Deux jours en studio avec D.R.A.M.

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Deux jours en studio avec D.R.A.M.

Après s'être fait taper « Hotline Bling » par Drake, le rappeur de Virginie auteur des hits « Cha Cha » et « Broccoli » a explosé avec l'album « Big Baby D.R.A.M. ».

Durant l'été 2008, le jeune Shelley Massenburg-Smitha a débarqué à Cheboygan, dans le Michigan, avec son frère et son meilleur ami TJ, afin de bosser en tant que peintre sur les docks. Le mot a commencé à circuler en ville : il faut dire qu'il n'y a jamais eu beaucoup de Noirs dans le coin, les autochtones les plus curieux les arrêtaient sur le chemin du Walmart pour leur demander s'ils votaient Obama. Le trio avait signé un contrat d'une durée d'un mois, qui au cours duquel ils devaient faire des haltes dans plusieurs villes. Mais leur boss a bizarrement décidé de les virer, alors que les autres employés —qui se défonçaient pendant leurs jours de repos—semblaient poser nettement plus de problèmes que les trois larrons. Mais ce n'est pas vraiment le sujet.

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Massenburg-Smith, plus connu sous le nom de D.R.A.M., m'a raconté tout ça alors que je lui avais demandé de me parler de son parcours musical. Après avoir quitté la fac dans le Kentucky, il a soudain eu envie de poursuivre son rêve : devenir un rappeur célèbre. Il est alors retourné en Virginie et a vécu de petits boulots, de cales de bateaux en centres d'appels, avant qu'on s'intéresse enfin à lui. Quand D.R.A.M. commence à parler de quelque chose, on ne sait jamais où la discussion va nous emmener et où est ce qu'il va nous lâcher. Il s'égare souvent, et profite de son alter ego « Big Baby », son pendant coquin, pour toujours se tirer de situations embarrassantes. Avec ses énormes lunettes, ces longues dreads et son large sourire, son charme distrait et sinueux, il pourrait faire penser à un Saint-Bernard humain. Pour lui, tout mérite d'être observé et apprécié, une qualité qu'on retrouve également dans sa musique. Son premier album, Big Baby D.R.A.M., qui sort aujourd'hui, contient une magnifique chanson sur l'amour et les connexions WiFi, et évidemment « Broccoli », son hit stoner qui met en corrélation son ascension et le moment où il a développé « un goût pour les bagels au saumon et les câpres dans des assiettes carrées. »

Lors d'un dimanche ensoleillé de la fin août, D.R.A.M. était dans un studio à Atlanta pour mettre la touche finale à son disque. Des plaques d'albums de Missy Elliott et OutKast décoraient les murs. Un léger fumet de weed stagnait dans l'air alors que D.R.A.M. roulait le premier joint de la journée. « Broccoli » venait de se placer n°19 du Hot 100 (il a depuis atteint la sixième place), ce tube d'été très tardif venait de braquer à l'improviste tous les tops possibles : Soundcloud, Musical.ly, iTunes, Billboard. Sur le morceau, il collabore avec Lil Yachty, qui symbolise pour D.R.A.M. « la quintessence de tout ce qui est nouveau et actuel ». Et celui qui a permis cette collaboration n'est autre que le légendaire Rick Rubin. Globalement, c'était un tour de force, une carte de visite qui lui a permis de devenir un des mecs les plus demandés du game.

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« Au début de l'année je me disais, '2016 va être mon année. Je vais frapper fort cette année' » se souvient-il, s'enthousiasmant sur les bonnes vibes et le beau temps qu'il a trouvé à Los Angeles, quand il a commencé à bosser sur Big Baby. « Je ne voulais pas écraser la concurrence—j'avais juste envie que ce soit une année triomphale pour D.R.A.M. »

Et des triomphes, D.R.A.M. en a eu. Sa première mixtape, 1EPICSUMMER, avec les titres « $ » et « Cha Cha », a vite attiré l'attention de grandes figures de la musique, comme Rick Rubin donc, et Erykah Badu, qui apparaît sur « WiFi » et avec qui D.R.A.M. a collaboré sur une pléthore d'autres morceaux qui verront peut-être le jour ailleurs. Son rap infusé incandescent et mélodique, bourré de funk et de R&B lui a valu de se retrouver en studio avec à peu près tout le monde, de Kanye West à Pablo Dylan. Sur Big Baby, il y a un interlude intitulé « Password » qui devait, à la base, être un morceau de Beyoncé. Elle a finalement passé son tour mais cette mésaventure lui a permis de faire la connaissance de Mike WiLL Made-It et Diplo. Le titre parle de confiance au travers des mots de passe des téléphones portables, et c'est un titre emblématique de l'identité D.R.A.M. - cette manière d'amener ce côté soul chaleureux et désinvolte sur des thèmes et des terrains qui n'ont strictement rien à voir. Il n'a pas non plus peur d'être parfois un peu débile : sur un titre de Coloring Book, le dernier album de Chance the Rapper, on le retrouve en train de crooner d'une façon ultra exagérée (« you are very special ») qui nous ferait presque douter de sa sincérité. C'est l'intérêt que Donnie Trumpet (membre du groupe de Chance) et lui partagent pour la musique pour enfants qui a inspiré cette chanson.

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Mais la majorité des gens ont découvert D.R.A.M. pour la première fois il y a un an, quand Drake a sorti « Hotline Bling (Cha Cha Remix) » qui ressemblait comme son nom l'indique à un remix du titre de D.R.A.M., avant qu'elle ne soit simplement rebaptisée « Hotline Bling ». La suite, vous la connaissez, le morceau est devenu un énorme hit, aux dépens de D.R.A.M. et pour la plus grande tristesse de ses fans. Drake ne lui a jamais glissé un mot, et le rappeur de Toronto s'est même joué de la similarité entre les deux titres dans une interview pour The FADER , en déclarant que cette interpolation était la même qu'entre les artistes du dancehall qui s'échangeaient leurs riddims. (« Quelle connerie. Quelle connerie. Quelle connerie… » déplore D.R.A.M.)

« Ca m'a vraiment anéanti » m'avoue t-il. « J'étais vraiment remonté. Je sais que j'avais tous ces autres morceaux et tout, mais à l'arrivée, les gens s'en tapaient. » Il a depuis fait le deuil de son bébé—« je danse dessus quand je l'entends »—mais à l'époque, il a traversé une période de remise en question. « Cha Cha » était sorti depuis un an, et même si son effet sur le public était garanti à chaque concert durant sa tournée avec Chance the Rapper, il n'allait pas pouvoir conserver son buzz encore longtemps.

« J'étais sur Internet, je traînassais, et puis tout d'un coup un mec m'a mis un micro dans la main, j'en ai profité pour me barrer. » Son EP suivant, Gahdamn!, qui devait être présenté comme une collaboration avec le groupe de Chance, The Social Experiment, n'a pas bénéficié de la promo souhaitée. Son ton plus sombre ne collait pas vraiment avec ses shows ultra énergiques, où le public devenait fou dès qu'il slammait. « Quelques heures plus tard, tu te réveilles le matin et tu te dis, 'Il ne faut pas ralentir le rythme.' T'appelles tes négros, 'Il y a des concerts qui arrivent ? Il n'y a pas d'afterparties ?' Pas d'afterparty. J'étais le sensei des afterparties bordel ! » D.R.A.M. s'était mis à dilapider son argent dans des Airbnbs hyper chers et à organiser des fêtes de folie, mais le fait était là : il était en roue libre totale.

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« Je pense que c'était une bénédiction, au final, j'étais trop dans le confort du hit » lance t-il, à propos du déclin fatal de « Cha Cha ». D.R.A.M. avait conscience des tâches à accomplir quand le succès musical était encore loin de ses préoccupations. Il a grandi à Hampton, en Virginie, où il a été élevé par une mère célibataire et militaire (Shelley est Américano-Allemand), il participait aux choeurs de l'église et de l'école, et a toujours nourri l'espoir d'un jour pouvoir se lancer en solo. Avec le rap, il s'est rendu compte que ça allait être compliqué. Durant sa période de transition dans le Kentucky, il a formé le groupe MTM (More Than Money), quasi mort-né (« C'était laid ! » se marre t-il.) De retour au bercail, il s'est impliqué dans une micro scène locale qui ne l'a mené nulle part. Sa mère et ses grand-parents sont devenus relativement sceptiques quant à sa réussite.

« Quand 'étais gamin, on me disait 'Tu vas devenir quelqu'un, tu vas devenir quelqu'un' » se souvient-il. « Et puis ils voyaient juste des négros se défoncer et tenter d'écrire des morceaux de rap, ils ne comprenaient pas le délire. 'Bonhomme, il faut que tu sortes du lot'. » Puis D.R.A.M. a rencontré Gabe Niles, un producteur local, et l'alchimie a opéré. Sa musique a pris un tournant plus lumineux, mélodique, positif, et ça a commencé avec « $ ». Ils ont ensuite sorti « Cha Cha » qui était à la base un teaser loufoque pour ses lives, mais la réaction a été tellement immédiate et positive qu'il a décidé d'en faire un morceau entier. C'est son tube, mais il est loin de capturer tout ce dont D.R.A.M. est capable sur scène. Lors de son dernier concert à New York, pour la fête nationale, D.R.A.M. a rempli à la fois le rôle de légende soul et de pasteur, balançant à ses ouailles de fabuleux sermons « trappy-go-lucky » (l'étiquette qu'il donne à sa musique).

En traînant avec D.R.A.M., vous vous retrouvez absorbé par son univers. A l'écart du studio, après l'interview, il a posé pour quelques photos, gêné de se retrouver au centre de l'attention. Avant de lâcher du lest, d'exécuter des pas de danse et d'improviser une chanson. ll déambulait en chantant « Pay Your Bills », peut-être inspiré par notre conversation antérieure sur son ancien job d'agent de recouvrement. Un couplet sur les périls de la carte de crédit est arrivé sur le tapis. D.R.A.M. portait un chapeau « brocoli » et un coupe-vent qu'un fan lui avait envoyé après avoir peint un dinosaure marrant dessus ; cette veste aurait pu être la première pièce de la marque « Big Baby ». Il s'est ensuite arrêté sur la route, a regardé en direction du studio en finissant sa chanson, apparemment aussi envoûté que nous—ses potes, moi, le photographe—à son écoute. Un rictus est apparu sur son visage : « Je devrais peut-être enregistrer ça. »

Les portraits de D.R.A.M. sont signés Jill Frank.

Kyle Kramer est sur Twitter.