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Crime

Jim Jones : de militant pour les droits civiques à gourou meurtrier

Avant de devenir le leader d'une secte dont certains membres se sont suicidés, ce pasteur de l'Indiana était à l'origine un socialiste qui luttait contre les discriminations.

Le « suicide collectif » le plus meurtrier de l'histoire de l'Amérique moderne ne s'est même pas déroulé sur le sol des États-Unis. À l'automne 1978, au Guyana, en Amérique du Sud, plus de 900 disciples du pasteur Jim Jones (dont environ 300 enfants, pour la plupart issus de minorités) sont morts après avoir ingéré (de force, pour certains) une boisson mélangée à du cyanure. Beaucoup de ces fidèles cherchaient à vivre une existence alternative basée sur la vision de justice sociale qu'avait Jim Jones. Cependant, leur leader, dont la réputation était ternie par une myriade d'accusations pour mauvaise conduite et fautes professionnelles, était résolu à ne pas mettre fin à ses jours seul. En ce jour de novembre 1978, le membre du Congrès Leo Ryan et une clique de journalistes et de familles des disciples se sont rendus à la communauté ; quelques membres de la secte ont tenté de s'enfuir avec eux.

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C'est à ce moment que Jim Jones, sentant probablement que la fin était proche, a organisé son massacre.

Mais les gens semblent avoir oublié que le Temple du Peuple, la secte de Jim Jones, était au départ un mouvement positif. À l'aube de sa carrière, Jim Jones était un leader progressiste qui luttait pour le mouvement naissant des droits civiques et était même pressenti pour être élu au gouvernement.

Dans son nouveau livre, The Road to Jonestown : Jim Jones and Peoples Temple, le journaliste d'investigation Jeff Guinn (également auteur du best-seller Manson : The Life and Times of Charles Manson) retrace l'histoire du deuxième gourou le plus tristement célèbre d'Amérique : de ses débuts en tant que pasteur idéaliste à Indianapolis à sa descente aux enfers digne d'une rock star, faite de sexe et de drogues, en passant par sa jungle pseudo-paradisiaque en Guyana, Jim Jones n'était pas un escroc ordinaire. Nous nous sommes entretenus avec Jeff Guinn pour savoir pourquoi Jim Jones était considéré, fut un temps, comme un Gandhi à l'américaine, pourquoi il avait failli se présenter aux présidentielles et pour comprendre ce que l'expression « ne bois pas le soda » signifie vraiment.

VICE : J'étais fasciné par les débuts de Jim Jones en tant que pasteur à Indianapolis. Quel genre de personne était-il à l'époque, et pouvait-on déjà se douter qu'il tournerait mal ?
Jeff Guinn : Quand on voit ce qu'il est devenu plus tard, il y avait définitivement des signes dans sa petite enfance qui aurait dû mettre la puce à l'oreille de ses proches. Enfant, il était déjà fourbe et manipulateur. Il était prêt à faire tout et n'importe quoi pour être le chef, celui à qui l'on obéit. Pourtant, l'un des détails les plus incroyables sur la vie de Jim Jones est positif : dans les années 1940 et 1950, à Indianapolis, il a participé à l'intégration de tous les citoyens de la ville, et ce des années avant que les lois pour les droits civiques ne rendent l'intégration obligatoire.

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Il s'est construit une réputation en accomplissant des choses formidables, puis il a utilisé cette image pour littéralement ruiner la vie de ses disciples. Si Jim Jones avait été tué dans un accident de voiture vers la fin des années 1950, on se souviendrait de lui aujourd'hui comme d'un grand leader du mouvement des droits civiques, et ce serait mérité. C'est pour ça que ce qu'il s'est passé est encore plus triste et tragique : il avait la possibilité de faire des choses grandioses, mais il a préféré utiliser son talent pour provoquer, manipuler et en conséquence, on se souvient de lui comme d'une personne odieuse. Et pour être honnête, il le mérite amplement.

Comment est-ce que Jim Jones a réussi à mélanger le gospel et le marxisme dans ses prêches ? Et pourquoi cette étrange juxtaposition a-t-elle tant plu aux disciples ?
Le Temple du Peuple s'est agrandi et a gagné des milliers de membres. Chaque membre avait rejoint la secte pour des raisons différentes : Jim Jones était très doué lorsqu'il s'agissait de montrer une certaine facette de sa personnalité à certaines personnes, et une autre facette à d'autres. Sa secte se fondait sur la Bible, mais également sur l'idée de justice sociale qu'il souhaitait instaurer chez ses membres. Plus son temple s'agrandissait, plus il tentait d'utiliser son influence pour changer la société.

Ils sont devenus très actifs, politiquement et socialement parlant, et des gens les ont rejoints pour cette raison. Ils ne se souciaient pas particulièrement du côté religieux de la chose : ils voulaient juste être des acteurs du changement. Jim Jones était un socialiste, pas un communiste. L'objectif principal, pour lui et pour le Temple du Peuple, était de nourrir les affamés, d'habiller et de loger les pauvres et de mettre en place un système où tout le monde a accès à la dignité et aux opportunités. Le Temple du Peuple était censé être un exemple parfait, et le reste du monde, en voyant ça, était censé se dire : « il faut qu'on fasse pareil. »

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Jim Jones disait aussi qu'il était un Dieu et il prétendait pouvoir guérir miraculeusement les gens ; bien entendu, tout était mis en scène. Certains membres de la secte l'ont suivi car ils pensaient qu'il était surhumain.

Est-ce qu'il y a eu un moment en particulier où les choses ont commencé à mal tourner ? Jim Jones semblait traîner derrière lui des affaires de fautes professionnelles depuis quelque temps. Comment a-t-il réussi à s'en tirer aussi longtemps ?
Il a fait tout ça progressivement, les différentes affaires judiciaires ne sont pas sorties toutes en même temps. Ça s'est fait petit à petit ! Un de ses disciples a comparé la situation à une grenouille dans une casserole d'eau – les disciples étant la grenouille. Si vous plongez une grenouille dans une casserole d'eau bouillante, elle va immédiatement en sortir : elle comprend le danger. Mais si vous mettez une grenouille dans une casserole d'eau tiède qui chauffe à feu doux et que vous montez la température petit à petit, la grenouille va s'habituer à la chaleur et va rester dans l'eau, jusqu'à mourir ébouillantée.

 À l'origine, les disciples de Jim Jones lui étaient fidèles car le Temple du Peuple accomplissait de nombreuses choses qui en valaient la peine. Ils aidaient vraiment les gens dans le besoin et, progressivement, Jim Jones est devenu le monstre que l'on connaît aujourd'hui. On a tendance à penser qu'il a été comme ça toute sa vie et que les gens qui le suivaient étaient forcément des imbéciles écervelés, mais ce n'est pas vrai. Tous les gens qui l'ont rencontré, et ce jusqu'aux derniers mois de Jonestown, l'ont décrit comme un homme social, jovial et élégant.

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Jim Jones a-t-il vraiment failli être président ?
Quand il était encore en Californie, il a attiré des disciples qui pensaient qu'il était parfait et ne disait que la vérité. Les gens ne lui disaient plus « Eh, attends une seconde, ce que tu dis n'est pas vrai » ; tout ce qu'on lui disait, c'est qu'il était brillant et merveilleux. C'est dans la nature humaine de croire ce qu'on nous répète, et Jim Jones était encore plus enclin que d'autres à accepter les compliments. On a complètement arrêté de le critiquer, et c'est là que les choses ont commencé à empirer.

Avant que tous les scandales publics ne fassent surface en Californie et ne l'obligent à fuir en Guyana, Jim Jones commençait à se rapprocher du monde politique. Il donnait des interviews et disait qu'il ne pouvait vraiment pas se présenter à l'élection présidentielle… Pour l'instant. Mais peut-être bientôt. Il ne faut pas oublier que Jim Jones travaillait dans les coulisses politiques de la Californie, il avait dans l'idée d'y faire lui-même carrière et connaissait plusieurs sénateurs et membres du Congrès.

Un homme prêt à croire qu'il est Dieu ne va pas se lancer discrètement dans la vie politique. De nos jours, ça peut sembler absurde de se dire que Jim Jones aurait pu être président des États-Unis ; mais, dans les années 2000, qui aurait pu prédire que Donald Trump serait élu président ?

Vous avez beaucoup enquêté sur les crimes et faits divers du pays, mais Jonestown est un chapitre particulièrement sombre de l'histoire américaine. Cela a-t-il été pesant pour vous ?
La plus grosse difficulté de ma carrière d'écrivain a été de rédiger le chapitre qui relate les événements du 18 novembre 1978. J'ai 66 ans, j'enquête sur ce genre d'histoires depuis près de 50 ans et je n'avais jamais vécu une chose pareille, car je me sentais proche des victimes. J'avais l'impression d'être allé dans cette jungle, de m'y être frayé un chemin, je savais ce que ça signifiait d'être là, dans la boue, en novembre. C'était une sensation viscérale plus qu'intellectuelle. J'écrivais pendant quelques heures, puis il fallait que je prenne une pause loin de tout ça.

Quand j'ai terminé le chapitre, ça m'a fait souffrir de le relire : au bout d'une page, je savais ce qui allait arriver, et pourquoi ça allait arriver, et je m'étais attaché aux personnes à qui ça allait arriver. J'espère qu'en lisant ce livre, les gens vont réussir à mieux comprendre le Temple du Peuple et Jim Jones, et vont arrêter de les prendre pour des phénomènes de foire. J'espère qu'ils vont se rendre compte que les apparences sont trompeuses, et, en plus de tout ça, j'espère que les gens vont se poser des questions sur les démagogues. Il y a toujours eu des démagogues, et il y en aura toujours.

L'histoire de la secte de Jim Jones est restée gravée dans les mémoires, un peu comme l'histoire des Manson. Est-ce parce que les deux se sont déroulées à l'époque de grands changements sociaux, dans les années 1970 pour le Temple du Peuple et dans les années 1960 pour les crimes de Charles Manson et sa famille ?
Le massacre de Jonestown est, en quelque sorte, au même niveau que l'assassinat de Kennedy ou les attentats du 11 septembre : c'est un événement si horrible et affreux qu'il est difficile de se dire qu'il s'est vraiment déroulé. Une phrase est même passée à la postérité : « ne bois pas le soda ». Ça veut dire : « Ne crois pas les gourous fanatiques prêts à te faire avaler tout et n'importe quoi ». C'est en référence à la boisson ingérée par les membres du Temple du Peuple pour leur suicide collectif : du soda mélangé à du cyanure. Seulement, on a forcé beaucoup de victimes à boire le mélange mortel, ou alors on leur a injecté de force : à ce moment-là, il s'agit d'un meurtre. Il faut que les gens se rendent compte que les membres de cette secte n'étaient pas des idiots qui se sont laissés entraîner dans une arnaque sans rien dire. Il faut essayer de comprendre ce qui s'est passé à plus grande échelle, comprendre ce qui attire toujours les peuples vers les démagogues. Si on veut arrêter de se faire avoir par eux, alors il faut peut-être qu'on comprenne leur manière d'agir.

Lorsque Leo Ryan, le membre du Congrès, est venu à Guyana avec les journalistes, ça a été l'élément déclencheur. Jim Jones savait que sa fin était proche, et il cherchait à la rendre dramatique et imposante, à en faire quelque chose qui resterait gravé dans les mémoires. Si Leo Ryan n'était pas venu à Guyana, je suis persuadé que Jim Jones aurait trouvé une autre excuse : il était prêt à tout pour son grand spectacle. Quand on repense à toute cette histoire, on peut détester Jim Jones, détester ce qu'il a fait, mais, d'une manière personnelle, il a accompli ce qu'il souhaitait accomplir. Il voulait être célèbre, il voulait qu'on se souvienne de lui. Pari gagné.

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