messe est dirigée par l’archevêque. Pour Karine Lagier, c'est un grand honneur et pour Pascal Wintzer c'est la moindre des choses. Dans son sermon, il parle de liberté – celle des corps, que les prisonniers n'ont pas, et celle de l'esprit, qu'ils peuvent trouver – et de la société de consommation : « Il y a comme une liste de ce qu'il faut avoir à Noël. Il ne faut manquer de rien. Il faut avoir les meilleurs produits du monde à manger. Il faut se faire des cadeaux de plus en plus cher. Il y a quelques années, les anciens nous dise qu'à Noël, on offrait une orange, parce que c'était un fruit exotique. Il paraît que cette année, le cadeau le plus important, c'est l'enceinte connectée. Qui peut se l'offrir ? Pas beaucoup d'entre nous. On est en permanence obsédé par ce qui nous manque. On voit ce qui nous manque et on ne voit pas ce qu'on a. Or, on a des choses ».

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Monseigneur Pascal Wintzer.

Pourtant, à Poitiers-Vivonne, les détenus n'ont pas grand-chose pour Noël. « Il y a deux catégories de personnes, explique Karine Lagier. Il y a ceux qui ont de la famille : ceux-là ne sont pas complètement isolés, même si la période de Noël est toujours compliquée. Et puis, il y a les autres, ceux qui n'ont plus du tout de famille. Ils sont particulièrement vulnérables : pour dire les choses, il y a des risques de suicide ». Pour ceux-là, qui sont sans aucune ressource, une association envoie des colis pour les fêtes. À l'intérieur, il y a un calendrier, une carte de vœux, trois enveloppes timbrées, un sachet de chocolat, un stylo et trois feuilles de papier blanc. À Poitiers-Vivonne, sur 716 détenus, environ 400 reçoivent ce colis. Pour tenter de les aider à passer les fêtes, l'administration pénitentiaire multiplie les ateliers et les activités, notamment des concerts ou du théâtre. « Pour vous situer un peu l'état de détresse, poursuit la cheffe d’établissement, l'année dernière, dans l'unité médicale, après un atelier cuisine, l'un des détenus a dit à l'équipe : "C'est le plus beau Noël que j'ai eu de ma vie". Ça en dit long sur la vie de cette personne avant son incarcération. »

« La messe de noël leur permet de faire comme dehors, comme dans la vie normale, de maintenir un lien avec la réalité. »

Pour les détenus qui ont encore une famille, la période n'est pas forcément moins difficile. À partir du mois de décembre, les proches peuvent faire parvenir un colis exceptionnel de cinq kilos, qui peut, entre autres, contenir des denrées alimentaires. Les détenus, s'ils ont un peu d'argent, peuvent sélectionner des jouets dans un catalogue pour les envoyer à leurs enfants.

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La célébration de le messe en musique.

Élodie et Jonathan sont incarcérés depuis six et sept ans, et pour encore « au moins deux ou trois ans ». À l'extérieur, ils étaient tous les deux déjà croyants et pratiquants. La messe de noël leur permet de « faire comme dehors », « comme dans la vie normale », de maintenir un « lien avec la réalité ». Pour eux, comme pour tous les détenus interrogés, la période de noël est un moment difficile à passer : « Le plus dur, c'est de ne pas voir ses enfants : ce n'est pas seulement notre souffrance à nous, eux aussi, ils souffrent de ce manque. »

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Daniel Javillon veille à ce que tout se déroule bien.

Tous les détenus interrogés parlent de leurs enfants, de la difficulté qu'ils ont à passer noël loin d'eux. Bernard a un fils de huit ans. Il est incarcéré depuis trois ans et demi et pourra sortir, en conditionnelle, d'ici un an et demi environ : « C'est mon quatrième noël en détention. C'est très, très dur. Quand je suis entré, mon fils avait cinq ans, je ne le vois pas grandir. Je le vois 45 minutes par mois, ce n'est pas beaucoup. On ne fait pas d'enfants pour les voir 45 minutes par mois ». Franck, lui, encore incarcéré pour plusieurs années, a envoyé de l'argent à son ex-femme, pour qu'elle puisse acheter un cadeau à leur fille de huit ans.

« Nous avons une pensée pour Guillaume qui va nous quitter : son jugement a eu lieu, il a été acquitté »

Pendant la messe, les détenus font circuler des intentions de prières. La plupart sont dirigées vers les familles, vers les gens malades, vers ceux qui sont seuls, mais aussi « pour que l'Esprit Sain descendent sur les juges et éclaircisse leur jugement ». Une prière qui ne surprend pas l'archevêque : « Comme je suis croyant, je pense que Dieu peut éclairer chacun dans ses choix. Je pense qu'il y a des juges qui sont croyants et qui demandent à Dieu de les aider. Ce n'est pas magique, ce n'est pas Dieu qui va juger à leur place, mais quelqu'un qui est croyant veut que la foi éclaire son existence, son jugement. ».

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En tout cas, prière entendue ou pas, l’aumônier termine la messe par une bonne nouvelle : « Nous avons une pensée pour Guillaume qui va nous quitter : son jugement a eu lieu, il a été acquitté ». Il ne précise pas si les juges ont eu une épiphanie. Les détenus applaudissent quand même.

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L'entrée du gymnase.

Après la messe, plusieurs détenus viennent discuter. Si tous, ou presque, étaient croyants avant leur incarcération, ils sont souvent devenus beaucoup plus pratiquants au cours de leur incarcération. Bernard explique : « Ici, on ne peut pas dialoguer. Moi, mon seul dialogue, c'est Dieu, c'est ma prière le soir, le matin, les rendez-vous avec les prêtres qui viennent parfois me voir. Personnellement, ça m'aide énormément ». Jonathan, qui pratiquait « occasionnellement » avant d'être incarcéré, s'est également rapproché de la religion : « On a le temps de lire les livres et de les apprécier à leur juste valeur. On a le temps de penser beaucoup. »

Tous parlent également de l’aumônerie, très présente à Poitiers-Vivonne, qui semble jouer un rôle social très important. « Ici, on a de la chance, ce n'est pas comme ça dans toutes les prisons », explique Bernard. « Il y a certaines prisons où ils n'ont rien, ils ne peuvent pas pratiquer leur religion. Ici, c'est bien, on arrive même à organiser des rencontres avec les Protestants et les Musulmans. Entre toutes les religions, il y a un dialogue. C'est bien. C'est vraiment convivial. Ces moments-là nous font oublier les murs ».

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Le gymnase vidé de ses chaises et de sa crèche.

« Ici, noël est débarrassé de tout le décor artificiel qui peut parfois encombrer. L'événement de Noël, c'était le plus simple qui soit : une naissance, les bergers du coin… C'est vrai qu'ici, on est rendu au cœur de ce que l'on célèbre », dit l’archevêque, pour évoquer la sobriété forcée de la cérémonie : une centaine de personnes, dans un gymnase beaucoup trop grand, sur des chaises en plastique devant des dessins peints sur du carton, qui boivent du jus d'orange dans des gobelets.

En sortant du gymnase, les détenus regagnent les différents bâtiments. Sur la droite, on voit des fenêtres tapissées d'un grillage si serré qu'il est impossible de voir les prisonniers qui sont derrière. Il y a des « yoyos », des liens qui servent à faire passer des objets de cellule en cellule, fabriqués avec des sacs-plastique, qui pendent un peu partout. À travers l'une des fenêtres, l'un des détenus passe de la musique. Puis, d'un ton rigolard, il se met à hurler vers nous :

« Nique sa mère. Noël c'est de la merde ! Ah ah ah ! J-J-J-J-J-Jul ! ».

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