Les 12 doigts du Docteur Zadi

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Les 12 doigts du Docteur Zadi

À l'occasion de la sortie de « Coexister », où il joue le rappeur gay Pink Kalash, nous sommes revenus sur le parcours frénétique de Jean-Pascal Zadi entre cinéma, télévision, musique, production et fusillades en boubous.

Coexister, la nouvelle comédie signée Fabrice Eboué, raconte l'histoire d'un boys band composé d'un prêtre, d'un imam et d'un rabbin. Là, évidemment vous vous dites que c'est bien gentil mais que le lien direct avec la musique est discutable - et c'est votre droit. Il est toutefois important de noter qu'on trouve dans le film un personnage secondaire complètement absurde nommé Pink Kalash, rappeur gangsta hardcore qui a la particularité d'être homosexuel. Un clip hilarant a été balancé sur la toile (ce n'est pas tous les jours qu'on peut entendre « tous mes gars sûrs aiment sucer des bites » dans un refrain trap) et on a eu envie d'aller voir qui se cachait derrière tout ça - en l'occurrence Jean-Pascal Zadi.

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La carrière de JP Zadi est assez surprenante, pour ne pas dire franchement improbable. Tour à tour rappeur, acteur, scénariste, réalisateur et producteur et le plus souvent tout ça à la fois, il enchaîne depuis 10 ans clips et films direct-to-dvd mais aussi émissions pour le petit écran et films plus traditionnels. Celui que l'on a d'abord connu sous le pseudonyme de Mac Z au sein du groupe La Cellule s'est fait un nom tant bien que mal au gré des projets, qu'il a montés souvent au culot, jusqu'à se faire une place sur les chaînes du groupe Canal. Noisey : Tu fais un peu figure d'ovni…
Jean-Pascal Zadi : Vas-y ok, tu veux que je dise quoi ?

[Rires] On va commencer logiquement : comment t'es-tu retrouvé à la télévision ?
À la base je suis un rappeur raté. J'avais un groupe qui s'appelait La Cellule, on venait de Caen mais on n'était pas assez organisés, dans nos têtes ça partait trop dans tous les sens. J'ai acheté une caméra et comme je connaissais plein de rappeurs, j'ai décidé de faire un documentaire : Des Halls aux bacs. Avec Seth Gueko, Alibi Montana, Sefyu, Youssoupha, tous ceux qui ont pété à l'époque. Après ce docu, les gens m'ont demandé des clips, le premier à m'en demander c'était Alpha 5.20, pour « Le Boss veut te voir ». J'ai fait pas mal de clips de rappeurs puis ça m'a cassé la tête parce qu'ils voulaient tous la même chose. Je me baladais à Citadium avec mon frère et il me sort : « Pourquoi on fait pas un film ? » - « Vas-y, c'est parti ! ». Je voulais le faire mais je savais même pas ce qu'était un champ/contre-champ… J'ai fait ça avec un pote, j'appelais Alpha 5.20, je lui disais « viens, fais-ça devant la caméra », pareil avec Seth Gueko, LMC Click et tous les autres. Ça a donné Cramé. C'était… Pas mal, mais c'était un peu nul parce qu'on n'avait pas pu aller au bout des choses, y'avait pas vraiment de scénario, j'étais un peu frustré.

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Comment avais-tu fait pour avoir Dieudonné ?
Au culot. Le truc c'est que le tournage du film s'est étalé sur très longtemps, je filmais ce que je pouvais, par petites parties, avec chaque rappeur, donc ça s'éternisait. Lui, j'ai été le voir à la fin de son spectacle, Le Divorce de Patrick, je crois. À l'époque, il était vraiment au top. Je lui avais parlé, je le connaissais pas. Il m'a dit oui, il a kiffé mon délire, très simplement, très cool… On est venus à son bureau 2 semaines après et on a tourné la scène.

À quel point la scène est improvisée ?
[ Rires] Alors elle est pas écrite, c'est clair, mais je lui ai donné des axes, des grandes lignes à suivre. Le reste, c'est lui tout seul. Y'avait un thème et il a improvisé. Déjà c'est fou parce que je voulais qu'il fasse simple, je me suis dit que j'allais pas lui prendre la tête et il a dit « non non non faut que je mette une veste et des lunettes ». Et après il était parti, laisse tomber. C'était incroyable, j'ai eu du mal à couper au montage ! Même si j'ai tourné sa séquence en 2005, avant toutes les histoires, quand ses problèmes sont devenus vraiment sérieux, je me suis posé la question : j'enlève sa scène ou pas ? Mais impossible, c'était vraiment beaucoup trop drôle. Il est fort.

Tu voulais faire un Cramé 2 n on ?
Ouais, c'est vrai, parce qu'en fait j'ai tellement bâclé le film que ça m'a énervé. Mais j'ai abandonné et j'ai enchaîné avec African Gangster, où je voulais mieux soigner les choses. Après, j'ai fait Sans pudeur ni morale, qui m'a ouvert la porte de certains festivals, j'ai fait la couv de Libé cinéma, puis j'ai rencontré Fabrice Eboué et Thomas N'Gijol, j'ai travaillé un film avec Thomas, Black Snake, que j'ai écrit et qui sortira l'année prochaine si tout va bien. Et c'est d'ailleurs le producteur de ce film qui m'a ramené à l'émission Le Before sur Canal +.

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Tu es complètement autodidacte ou tu as suivi une petite formation ?
Jamais. J'ai pas fait d'école. J'ai tout appris sur le terrain en faisant les clips ! « Tout appris », bon, en fait, j'ai rien appris ! [Rires] Je regrette des fois, j'aurais peut-être dû mais j'avais pas le temps frère, je suis en galère : faut faire du gent-ar, je vais pas aller à l'école et personne va la payer pour moi - ces conneries-là c'est payant ! C'est nous qui donnons de l'argent à nos parents, c'est pas eux qui sortent de l'argent pour nous. [Rires]

A ton arrivée au Before c'es t ta première télé, comment ça se passe ?
Pour mon segment « C'est quoi les bayes » ils m'ont dit « on voudrait un concept où tu donnes la parole aux jeunes ». Moi je connaissais que des ghetto boys, donc je leur ramenais que des rappeurs et ça tournait que autour du ghetto : y'avait Demon One dedans, je tournais à Grigny, j'ai placé tous mes gars ! Ça leur a fait un peu peur je crois, et ils m'ont dit « bon pour la saison suivante, tu fais moins hardcore. » C'est pour ça que ça a donné « Les bayes de JP » sur la saison 2, plus en mode reportage. S'ils m'avaient laissé continuer « C'est quoi les bayes », j'aurais fait la même pendant 2 ans. Ils m'ont fait comprendre que trop de cité à la télé ça leur plaisait pas trop. Quand l'émission s'est arrêtée, on m'a plus trop vu. En fait, pendant cette période j'ai écrit le film avec Thomas, ça a pris du temps. J'ai tourné pendant 2 ans une série qui s'appelle Craignos. Ça va être diffusé sur C-Star normalement à la fin de l'année. Je joue dedans, on retrouve aussi MacTyer, Rachid Djaïdani, le gars de Bonjour Tristesse, plein de gens. À la base, j'étais parti à C-Star pour Craignos mais ils m'ont dit de faire d'abord l'émission comique. C'est venu au rendez-vous que j'ai fait avec eux. Ils m'ont dit que c'était bon pour la série mais que ça allait coûter beaucoup de thune, donc pour éviter de la sortir dans le vent sans faire d'audience, ils voulaient d'abord me tester sur un autre format et c'est ce qui a donné Tête de wam. C'est seulement après que la série sera diffusée. J'avais vu l'émission de Snoop sur MTV à l'époque et je voulais faire un truc dans le genre, c'est de là que c'est né.

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Comment tu as choisi tes deux acolytes ? L'un est un acteur que tu avais déjà placé dans African Gangster et l'autre est le rappeur Le Foulala du groupe Les Sales Blancs.
Parce que l'acteur, Lofti Labidi, il me fait rire. Quand il veut être marrant, il est pas drôle, mais il me fait rire. Et Jérôme Guesdon aka Le Foulala, parce que c'est mon gars, il me fait marrer et j'aime pas les vrais acteurs, je préfère les gens nature. On nous dit que le trio fonctionne bien. Ça a donné ce format de 10 épisodes de 13 minutes diffusé l'été dernier dernier. C'est un peu comme La Télé des Inconnus à l'époque niveau déroulé. Des petits plateaux sur fond blanc où on présente les sketches et 4-5-6 programmes courts de 2-3 minutes chacun. Y'a Sekou 001, l'agent secret africain, Les Chiens de l'Espace, une équipe de cailleras qu'on a envoyé vérifier si y'a une vie extraterrestre, SOS Dance, une sorte de Pascal le grand frère qui veut résoudre les problèmes grâce à la danse, où je joue le chorégraphe. Et jamais de guest, il n'y a que nous. Pour la suite, quand on aura plus de notoriété, on se fera plaisir en invitant les autres, mais pour l'instant, il faut encore se faire connaître.

Entre le chorégraphe et Pink Kalash, tu vas finir par devenir le gay de service.
C'est vrai qu'il y a Pink Kalash dans Coexister. Cet été, j'ai tourné dans un autre film avec Luchini aussi. C'est tout ce que je peux dire pour l'instant, malheureusement. J'en ai d'autres mais je peux pas en parler, c'est relou… En fait, j'ai compris y'a pas longtemps que j'étais un acteur, avant je savais pas. Bon j'ai pas dit « bon » acteur, hein, mais disons que j'arrive à jouer des trucs, j'en suis capable. Dans Craignos j'ai le rôle-titre : j'ai joué et réalisé, j'ai écrit… Si c'est bien, ce sera grâce à moi, si c'est nul ce sera à cause de moi, mais c'est mon truc. Niveau ton, Craignos c'est comique mais un peu thriller avec MacTyer comme « méchant », si on veut.

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Tu as un parcours assez atypique, selon toi qu'est-ce qui t'a permis d'atteindre tes objectifs ?
Déjà, j'ai pas réussi ! [Rires] Sinon c'est le travail et les rencontres. À force de créer des trucs, tu crées de l'émulation, de l'envie, y'a pas de secret, c'est juste « faire son truc ». Moi j'ai toujours eu un truc en tête, c'est ne sucer personne, rien demander, travailler tout seul de mon côté. Je suis tombé un petit peu dedans parce que j'ai été autonome. Comme Alpha 5.20, mon modèle. Lui, le petit que tu vois là, il connaît pas Alpha 5.20 [ il montre son pote assis sur le canapé, qui se met à protester en rigolant], pour lui ça veut rien dire, mais nous quand on dit Alpha 5.20, ça veut dire l'autonomie, la fierté africaine… Je suis dans cette mentalité. C'est ce qui m'a permis de faire mes émissions : je les produis, les réalise, je joue dedans, j'écris. Même si je dois attendre 5 ou 10 ans pour pouvoir sortir mon premier film sur grand écran, pas grave j'attendrai, et jusque là je ferai que des nanars s'ils veulent appeler ça comme ça, je m'en fous. Un jour, j'aurai mon film.

À l'inverse, tu as parfois senti des blocages au niveau professionnel ?
Oui, plein de fois. Notamment dans tout ce qui est institutionnel. Le CNC et ce genre de conneries. Un jour, là-bas, je me suis dit que… La France est en train de changer mais ça va être long quoi. T'es en face de mecs qui ne comprennent pas ce que tu leur racontes. C'est en train d'évoluer, y'a de plus en plus de petits renois qui font leurs films, ici et là. J'ai aussi compris que le cinéma c'est idéologique. Il faut leur dire ce qu'ils ont envie d'entendre. En ce moment c'est la comédie à fond qui passe le mieux à leurs yeux. Sauf que j'ai pas envie de faire de comédie pipi-caca, je voudrais aussi qu'il y ait un propos. Donc c'est un petit peu plus long, surtout que j'ai pas fait de spectacle. Parce que maintenant c'est le schéma : one-man show, puis cinéma, direct. Ils veulent souvent des mecs comme ça.

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Ou des YouTubeurs.
Exact ! Mais j'ai ni spectacle, ni chaîne YouTube. Donc je vais tracer ma route, aller au bout, c'est pas grave. J'ai déjà mon parcours télé. Moi si je dois faire ma pub je dirai juste : il faut regarder ce que je fais, ce sont des émissions produites par un nègre de rue, mais sur le groupe Canal [Rires]. Actuellement je fais tout via ma boîte de prod, 12 Doigts Production . C'est avec ça que j'ai fait Sans pudeur ni morale, et tout le reste depuis.

Qu'est-ce que c'est que ce nom ?
Ça s'appelle comme ça parce que je suis né avec douze doigts et on m'a enlevé ceux en trop quand j'étais petit. Voilà, on est des bizarreries de la nature, de l'humanité. Mais y'a aucune limite : télé, radio, cinéma, on peut faire tout ce qu'on veut en vrai. Suffit juste d'y aller à fond et d'être sérieux, et de proposer des choses originales. Tête de wam, ils me l'ont pris parce que je suis venu en tant que moi-même : mon délire, ma personnalité, je me déguise pas. Je fais rien qui me ressemble pas, que ce que j'ai envie de faire. Si tu restes toi-même, tu peux avancer frère. La télé, c'est assez uniforme à la base, donc si nous, et pas nous les Noirs, mais plutôt nous les mecs du peuple, noirs, blancs, arabes, arméniens, ce que tu veux, bref si on ramène notre vécu et notre authenticité, en étant fidèle à nous-même, bah on peut y arriver. Par contre ce sera jamais facile, toujours plus relou que si on était du même milieu que les mecs en face. Faut être déter.

Avant de partir, tu vas me lâcher quelques anecdotes de tournage.
J'en ai des milliards, tu sais bien [Rires]. Sur African Gangster, Alpha 5.20 a une scène où il doit s'entraîner à tirer sur des bouteilles, sauf que l'artificier qui devait venir n'a pas pu être là, il avait une galère. Ça nous bousillait toute notre journée de tournage. J'avais une équipe, c'était pas des mecs de la street, mais des vrais techniciens quoi. Alpha me dit : « bon ben si l'artificier est pas là, je ramène mon flingue, je tire sur les bouteilles et voilà ». Là j'ai vu le regard de toute mon équipe… [Rires] L'ingé-son m'a dit : « JP, s'il ramène son flingue sur le tournage, je quitte le projet ». Alpha était très sérieux… Toujours sur ce film, on a tourné des scènes à Pierrefitte, vers la Cité Rose, et on était là où ça bicravait, donc nos horaires de tournage devaient s'adapter aux heures du four quoi. Dès que la bicrave reprenait, on s'arrêtait. [Rires] D'ailleurs, sur la fusillade de la fin du film -soit dit en passant je pense être le premier et le seul cinéaste français à avoir filmé une scène de fusillade avec des mecs en boubou- faut savoir que ça a pris plusieurs heures, donc concrètement on a « tiré » de 14h à 20h. Y'a jamais eu de policiers qui sont venus. Tu le fais à Paris, dans les 10 minutes ton tournage est arrêté. Mais tu peux te faire tuer à Pierrefitte, y'aura rien du tout. Pas un flic.