Le tourisme de guerre à Belfast se porte bien, merci

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Le tourisme de guerre à Belfast se porte bien, merci

Les fresques murales de la capitale de l’Ulster résument mille ans de haine larvée et quarante de conflit armé.

J’ai pris ces photos entre 2007 et 2008 à Belfast, en Irlande du Nord, dans les quartiers de West Belfast, New Lodge, Falls – un quartier catholique traditionnel – et Shankill, le quartier protestant. Ce sont des quartiers pauvres où la guerre civile faisait rage dans les années 1970 et 1980. Lorsque je suis arrivée pour la première fois à Belfast, j’ai tout de suite aimé la ville et ses habitants, leur capacité de résilience et leur joie de vivre. Depuis, j’y retourne aussi souvent que possible.

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Les photos que j’ai prises témoignent d’une forme de tourisme de guerre. Les gens se rendent ici pour voir les lieux où ont eu lieu les affrontements, de même que les murals à la mémoire des disparus. Il y a des sympathisants à d’autres causes qui sont fascinés par ces fresques murales – les pro-Basques, les pro-Palestiniens : elles englobent une plus grande histoire, mondiale, celle des peuples opprimés. On peut considérer cela comme un devoir de mémoire ; mais derrière ça, ce tourisme qui permet à des familles – loyalistes protestants comme catholiques – de vivre, contribue également à rapprocher les deux communautés.

Les gens qui ont peint les façades de ces maisons sont de vrais artistes – Mark Ervine, Dan Devenney, etc. Les fresques en bon état ont toutes été restaurées, les autres non. Sur deux d’entre elles, la date de la peinture est inscrite : « 2000. » Pour les autres, il est difficile de savoir précisément quand elles ont été peintes, mais elles sont d’autant plus emblématiques – elles sont là depuis des dizaines d’années, voire plus.

Les habitants du coin considèrent ces murs comme de vrais monuments. Ce sont des gens assez farouches. J’en ai vu plusieurs sortir des maisons et ils m’ont fait comprendre par leur attitude qu’ils ne souhaitaient pas être abordés. Essayez d’imaginer vivre vingt ans dans la même maison et que, du jour au lendemain, plein de touristes se ramènent devant votre porte.

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Les organisateurs négocient le tour de West Belfast à pied aux alentours de 8 pounds [environ 10 euros]. L’agence Coiste Political Tour figure parmi les premières à avoir organisé ce genre de tours, et leurs guides sont toujours d’anciens combattants. Les touristes, eux, sont presque exclusivement des étrangers : des Français, des Italiens, des Espagnols, des Suisses, des Gallois, ou pas mal d’Américains d’origine irlandaise. Les Irlandais du Sud ou de l’Ouest ne viennent pas, les Anglais non plus.

Dans certains quartiers de Belfast subsistent des traces physiques de la guerre, près de vingt ans plus tard. Mais les habitants, eux, sont passés à autre chose. Lors de ma dernière visite en 2013, le centre-ville de Belfast avait été profondément transformé ; la ville a bénéficié d’investissements de l’Union européenne qui a érigé des immeubles de bureaux en verre autour des anciens docks. Ils ont même construit une nouvelle attraction dédiée au Titanic (sous prétexte que le bateau a été construit à Belfast). La population du centre-ville de Belfast a changé aussi, avec l’arrivée des communautés polonaise et indienne. Les habitants vivent aujourd’hui dans l’ère du capitalisme : ils veulent consommer, comme les autres. La dimension économique a pris le pas sur la dimension religieuse. Les habitants ne sont plus en colère, ni tristes – cette histoire appartient au passé, désormais.

Laetitia Guillou est une journaliste française. Vous pouvez voir ses boulots sur son site

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