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Music

« Regarde ta jeunesse dans les yeux » est le guide ultime du hip-hop français des années 80

De Sidney au terrain vague de La Chapelle, du Roxy aux Zoopsie, de Destroy Man au Deenastyle, Vincent Piolet vous raconte tout ce que vous devez savoir sur « le Mouvement ».

Quel rôle a tenu la feuille d'infos The Zulu's Letter dans le Mouvement ? Quel impact a eu l'ouverture (animée par Huggy les bons tuyaux de la série Starsky & Hutch) du McDonald's aux Olympiades, Paris 13ème, en 1980 ? Que pensait la presse rock de l'arrivée du rap au début des 80's ? Comment la marque Troop a débarquée en France ? D'où vient la brouille entre le Suprême NTM et IAM ? Comment Akhénaton s'est retrouvé sur ce morceau ? Les MICE étaient-elles les premières rappeuses françaises ? Où est née l'émission Yo! MTV Rap ? Pourquoi Public Enemy n'a failli jamais jouer en France ? Annie Cordy savait t-elle vraiment smurfer ?

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Une fois pour toutes, un livre vous fournira toutes ces réponses : il s'appelle Regarde ta jeunesse dans les yeux et est signé Vincent Piolet. 3 ans d'interviews et de recherches compilés en 368 pages (sans photos) où se bousculent tous ceux qui ont fait le hip-hop en France entre 1980 et 1990, connus ou inconnus, soit de ses balbutiements à New-York (rapportés en France par quelques journalistes branchés) jusqu'à son accession au mainstream dans la foulée de la première compilation du genre : Rapattitude. Pendant ces dix années a existée une contre-culture hip-hop digne de ce nom dans l'hexagone, peuplée d'histoires aussi incroyables que décisives. On a évoqué quelques grandes lignes de cette aventure avec l'auteur. Noisey : Au début du livre, il est écrit que le jazz-funk était la première musique de rue en France. Tu peux détailler ?
Vincent Piolet : Dee Nasty en a gardé en effet le souvenir. Jazz-funk, jazz-rock, électro-funk, etc… le funk impose des figures de danse qui appellent la performance, la performance individuelle généralement car elle se pratique sans partenaire. James Brown est le performer par excellence et ses phases sont copiées par de nombreux gamins à l'époque, on rentre dans la technique, le physique. Et où donc les gamins pouvaient-ils s'entrainer à reproduire ces phases et en plus gagner la reconnaissance de leurs potes ? Souvent dans les halls ou sur la dalle des Olympiades, dans le 13e à Paris, comme je l'écris. Très vite, les danseurs montrent leur performance dans les clubs, puis arrivent des plus jeunes avec le hip-hop, une autre histoire… Mais attention, le jazz-funk était loin de faire l'unanimité. Dans les quartiers, on écoutait aussi et surtout du rock, du reggae et du disco.

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Une BD hip-hop de 1986

Au début des années 80 circulait une feuille d'infos qui s'appelait The Zulu's Letter. Tu peux m'en dire plus ? Comment était-elle diffusée ? Quel impact elle a eu sur la scène française ?
La Zulu's Letter était dirigée par Queen Candy et l'objectif était de transmettre le message zulu d'Afrika Bambaataa aux B-Boys. Elle était réalisée de façon assez artisanale dans la forme mais très sérieusement dans le fond. On retrouvait toutes les dernières nouvelles du Mouvement, des dessins réalisés par les meilleurs graffeurs, des classements des meilleurs groupes, etc. On pouvait se la procurer dans quelques points de distribution, très rares, comme chez Dan de Tikaret, sinon par abonnement. C'était destiné aux initiés. La Zulu's Letter a été le premier support écrit exclusivement hip hop.

Dans un téléfilm de Cyril Collard (Le Lyonnais, épisode « Taggers ») sorti en 1990, on voit une zulu, envoyée par la maison mère, pour remettre de l'ordre dans le mouvement qui part en couilles à cause de la drogue et des armes. Tu as enquêté là-dessus de ton côté, haha ?
Tu plaisantes [Rires] ! Le téléfilm de Cyril Collard est un petit frisson pour la ménagère qui a entendu les mots « tag » ou « zulu » à la radio ou à la télé et cette dernière lui sert son fantasme sur un plateau : des zulus organisés en secte prêts pour un complot mondial ! [Rires] Bien que des Kings ou des Queens zulu aient été nommés en France, ils n'avaient pas d'autorité, le titre venait plutôt couronner un talent, un investissement dans le hip-hop. Des ados, en pleine rébellion, qui allaient tagguer dans les dépôts, fumaient, buvaient, et pour certains allaient plus loin, étaient incontrôlables. « Un zulu envoyé par la maison mère pour remettre de l'ordre dans le Mouvement », vous êtes sérieux ? Autant prêcher dans le désert… C'est justement parce que personne ne contrôlait le Mouvement, qu'artistiquement, des choses intéressantes y sont nées.

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J'ai ri en lisant la chronique de Jacques Colin du disque de Sugarhill Gang dans un Rock & Folk de 1980. Il qualifiait leur tube de « musique d'homosexuels »…
Quand j'ai lu ça, j'ai pris mon petit crayon et j'ai bien indiqué la source : tout le monde pourra aller vérifier (Rock & Folk, décembre 1980, p. 130). Les rockers détestaient le hip-hop et Rock & Folk, surtout, ne voyait pas le rap comme de la musique. Jacques Colin méprisait le rap, et l'assimiler à l'homosexualité devait être le degré ultime du mépris pour lui. Triste. Et on se demande, personne ne relisait les chroniques chez Rock & Folk ?

Un chapitre du livre est intitulé « Les Branchés et le rap », qui, de l'épisode Celluloïd aux soirées à la boîte l'Emeraude, ont été déterminants dans l'exposition du genre en France. Finalement, ils ont fait plus de bien que de mal au mouvement, non ?
Oui, bien sûr, les branchés permettent à l'époque au hip-hop de se développer. D'ailleurs, aux États-Unis, c'est lorsque qu'Uptown, le Bronx, rencontre Downtown, Manhattan, que le hip hop explose au niveau planétaire. Blondie en est l'exemple parfait avec le morceau « Rapture » et son clip réunissant pleins de B-Boys. Le hip hop cantonné aux banlieues, aux couches populaires, c'est une caricature. Aujourd'hui, on a dépassé le stade où les branchés sont précurseurs de tendance dans le rap, comme fin 80. Le rap est maintenant installé depuis longtemps, ces relais sont multiples et incluent les médias généralistes. Un ado qu'il soit dans sa campagne, dans un quartier huppé ou dans un quartier populaire, peut écouter la même chose au même moment.

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Lorsque Paco Rabanne offrait des platines ou une salle aux gamins des quartiers, c'était désintéressé aussi ?
Paco Rabanne n'avait rien à gagner à accueillir des gamins dans sa salle pour breaker ou smurfer. Il a plutôt gagné des ennuis via les riverains qui n'aimaient pas voir tous ces jeunes dans leur quartier… Il a joué un vrai rôle de mécène, peu de gens le savent, et des groupes de danse ont pu se constituer comme Aktuel Force, toujours une référence aujourd'hui. Par exemple, Paco a offert une platine au rappeur Jhony Go, ça coutait une fortune ! Juste par générosité.

C'était quoi exactement, les soirées « Zoopsie » ?
Molskee, un DJ et quelques uns de ses amis (Squally, JMT, Djida, Marthe Lagache et Franck Chevalier), avait réussi à caser dans une même salle, à Bobino, le Suprême NTM et Jean Paul Gaultier, par exemple. Les soirées hebdomadaires Zoopsie ont généré des rencontres décisives entre B-Boys du hip-hop et habitués des défilés de mode, directeurs de labels, dirigeants de médias et autres promoteurs de spectacles. Ca a été un peu la suite des soirées Chez Roger Boîte Funk au Globo que Molskee avait fréquentées assidûment. Dans l'histoire de certains groupes sur lesquels je reviens dans le livre, on se rend compte que les soirées Zoopsie ont joué un véritable rôle de rampe de lancement, vers le business.

Dans un article de la revue Schnock sorti il y a deux ans, tu avais rédigé un long article intitulé « Le rap, une invention française ? » qui était un bon avant-goût du livre. Personne ne t'avait emmerdé avec le titre ?
Le titre a été choisi par l'éditeur de la publication : c'était pour appâter le chaland j'imagine ! C'est une petite provocation. Le but : montrer que des Français – non, ils n'ont pas inventé le rap ! – ont joué un rôle important dans la diffusion du hip-hop. Le club The Radio à Los Angeles par exemple, monté par Alex Jordanov, est essentiel, c'était le pendant du Roxy sur la côte ouest. À New York, Bernard Zekri a produit des hits légendaires pour les DJs (« Change The Beat ») ou les breakers (« The Wildstyle ») et il a « apporté » le hip-hop en Europe avec la première tournée du genre au monde. Il a ramené tout le Bronx à Paris, Londres, jusqu'à Belfort ou Mulhouse ! Ces gens ont été trop vite oubliés.

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D'ailleurs, une nouvelle fois en 1987, c'est une Française (Sophie Bramly aka Afrika Loukoum) qui lance le futur programme culte Yo! MTV Rap… en Angleterre. Pourquoi l'Angleterre ?
L'Amérique ne sait pas encore comment aborder médiatiquement le hip-hop. En 1987, il n'y a jamais eu d'émission hip-hop aux États-Unis. D'ailleurs, quand ils entendent parler de H.I.P. H.O.P. de Sidney en 1984 en France, ils sont fous, c'est la première du genre au monde. Quand Sophie Bramly discute avec Fab Five Freddy qui vit aux États-Unis, il hallucine qu'une chaine de télé ait laissé son amie appeler son émission Yo ! Il faudra attendre plusieurs mois pour que MTV USA programme la même émission qui est présenté en 1988 par… Fab Five Freddy !

Ce qu'on voit tout au long du bouquin c'est que le tag et la danse étaient bien représentés en France mais que le rap était à la traîne. Ça tient à quoi à ton avis ? C'est un peu plus compliqué que ce qu'il s'était passé 20 ans auparavant avec le rock et les yéyés n'est-ce pas ?
Le rap était à la traîne au tout début car c'était quelque chose d'Américain, de langue anglaise, donc on ne voyait pas l'intérêt de rapper en français. L'émission sur la radio RDH de Bad Benny et Dee Nasty début 80 le montre bien. Les rappeurs invités commencent par reprendre des standards US, mais c'est souvent du yogourt, et le déclic se fait, comme je l'écris, pour certains. Ils veulent s'exprimer, délivrer un message, donc le français s'impose petit à petit. L'histoire est très particulière. Pendant que cette prise de conscience se fait, les breakers et les graffeurs sont déjà à l'œuvre. Donc oui, le rap a été à la traîne. Et puis c'est Akhénaton je crois, qui avait dit que lorsque le niveau de danse ou de graff était devenu trop élevé et que tu ne suivais plus, il ne te restait plus qu'à te mettre au rap…

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On a finalement très peu d'infos sur le rap en dehors de Paris. Y'a t-il eu du rap à Lyon après les évènements des Minguettes ? Et d'autres personnages clé comme Philippe Subrini (de Marseille FM) ailleurs en France ?
Marseille a une histoire très particulière. Contrairement aux autres villes de province, le hip-hop américain ne « descend » pas de Paris, il arrive directement par le port via les marins américains en escale. Et très vite, il existe des rappeurs, des disques import directement en provenance des US. Philippe Subrini et ses émissions de radio concentrent toute cette énergie et, comme un aimant, DJ et rappeurs viennent frapper à sa porte. Pour les autres villes, il a été très difficile d'obtenir des informations. Il y avait bien entendu des rappeurs mais l'exposition médiatique, déjà très faible à Paris, les a laissés dans l'ombre. Je rapporte l'histoire du groupe Shams Dinn de Vénissieux, et les filles d'Ettika de la banlieue rouennaise, mais ils sortent de l'ombre car ils « montent » à Paris et que Nova les adopte. Ce pourrait être le challenge d'auteurs comme Étienne Kervella - qui a écrit un beau livre sur le hip-hop en Pays de la Loire – et d'autres de chaque ville : retrouver les récits des pionniers et on compilera le tout en plusieurs tomes !

De 1985 (l'arrêt de l'émission de Sidney) à 1990, on ressent un trou noir dans le paysage. Le rap n'a pas su se prendre suffisamment en main durant cette période ?
H.I.P. H.O.P. de Sidney en 1984 est une parenthèse dans la décennie. Le hip hop est alors présenté comme une mode de cour de récréation. Lorsque l'émission s'arrête, la mode et les marchés commerciaux qui lui sont liés s'arrêtent. Il ne faut pas confondre la pratique culturelle du hip-hop et la pratique commerciale. Lorsque cette dernière meurt, le hip-hop continue et il survit sans argent, sans institution, sans média, une vraie contre-culture. Le hip hop s'est justement pris en main et les fondements culturels se sont alors propagés. C'est ce que je décris dans le livre. Un réseau très fort se crée au cours de cette période.

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Dee Nasty et Jhony Go sur le terrain vague de La Chapelle

Quelle importance ont eu les bandes/gangs et leur géographie sur le mouvement des années 80 ? Comment une expérience comme le terrain vague de La Chapelle a pu duré plus d'une semaine ?
Il faut bien différencier les crews de taggeurs, graffeurs, danseurs et rappeurs des bandes à caractère violent. Ce sont deux histoires distinctes même si dans les crews, leurs membres étaient parfois loin d'être des enfants de chœur. Les crews ont eu un impact identitaire très fort et le hip-hop était le liant, ils ont donc été très importants, oui. Le terrain vague, découvert par les graffeurs des BBC (le crew de Jay One, Skki et Ash), est une expérience qui dure plusieurs années, et elle a duré simplement car le lieu était abandonné par la ville de Paris et est devenu rapidement mythique à de nombreux titres. L'aventure s'arrête lorsqu'il est rasé fin 80, début 90, pour la construction d'un centre de la Poste.

Ticaret, dealer de Troop, au début des années 90 (via Sneakers Culture)

Puis arrive la boutique Ticaret, est-ce qu'elle marque le début de l'entreprenariat rap français ?
Non, pas encore d'entreprenariat rap, mais plutôt une histoire d'opportunités. Ticaret n'a pas pris le relais du terrain vague, ils ont d'abord coexisté côte à côte, avant que la boutique ne se relocalise à Châtelet dans les années 90. Mais au début des années 80, Ticaret a joué un rôle de démocratisation du hip-hop en lui offrant un accès libre : n'importe qui pouvait à l'époque avoir accès au hip-hop sans passer par la rue. C'était le seul endroit où l'on pouvait venir acheter de la musique ou des fringues hip-hop, être au courant des dernières tendances et être conseillé par Dan, lire les dernières nouvelles via The Zulu's Letter, sans le risque de se faire embrouiller si tu allais au terrain vague bien sapé, seul, sans connaitre personne ni rien au lieu… Pour éviter tout problème, Dan de Ticaret ramenait même ses meilleurs clients jusqu'au métro !

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De H.I.P.-H.O.P. à Rapline en passant par les plus rock Rapido et Sex Machine, on a l'impression en lisant les témoignages des rappeurs qu'aucune de ces émissions télé n'était vraiment prise au sérieux.
Les gamins qui regardaient H.I.P. H.O.P. en 1984 de Sidney prenaient l'émission très au sérieux ! Les plus âgés, qui pratiquaient déjà, peut-être moins. C'est TF1 qui n'a pas pris le rap au sérieux et juste comme une mode. Sex Machine a abordé le hip-hop dans la décennie 80, notamment lorsque c'est le désert médiatique, et l'émission en parle plutôt avec sérieux même si le format de l'émission est à l'humour. Aller interviewer RUN-D.M.C. à Aubervilliers, il fallait le faire… Toutefois, ça reste anecdotique dans la programmation de Sex Machine. Au moment de Rapline, on est à une autre époque, ça débute en 1990 et les rappeurs prennent très au sérieux cette émission. Pouvoir y passer est un vrai tremplin, notamment afin de profiter de leur passage pour réaliser un clip.

Niveau grand écran, le film Les Guerriers de La Nuit a eu une grosse influence sur le rap. En quelle année il sort en France ? Est-ce que Beat Street a bénéficié d'une sortie française lui aussi ?
Les Guerriers de La Nuit sort en 1980 en France mais il a une longue influence pendant de nombreuses années, chacun doit alors avoir sa bande comme dans le film. Beat Street sort en 1984 et c'est de la folie car on est alors en plein dans la « mode » du break. Break Street (ou Breakin' en anglais) a un fort impact aussi. Bien entendu, ceux qui ont réussi à voir Wild Style, à l'époque, très peu distribué, en ressortent changés.

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Certains reprochaient au rap français d'aduler le hip-hop américain, et de le reproduire en moins bien, mais lorsque les groupes US viennent à Paris (comme Beastie Boys et Run DMC en 87) c'était émeute et coups de pression ! C'est la mentalité rue qui reprenait le dessus ?
Le concert des Beastie Boys et de RUN-D.M.C. où ça part en vrille totale est une exception. Il n'y a pas eu de problème lors des concerts des Ultramagnetic MCs, de Big Daddy Kane, de Ice-T, de KRS-One ou de Public Enemy, entre autres. Pour Public Enemy, les médias fantasmaient un déferlement de violence. Il n'y eut aucun incident et ils furent donc déçus que leur fantasme ne devienne pas réalité.

Tu reviens également sur la première partie de Madonna à Bercy en 1990 assurée par… IAM !
Elle souhaitait d'autres groupes qui ont refusé (Les Négresses Vertes, La Mano Negra). C'est un coup de poker d'Emmanuel de Buretel et Benny Malapa que j'explique dans un chapitre du livre. IAM n'avait pas encore sorti d'album sur une major, ce serait inimaginable aujourd'hui, et ils ont d'ailleurs fait plusieurs dates avec elle…

De son côté, NTM faisait la première partie de La Souris Déglinguée. Des ponts se sont finalement créés entre le rap et la scène alterno à la fin des années 80.
Il y a eu quelques ponts, un peu normal pour deux scènes « underground », mais ces ponts n'ont rien concrétisé d'important. On est dans l'anecdotique.

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Iron 2 met sa technique du « turn style » en pratique lors d'une session sur Radio Nova.

Le Deenastyle sur Nova était-il l'ancêtre de Planète Rap sur Skyrock ? C'est assez incroyable de voir que Dee Nasty était partout, tout le temps, à toutes les époques.
Comparé le Deenastyle et Planète Rap n'a pas vraiment de sens, même comme filiation… Dee Nasty et Lionel D invitaient des « inconnus » du public où une poignée allait devenir des stars. Ils invitaient qui ils voulaient dans un esprit très libre, avec toujours la volonté de transmettre Le Message. Planète Rap, on parle d'une entreprise, c'est une autre époque. Les invités sont sélectionnés en fonction d'un potentiel commercial. Ce sont deux époques différentes. Dee Nasty, depuis le début des débuts, a toujours été un moteur d'initiatives pour le Mouvement : fanzine, terrain vague, radio, soirée. Il sort le premier album de rap français, 100 % autoproduit, l'histoire est incroyable. Tu le retrouves partout. Comme je le raconte, en plus d'être le moteur, c'est un DJ hors norme.

Il y a un passage sur la sortie malheureuse du disque de son pote, Lionel D (« Pour toi mon frère le Beur »), en pleine Guerre du Golfe…
Lionel D était un freestyler hors pair, sincère dans sa démarche, à l'aise avec les siens. Il était très respecté et reconnu. Lorsqu'il est entré dans le monde du disque, avec les rivalités entre labels, la promotion, etc. cela n'a pas été simple. Et on ne lui pas rendu les choses faciles non plus.

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Que sont devenus Lucien (le Français des Native Tongues) et Alex Jordanov (premier français à avoir sorti un disque aux USA) ?
Lucien, ou plutôt Papalu, est aujourd'hui DJ. Alex Jordanov est devenu journaliste, il a même été otage en Irak.

De toi à moi, la plupart des disques de rap des années 80 ont cruellement vieillis, non ? Quels sont tes préférés de cette période ?
Très peu de disques sont sortis à cette époque, c'est pour ça que je raconte l'histoire des premiers rappeurs qui ont rappé dans différents lieux, en « vivant », et non sur disque. Il faut vraiment attendre la toute fin 80, voire l'année 1990, pour trouver des disques qui ont bien vieilli. Dans ce qui est sorti commercialement, la K7 Concept d'IAM a bien vieilli je trouve, comme plusieurs morceaux d'Assassin ou du Suprême NTM, notamment le morceau dont est issu le titre du livre, « Le Monde de Demain » et son sample qui a causé, à l'époque, quelques frictions entre le Suprême et IAM…

Tu as lu les deux bouquins L'Effroyable imposture du rap et Le Rap est la musique préférée des Français ?
Grosse discussion… Je ne partage pas ce qui est écrit dans L'Effroyable imposture du rap car tout est mélangé à mon sens. Il faut tout détricoter, ça prendrait trop de temps ici. Le rap n'est pas plus une imposture que n'importe quelle autre musique. En ce qui concerne Le rap est la musique préférée des Français, j'ai lu la 4ème de couverture. Dire que la culture hip-hop est une culture de masse, cela fait plus de dix ans que c'est le cas. Ensuite, ça parle du rôle central de Skyrock dans le hip-hop. Encore une fois je n'ai pas lu le livre, mais ça me fait penser à un dirigeant de maison de disques qui disait que sans elle, il n'y aurait pas d'artiste. On confond « métier d'artiste » et « artiste », et il y aura toujours des artistes. J'espère juste que Laurent Bouneau a demandé l'avis de Booba pour varier les points de vue.

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Pour finir quelques questions « légende ou vérité » :

EJM était-il le premier gangsta rappeur français ?
Oui, un des premiers rappeurs à l'esthétique « gangsta ». Tous les rappeurs français avaient leur influence américaine à l'époque, la sienne venait de l'ouest des États-Unis.

La FAM, « Fédération des Amateurs du Métropolitain », a t-elle vraiment existée ?
Je ne pense pas que Blitz soit allé déposer les statuts de l'association [Rires] ! La FAM a existé, dans un esprit Club des 5, société secrète entre potes.

Destroy Man était-il le rappeur le plus craint des années 80 ? Son album jamais sorti aurait-il pu être le joyau du mouvement ?
Destroy Man a sorti un album en 1992, c'est l'album avec Jhony Go qui n'est jamais sorti et qui manque au rap français dans la décennie 80, à la suite d'embrouilles, de malchance, etc. À l'époque, dans les années 80, quand Destroy Man montait sur scène, tu lui laissais généralement le micro. Rockin' Squat en fit les frais lors d'un concert que je cite dans le livre. Style J, champion de France de boxe, il ne fallait pas trop le chercher non plus !

D'où vient « B-Boy Stance », deuxième nom du groupe IAM ?
AKH dit faire référence à Schoolly D dans sa biographie, mais je crois qu'il confond avec RUN-D.M.C. Je n'ai jamais retrouvé un couplet de Schoolly D avec le terme « B-Boy Stance » dedans… Si je me trompe, je serais curieux de connaître le morceau.

Existe t-il des preuves que Dorothée et William Leymergie ont fait du smurf sur Antenne 2 ?
Interdit aux moins de 18 ans : Récré A2 le 25 avril 1984.

Le hip-hop français aurait-il existé sans l'implantation d'un McDonald's aux Olympiades en 1980 ?
Oui, bien entendu, il existait avant d'ailleurs. Je ne crois pas que Ronald McDonald n'ait jamais breaké sur la dalle. Mais il faudrait demander à DJ « Ecoute la basse » Chabin.

C'est vraiment Solo d'Assassin en photo sur le logo du label Tommy Boy ?
Vérité ! Solo a vécu des moments incroyables que je raconte, de NYC à Paris, un activiste 100% avec la même énergie que quelqu'un comme Dee Nasty.

NTM auraient-ils existés sans avoir croisé Johny Go dans le métro ?
Ça, c'est la jolie légende : le fameux clash Jhony Go vs. Kool Shen et Joeystarr. Kool Shen raconte toute l'histoire dans le livre. Ils seraient devenus le Suprême NTM, même sans cela.

Joey Valstar était-il l'autre surnom de Joey Starr ?
Oui, c'est vrai. Comme tous les rappeurs, surtout ceux qui ont taggué, les blazes font partie du jeu. Depuis, il a été aussi Jaguarr Gorgone, Double R, L'Expert de la Maison Mère, etc. Et tout simplement Joey.

Le premier album de Timide & Sans Complexe a t-il été le disque le plus volé de l'histoire de la Fnac ?
Je l'ai lu dans la presse je crois, à moins que ce ne soit Doudou Masta qui me l'ait dit. Oui, certainement l'année de sa sortie. Il existe peut-être dans des archives secrètes, un top des albums les plus volés à la Fnac. Je serais curieux de le consulter. Regarde ta jeunesse dans les yeux est toujours disponible aux éditions Le Mot et Le Reste.

En attendant, Rod Glacial fait la coupole sur Twitter.