Les gauches vont-elles tuer la gauche ?
Photo de couverture : images tirées du compte YouTube de M. Mélenchon, du site de M. Macron et d'une vidéo officielle de M. Hamon

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Élections 2017

Les gauches vont-elles tuer la gauche ?

Alors que la gauche peine à s’unir pour remporter l’élection présidentielle, l’un de nos contributeurs, Kevin Boucaud-Victoire, publie « La guerre des gauches » afin d’expliquer les divisions de ce camp.

Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron : trois figures pour incarner de différentes manières la gauche à l'élection présidentielle. On a beaucoup parlé dans les médias et sur les réseaux sociaux de la possibilité d'une alliance entre Hamon et Mélenchon – alliance qui, selon certains, permettrait de faire triompher la gauche. Ces appels à l'unité excluaient systématiquement Macron – régulièrement perçu comme « ni de gauche, ni de droite, c'est-à-dire de droite ».

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C'est vite oublier que l'ex-ministre de l'Économie du gouvernement de Manuel Valls, sorte de fils spirituel de Jacques Attali et François Hollande, vient bel et bien de la gauche. « Je suis de gauche, c'est mon histoire. Mais la gauche aujourd'hui ne me satisfait pas », avouait-il il y a moins d'un an à Arte. C'est aussi faire l'impasse sur le fait que nombre d'électeurs qui se sentent de gauche perçoivent Emmanuel Macron comme le « vote utile », le dernier rempart contre la peste brune, une énième fois incarnée par le FN. Pour finir, ajoutons qu'En marche ! réunit de nombreux militants et élus venus du PS, qui considèrent Emmanuel Macron comme une version modernisée d'un Parti socialiste vieillissant et sclérosé par ses luttes intestines. En réalité, Mélenchon, Hamon et Macron sont surtout le symptôme d'une gauche divisée en plusieurs familles antagonistes, chacune persuadée d'avoir le monopole de la « vraie gauche ». C'est du moins la thèse que je défends dans La guerre des gauches, publié aux Éditions du Cerf.

Le 28 août 1789, les députés se prononcent sur le veto royal, qui donne au monarque la possibilité de rejeter les lois votées par l'Assemblée. Opposés à cette mesure, ceux qui tiennent à la souveraineté populaire se placent à gauche de la salle – on ne parle pas encore d'hémicycle –, tandis que les partisans du roi et de son droit de veto se mettent à droite. Le clivage gauche-droite est né… ou presque, puisqu'il mettra plus d'un siècle à s'imposer. Quoi qu'il en soit, les familles qui composent la gauche naissent avec la Révolution française : la gauche libérale, la gauche jacobine et, quelques décennies plus tard, la gauche socialiste. Elles ont pour point commun d'être issues des Lumières – même si le socialisme est également le fruit de conditions sociales engendrées par une société industrielle naissante et des luttes populaires. Ainsi, comme le résume Jacques Julliard dans Les gauches françaises 1762-2012, s'« il est absurde de dire que les Lumières sont de gauche, […] il est légitime de soutenir que la gauche est le parti des Lumières ».

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Bien que défendant toutes, à des degrés variés, le progrès, la justice sociale, le peuple, l'individu, l'égalité et la liberté, ces gauches tardent à se rejoindre, car elles ne donnent pas forcément à ces mots la même définition.

Prenez la gauche libérale, qui défend le libéralisme politique. Parfaitement individualiste, elle se repose sur la séparation des pouvoirs et la « neutralité axiologique de l'État » – à savoir une puissance publique qui refuse toute conception du Bien et de la morale. Modérément républicaine et peu intéressée par les questions sociales, cette gauche, représentée par Jules Ferry ou Benjamin Constant, croit au Progrès et à la régulation de la société par le droit.

De son côté, la gauche jacobine croit plutôt à la République une et indivisible, incarnée par la puissance de l'État, couplée au Progrès et à un individu qui serait libéré de tous ses déterminismes. Elle peut accorder une importance majeure aux questions sociales, comme chez Georges Clemenceau, ou s'en désintéresser, comme dans le cas d'Édouard Herriot. Néanmoins, elle ne remet jamais en question le capitalisme.

Enfin, le socialisme est défini par Pierre Leroux en 1834 comme « la doctrine qui ne sacrifiera aucun des termes de la formule liberté, fraternité, égalité, unité, mais qui les conciliera tous ». Très divers – il faudrait parler de « socialismes » au pluriel – ce mouvement peut se sous-diviser en trois branches : le réformisme (incarné par Louis Blanc et Jean Jaurès), le collectivisme (Auguste Blanqui, Jules Guesde ou Paul Lafargue) et le libertarisme (Pierre-Joseph Proudhon, Joseph Déjacque ou Louise Michel). Son objectif est de faire advenir une communauté d'hommes libres et matériellement égaux, qui jouissent des fruits de leur travail. Pour cela, ils entendent en finir avec le capitalisme.

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Associées dans un commun combat contre l'Ancien Régime et les forces de la réaction, ces gauches peinent cependant à s'unir. Si elles peuvent parfois se rassembler contre la vieille droite et pour la République – comme durant la Révolution de février 1848 – elles sont souvent divisées et s'opposent parfois violemment – comme lors de la Commune, en 1871. Il faut attendre l'affaire Dreyfus pour que la gauche forme un camp uni. Afin de contrer la droite réactionnaire et antisémite, les gauches – à l'exception du socialisme libertaire, incarné par l'anarcho-syndicalisme, qui entendait préserver l'autonomie des travailleurs vis-à-vis des institutions bourgeoises – constituent alors le « Bloc des gauches ». Gauche et socialisme se confondent à mesure que la question sociale prend de l'importance et que les libéraux sont marginalisés. Le Front populaire imposera définitivement cette idée, pendant que l'antifascisme renforcera l'union de la gauche.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. La donne change avec l'émergence des combats sociétaux post-Mai 68, le triomphe du néolibéralisme et de ses chevaux de Troie que sont la mondialisation et l'Union européenne dans sa forme actuelle, ainsi qu'avec l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand – qui avait pour engagement de rompre avec le capitalisme, mais qui va préférer le renforcer.

Aujourd'hui il n'y a plus de cause commune qui unit la gauche, écartelée entre une nouvelle gauche libérale, une nouvelle gauche jacobine et une gauche alternative ou critique. Évidemment, il s'agit de trois idéaux-types, au sens wébérien du terme. Dans les faits, si Macron est un digne représentant de la première gauche évoquée, Mélenchon est à cheval entre la deuxième et la troisième, tandis que Hamon se situe entre la troisième et la première.

À terme, ce n'est pas vers « deux gauches irréconciliables » que nous nous acheminons – pour reprendre les mots de Manuel Valls – mais bien vers trois gauches difficilement conciliables. La question à se poser est donc la suivante : les gauches vont-elles tuer la gauche ?

Pour en savoir plus, commandez sans attendre « La guerre des gauches », disponible aux Éditions du Cerf.

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