Vox Low : « Il y a de moins en moins de jeunes de notre âge »
Photo - Marion Barat

FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Vox Low : « Il y a de moins en moins de jeunes de notre âge »

De F Com à Born Bad, les ex-Think Twice nous racontent comment ils ont survécu à la hype et aux années 2000 pour revenir à 40 ans, sans pression, avec un disque brillant.

Repérés par Laurent Garnier et signés sur F.Com en 2004, le duo Think Twice, vendu comme les LCD Soundsytem français s’est écrasé avec fracas contre le mur de la dure réalité musicale. Quinze ans plus tard, revenus en dilettante sous le nom de Vox Low avec une rave trempée dans le cambouis rock, des basses bombardées sur le dancefloor et un premier album paru chez Born Bad (qu'on vous a présenté il y a quelques semaines), le binôme Benoît Raymond/Jean-Christophe Couderc nous raconte comment il a remonté la pente des années 2000 et s'est imposé sur scène, au point d'impressionner le public du Convenanza, le festival annuel d'Andrew Weatherall.

Publicité

Noisey : Comment se fait-il que Think Twice n’ait pas marché ?
Benoît Raymond : Parce qu’on est arrivé à la fin de F.Com et leur motivation était vraiment moindre à cette époque.

Jean-Christophe Couderc : Laurent Garnier se barrait dans le sud car il avait son gamin, on ne le voyait quasiment plus alors que c’est lui qui nous avait signés et Eric Morand ne comprenait pas vraiment ce qu’on foutait sur le label, pour parler gentiment. On a bricolé notre album chez nous avec des bouts de ficelles. Ça manquait vraiment de production.

Comment Garnier vous a repéré ?
Jean-Christophe : Quand on s’est rencontrés on faisait un peu de musique chacun de notre côté, je bricolais des trucs avec des samples mais c’était à l’aveuglette. J’avais un pote qui bossait pour le label Yellow Productions de Bob Sinclar. J’étais passé leur faire écouter quelques démos et Bob avait débarqué : « Je veux absolument signer ça. » Ensuite ça a été six mois de galères sans fin avec son avocat qui nous parlait de contrats tout en nous montrant ceux de Saïan Supa Crew. On n’y comprenait rien, c’était l’époque où le label voulait s’ouvrir à d’autres genres, sauf qu’au bout de six mois, à part parler de rédaction de contrats, il n’y avait toujours rien de fait. Entre temps on a joué dans une fête où il y avait Dimitri Play qui s’occupait du Nouveau Casino et on a passé une de nos démos. Il est venu nous voir, nous l’a demandé car il voulait la filer à Garnier et le lendemain Laurent nous appelait pour nous signer. Y avait pas photo entre Yellow et F. Com, je collectionnais les disques du label depuis le début.

Publicité

Vous veniez d’où et avec quel background ?
Benoît : Je débarquais du sud-ouest et ça s’entend toujours d’ailleurs. On n’a pas forcément les mêmes influences tous les deux, le truc qui franchement m’a marqué c’est Genesis période Peter Gabriel, The Lamb Lies Down On Broadway, produit à moitié par Brian Eno est un album incroyable. J’adore le prog-rock, je suis fan de Yes aussi, j’ai des tonnes de souvenirs d’enfance liés à ce groupe donc je leur reste fidèle. J’ai beaucoup écouté Led Zeppelin également.

Jean-Christophe : Je viens de la banlieue sud de Paris. Ado j’écoutais du rock, puis je suis passé à la new-wave, la cold, le gothique. Au début c’était les Béru et le rock alternatif puis ensuite les Cure et tout ce qui va avec : Joy Division, Sisters Of Mercy, Bauhaus. C’est d’ailleurs la base des influences de Vox Low. Et puis en 1991, je me retrouve en banlieue, dans une rave à Mozinor, c’est Francesco Farfa qui joue, je ne connais rien à cette musique, on me file un dragon et je me dis « mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? » Je venais des concerts de rock indé où tout le monde se marchait dessus ou se foutait sur la gueule et j’arrive dans cette rave avec des gens de tous âges et tous styles qui te disent pardon, s’excusent de t’avoir marché sur le pied, te sourient. Je tombe amoureux, je veux être le mec tout la haut qui passe les disques et qui fait la messe. Le pote qui m’accompagnait a fini en HP après cette soirée, il était fragile, je me souviens du retour en voiture, il conduisait et tout d’un coup il me fait : « J’ai ma main qui se mélange avec le levier de vitesse. » J’ai bien cru que je ne rentrerais jamais chez moi.

Publicité

Quand vous débarquez chez F.Com c’est un peu le début de la fin de l’utopie techno ?
Benoît : Oui, mais c’était aussi une période excitante musicalement. Question ventes c’était pas terrible, internet avait foutu sa merde, mais il y avait plein de groupes qui débarquaient comme LCD Soundsystem ou The Rapture.

Jean-Christophe : Ce qui a surtout péché c’est la prod, il aurait fallu prendre le temps de bosser, de sortir un truc solide. On a pondu l’album en six mois et on s’est retrouvé à jouer à la Cigale pour les dix ans de F.Com devant une salle comble et chauffée à blanc. On était trois sur scène, moi avec ma tour d’ordis à essayer de balancer des beats, Ben à la basse et Macdara Smith au chant. C’était sympa mais lo-fi, ça manquait d’énergie, ça n’envoyait pas assez.

Benoît : On s’est foutu de notre gueule, on avait été vendus comme les LCD français !

Jean-Christophe : Une des premières mauvaises critiques c’était Joakim de Tigersushi, il avait un blog musique à l’époque, il avait écrit « On nous vend LCD Soundystem, mais si ça avait été un peu travaillé ça aurait été super parce que tel qu’on nous l’a présenté c’est pas bien du tout. » Je lui a ai écrit à l’époque pour lui raconter l’histoire, qu’on n’avait pas demandé toute cette exposition et du coup il a modifié sa critique.

Ce qui ne vous empêche pas de continuer…
Benoît : On a tourné pendant deux ans avec Think Twice et au fur et à mesure le DJ set a pris le pas sur le live. Ensuite on a sorti un deuxième album sur Dialect, un morceau tournait sur Radio Nova mais la mayonnaise n’a pas pris. Il faut dire que tout était fait un peu n’importe comment, on a tourné un clip qui est arrivé un an après la sortie de l’album, le live était absolument pas au point. Rien n’était dans le timing !

Publicité

Et après ?
Jean-Christophe : On a vivoté deux-trois ans avec Think Twice, et puis on a enregistré sur bande et en analogique un 45 tours chez CBE un studio mythique du nord de Paris, celui des yé-yés et de Bernard Estardy, c’était le pied total.

Benoît : On a produit un 45 tours qu’on a sorti à 150 exemplaires et on en a vendu seulement 30, il était bien pourtant. Disons que ce furent les débuts de Vox Low.

Jean-Christophe : Ensuite il a fallu reprendre une vie normale, un job, j’ai vécu une séparation qui m’a mis par terre, j’ai eu une longue période down et un jour on a décidé de s’y remettre mais sans pression. On n’avait pas vraiment arrêté, mais on se voyait moins, la motivation n’était pas là, on était tous les deux pris par notre vie de famille.

Et Vox Low se forme peu à peu ?
Jean-Christophe : On s’est remis à faire de la musique, on a balancé nos tracks sur Soundcloud et Laurent Pastor d’Astro Lab Recordings nous a demandé un morceau qu’on avait dans nos valises depuis deux ou trois ans, un track entre dark et folk où pour la première fois je chantouillais derrière un micro. Il voulait le faire remixer par Ivan Smagghe qui tout en respectant l’esprit du morceau l’a axé sur le dancefloor le transformant en quelque chose de très hypnotique. C’est comme ça qu’on nous a commandé d’autres morceaux.

Benoît : Entre temps, j’avais acheté pas mal de matos, notamment des vieux synthés, pour me faire plaisir et du coup j’ai eu le temps d’apprendre à m’en servir.

Publicité

Jean-Christophe : Et puis la technologie a progressé. Aujourd’hui, avec une bonne carte son à 2000 euros, tu fais des miracles.

Vous n’êtes pas seulement, et c’est votre force, un groupe de studio mais des terreurs en live.
Benoît : On ne voulait pas répéter les erreurs de Think Twice, on n’avait pas envie d’un set up avec des laptops et des mecs derrière leur ordi, du coup on a recruté deux musiciens et un ingénieur du son et on a adapté les morceaux pour la scène.

Jean-Christophe : Je ne suis pas du tout chanteur à la base, j’aime bien comme tout le monde chantonner, mais ça s’arrête là. Je considère ma voix comme un instrument et basta, je n’ai pas le profil du chanteur de rock charismatique qui saute dans la foule, joue avec le micro, concentre les projecteurs sur lui. Du coup je leur ai dis, je veux bien essayer mais si ça ne marche pas au bout de trois dates, adios, hors de question que je vomisse avant d’entrer en scène. En fait je me sens mieux en studio à tripoter les machines, ajouter de la reverb, du delay et travailler ma voix. Et puis les concerts se sont bien passés, je ne me suis pas fait jeter des canettes sur la gueule, on ne m’a pas dit que ma voix était merdique et j’avoue commencer à y prendre un certain plaisir.

Benoît : Et puis il y a ce concert qui nous a donné énormément confiance en nous, quand Weatherall nous a invité à jouer au festival qu’il organise à Carcassonne. C’était notre troisième live en tant que Vox Low, on s’est retrouvé face à 1500 quadras anglais bien défoncés, mais des mecs qui, tu le sentais, s’y connaissent en musique et ces anglais ont décidé qu’on avait fait le meilleur live qu’ils aient vu depuis longtemps. On a halluciné, on s’est dit que la drogue était vraiment forte. Jean-Christophe : On est assez anglais dans notre attitude et la musique qu’on fait. On revendique cet humour potache, Ben aime le rugby, on fait une musique sombre et dépressive alors qu’on ne l’est pas du tout. On a cette manière british de prendre les choses à la légère, ce qui est chez nous est de l’ordre de l’élitisme, chez eux ça se retrouve dans le Top 50 et dans les pubs. On aime ce côté prolo.

Publicité

Pourquoi avoir signé chez Born Bad ?
Jean-Christophe : Dès le départ, on s’est dit qu’on ne démarcherait personne, que si quelqu’un était intéressé par notre musique il n’avait qu’à venir nous voir. Il était hors de question d’envoyer des démos à plein de labels et de faire la manche ! Un jour un pote nous fait « Je vous verrais bien signer chez Born Bad » et l’été 2015 JB [ boss du label] nous envoie un message sur Facebook. Il est venu nous voir en studio, nous a serré une main molle et nous a dit d’emblée : « Les gars c’est bien ce que vous faites, mais attention c’est du sous Joy Division et même du sous Colder, mais c’est bien. » Et il ajoute : « De toute façon si votre gueule ne me revient pas dans dix minutes le RDV est plié, parce que moi les petits cons qui pètent les plombs pour des hôtels cinq étoiles, qui se prennent pour des méga-stars et qui croient qu’ils vont révolutionner la musique, j’en ai ma claque. » On est resté calme, on lui a dit : « écoute mec, les Formule Un ça nous va aussi, mais pas trop quand même. »

Benoît : Le rendez-vous a duré deux heures finalement, on a bouffé ensemble et il nous a dit de faire notre truc et de revenir le voir dans un an. En fait, on n’était pas très chaud pour un album, on sait ce que ça représente comme boulot et comme implication personnelle, on était très satisfait du format EP, de sortir un maxi tous les six mois. En fait l’album c’est pour entrer dans le moule et faire comme tout le monde, c’est le format imposé si tu veux tourner dans les festivals.

Vous n’avez pas l’impression de faire une musique de quadras branchés ?
Jean-Christophe : Mais on l’assume complètement ! Et on est plutôt étonnés car on pensait justement n’intéresser que des mecs de nos âges, faire une musique de niche quelque part, on pensait que ça resterait anecdotique mais non ! Le dernier concert qu’on a fait à la Station - Gare des Mines était vraiment génial, tous les quadras étaient au fond les bras croisés et devant la scène il n’y avait que des kids complètement à fond. On n’aurait jamais pensé toucher des gamins.

Vous constatez un changement dans la scène en vingt ans ?
Jean-Christophe : C’est surtout nous qui avons changé. On a vieilli, on voit les choses différemment, un soir on est sorti au Rex Club et on s’est fait cette réflexion : « Putain, y a de moins en moins de jeunes de notre âge ! » Patrick Thévenin est sur Noisey.