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Music

Une leçon de chaâbi par Omar Souleyman

Le chanteur syrien revient sur ses morceaux préférés.

Vendredi 2 juin 2017, le chanteur syrien (désormais basé en Turquie) Omar Souleyman a sorti son huitième album, et le premier sur le label de Diplo, Mad Decent. Le disque qui s'intitule To Syria, With Love déborde de claviers compliqués, d'arrangements clinquants, et est emprunt d'une certaine nostalgie quant à son pays natal, déchiré par la guerre, où il n'a pas remis les pieds depuis six ans. Nous avons demandé au chanteur de 51 ans de nous parler de la musique qui l'a inspiré depuis ses débuts, en 1994. Il a choisi d'évoquer ses chansons de chaâbi préférées, un style de folk rural et festif qui se traduit simplement par « musique populaire » ou « musique des travailleurs » et qui s'est diffusé dans l'ensemble du monde arabe depuis 20 ans.

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Omar Souleyman : Au début des années 1990, tout la Syrie a commencé à chanter dans le style chaâbi. Je ne sais pas exactement comment ce genre de musique est né, mais il existe depuis plusieurs décennies. Toutes les régions de Syrie en ont leur propre version et ça inclut la Jéziré—au nord-est, là d'où je viens—ainsi que les villes de Tartous, Alep, Deir ez-Zor et Lattaquié.

Le chaâbi peut être présenté comme de la poésie chantée—des chansons que différents chanteurs interprètent à leur manière. Les sujets abordés tournent autour de l'amour, de la romance, et de la famille—comme beaucoup de mes propres morceaux. Traditionnellement, le chaâbi est accompagné d'instruments live qui proviennent des régions où il est joué, de la percussion comme le saz (sorte de luth), la zorna (sorte de hautbois), le quanûn (sorte de harpe), ou le rabâb (autre sorte de luth), et autres instruments à vents. Le chaâbi est souvent joué aux mariages, mais également à la moindre occasion de faire la fête et de danser. Mais les gens l'écoutent aussi à la maison ou dans leurs voitures; dans les rues et dans les boutiques.

Le chaâbi est la musique principale des régions rurales—le son des classes laborieuses, et de ceux qui travaillent la terre. Ca ne signifie pas qu'il est uniquement écouté par des gens pauvres non plus, parce qu'il y aussi des gens qui vivent très bien dans les campagnes. Mais cette musique n'est toutefois jamais écoutée par les gens éduqués des villes; qui la considèrent comme de la « musique poubelle ».

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En 1996, j'ai sorti un morceau intitulé « La'ber 3ala Turkiyya » dans le style chaâbi, et tout le monde en Syrie a commencé à chanter comme moi. C'est comme ça que l'influence de la musique chaâbi s'est étendue—on s'est même mis à copier mes chansons. À l'orée du nouveau millénaire, quasiment chaque pays arabe écoutait et chantait le chaâbi. À Beyrouth, au Koweit, dans les Emirats et même en Arabie Saoudite—qui sont pourtant des pays où les hommes et les femmes sont séparés lors des célébrations, pour des raisons religieuses—partout, les gens jouaient des chansons chaâbi originaires de Syrie.

N'importe quel chanteur du monde arabe qui voulait devenir célèbre était obligé de passer par la case chaâbi. Même Najwa Karam—une célèbre chanteuse libanaise—s'est plus tard mise au style chaâbi. Le style a donc connu une énorme expansion; les gens se tournaient vers le genre pour gagner plus de fans dans toutes les couches de la société. Il faut aussi signaler que tous ces chanteurs populaires n'utilisaient plus de vrai groupe—juste des claviers. Le style chaâbi ne nécessite pas un groupe entier; les claviers peuvent le remplacer, avec les beats, les samples et les instrumentaux qu'ils contiennent.

Voilà mes chansons chaâbi syriennes favorites, composées par des artistes qui m'ont énormément influencé.

1. Saad Al Harbawi - « Wardina»

Saad al Harbawi vient de la province de Jéziré, comme moi. Il a une voix belle et puissante, et il chante d'une manière unique. Il est aveugle depuis son enfance, donc il n'a jamais vu de femmes de sa vie, ni leurs magnifiques bijoux, ni leur maquillage, ni la couleur de leurs cheveux. Et c'est remarquable de voir à quel point il arrive à communiquer ces images qu'il n'a jamais vu à travers sa musique.

Quand j'ai commencé à chanter, je reprenais toutes ses chansons, et j'ai étudié son style en profondeur. Sa voix est acérée pénétrante, et en même temps tendre et persuasive, ce que j'adore. Ses paroles sont profondes, je le considère comme mon professeur et ma plus grande inspiration. C'est un des plus vieux chanteurs de chaâbi encore en vie—un symbole du genre pour tous ceux qui savent l'apprécier.

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Dans « Wardina », Saad Al Harbawi parle d'une file qui porte un anneau en or dans le nez. En Jéziré, ce genre de bijoux met en valeur la beauté des femmes. L'homme de la chanson chante pour sa fiancée. Il lui exprime à quel point elle est précieuse pour lui, et à quel point il l'aime. En retour, elle lui dit que ses mots l'ont touché en plein coeur. Vu que cette chanson décrit simplement la beauté d'une femme, il est très commun de l'écouter durant les fêtes de famille et les mariages.

2. Saad Al Harbawi - « Molayya »

« Molayya » est une vieille chanson traditionnelle originaire de la ville de Rakka, mais ces dernières années, les habitants de la province de Jéziré se sont mis à l'écouter et à la chanter. Celle-là décrit aussi la beauté d'une femme, et un jeune homme qui la couvre de compliments. Habituellement, les gens dansent le dabké quand cette chanson est jouée dans les mariages.

3. Hamid Al Fourati - « Cholaki »

Hamid Al Fourati est un artiste très apprécié de la région d'Alep. Il est devenu connu assez vite, mais n'est pas aussi célèbre que Saad Al Harwabi—moitié moins je dirais. Sa voix est très douce, et c'est un entertainer né, sa bonne humeur est très communicative. C'est un homme très jovial, et j'aime comment il arrive à transmettre ça à travers ses chansons.

« Cholaki » est un titre très populaire qui parle d'un jeune homme qui aime une femme, mais cet amour n'est pas réciproque. Lui essaie de réconforter sa bien-aimée car sur le moment elle se sent triste et mal.

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4. Hdr Al Naser - « Abu Smeera »

Hdr Al Naser vient de la ville d'Al-Chaddadeh, dans le gouvernorat d'Hassaké. Il a commencé à chanter vers 1997, et a gravi les échelons depuis 20 ans, mais il reste encore plus ou moins confidentiel. Je l'apprécie parce que c'est un type bien, avec une voix magnifique et qui est très bon sur scène. Il est très modeste, raisonnable, et ça se reflète dans sa musique.

Comme souvent, on entend surtout cette chanson dans les mariages. Naser parle d'une femme qui porte un parfum spécial, elle se promène au milieu des passants dans la rue, et ils se mettent tous à louer sa beauté et son odeur, mais elle ne leur prête pas attention. Ils la décrivent comme une « reine de beauté ».

5. Ahsen Al Hasan - « Walla lo rooh el Halep »

Ahsen Al Hasan vient de Qamichli, dans la région du Kurdistan syrien. Sa façon de chanter est infatigable, elle a une voix très intense, elle ne force pas du tout et ça s'entend. Sa couleur vocale n'est pas celle qui m'attire habituellement mais ça ne m'empêche pas de l'apprécier énormément. Je ne sais pas où elle en est actuellement, elle a arrêté de jouer dans les mariages et autres célébrations, je ne sais pas pourquoi. Ses chansons étaient très belles. Et les gens l'aimaient beaucoup.

Ce morceau parle d'un jeune homme qui promet à une jeune femme de lui offrir plein de cadeaux dans l'espoir qu'elle tombe amoureuse de lui. C'est d'une certaine façon un conte sur l'amour non partagé. Je n'ai jamais chanté ce titre de ma vie, mais on peut souvent l'entendre dans les fêtes de famille, dans les autoradios et quand les gens sont chez eux, sans occasion spéciale.