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« The Rap Year Book » revient en 36 chapitres sur les morceaux qui ont marqué le rap depuis 1979

Une année, un morceau, une illustration, une préface signée Ice-T : voici le dernier livre-somme de Shea Serrano.

Shea Serrano a bien grandi depuis ses premiers articles sur Noisey. Après avoir quitté son job de prof de sciences, Shea est aujourd'hui ce qu'on appelle un « écrivain ». Il est également correspondant pour le site Grantland. Et a même plusieurs livres à son nom, si toutefois vous estimez qu'un livre de coloriage peut être considéré comme un « vrai » livre. Ok, on plaisante, ce truc tue.

Le dernier projet de Serrano, The Rap Year Book : The Most Important Song From Every Year Since 1979, Discussed, Debated and Reconstructed, qu'on pourrait traduire par L'Annuaire du rap : les plus importants titre rap de chaque année depuis 1979, analysés, disséqués et remis en perspective, est sorti hier, et c'est déjà le livre le plus vendu dans 3 catégories Amazon (rap, histoire et divertissement). Sa maison d'éditions a d'ailleurs déjà lancé un deuxième pressage.

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Avec une préface d'Ice-T et des illustartions d'Arturo Torres, il n'y avait de toute façon pas moyen que cette analyse de 36 ans de rap soit un flop. Evidemment, les choix de Serrano sont subjectifs – est-ce que « Still Tippin » a vraiment autant marqué 2004 que « Drop It Like It's Hot » ?—mais hey, c'est la vie, fréro.

On ne pouvait bien sûr pas passer à côté du coup de fil réglementaire pour revenir sur l'accouchement (dans la douleur, comme vous allez le lire) du troisième ouvrage de Shea Serrano, qui nous a répondu en direct de sa maison de Houston.

Noisey : Salut Shea. Pour commencer, j'aimerais qu'on revienne sur Bun B's Rapper Coloring and Activity Book , ton livre de coloriage sorti en 2013. Comment as-tu eu l'idée de ce truc ?
Shea Serrano : J'ai rencontré Bun B deux ou trois fois et je crois qu'il savait qui j'étais. On avait évoqué l'éventualité de faire un livre ensemble, on échangeait des idées. À la base, ça devait être une sorte de « guide de survie du rap », mais on ne parvenait pas à rester dans le thème. Donc on y réfléchissait toujourset un jour, comme je dessinais des figures de rappeurs locaux à Houston, je les ai posté sur Twitter. Les gens qui connaissaient les rappeurs en question ont tout de suite été super excités par les dessins alors j'ai pensé, « peut-être que si on le fait avec des rappeurs vraiment connus, il y aura encore plus d'enthousiasme».

J'ai envoyé un message à Bun pour lui demander, « on pourrait faire un livre de coloriage avec tous ces gars, t'en dis quoi ? ». Je pensais qu'il allait me répondre non parce que c'est un rappeur, tu vois le délire, mais finalement non, ça l'a branché. J'ai ensuite téléchargé la version démo d'Adobe Illustrator pour 30 dollars et je m'y suis mis. J'ai dessiné quelques pages puis je lui ai envoyé, il était encore plus excité, « faisons-le putain ! » qu'il disait. J'ai tout mis sur tumblr et la semaine suivante j'ai reçu un appel d'un éditeur. C'est devenu tellement viral que la meuf était tombée dessus. Et le truc a explosé.

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Big Boi

Qui a été le rappeur le plus difficile à dessiner ?
Mmm. Big Boi, même si ça peut surprendre. Son visage est indescriptible. Il n'a pas, genre, une cicatrice cool ou du poil aux joues ou des trucs du genre. Il a le visage le plus normal du monde. Donc tu le dessines et tu te dis « est-ce que ça ressemble vraiment à Big Boi ? Je ne sais plus trop là ». C'est très dur à dire.

Je vois. Et le Rap Year Book alors, d'où vient ce projet ?
L'idée est venue de mon éditrice, elle voulait qu'on fasse un autre livre. Moi j'étais OK, mais je ne voulais pas refaire un truc de coloriage parce que c'était vraiment un nid à problèmes. Chaque personne figurant dans le livre devait signer un papier disant qu'elle donnait son accord pour y apparaître. Rien que cette partie a pris 6 mois, c'était un putain de casse-tête.

Donc on échangeait régulièrement, en vue d'un nouveau projet, et elle m'a présenté l'idée d'un annuaire rap. On n'avait pas de titre à l'époque, mais elle me l'a expliqué avec ses mots : « tu écris un chapitre sur la chanson la plus importante de chaque année. Tu en choisis une et tu expliques pourquoi. » J'ai répondu « non, ça ne m'intéresse pas. C'est naze. Je ne veux pas faire de recherches là-dessus. Je m'en tape du rap de 1982. Ça ne fait pas partie de ma vie. Désolé, sans moi. » Donc chacun a vaqué à ses occupations et puis ma femme a commencé à dire que ce ne serait pas du luxe de déménager… On vivait dans un appart, on avait 2 enfants, et on en attendait un troisième. Donc on avait besoin d'argent pour s'acheter une vraie maison. Il ne me restait qu'une chose à faire… « Ok, j'en déduis que je vais devoir m'y coller à ce 'rap year book' ».

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Ce n'est qu'après avoir bossé 7 ou 8 mois dessus que ça a commencé à prendre forme et j'ai réalisé que le truc pouvait être vraiment cool, si je pouvais réunir tous les éléments dont j'avais besoin.

Shea Serrano

Tu as dû creuser beaucoup, vu que comme tu le dis, le rap old school ne t'a jamais intéressé.
C'était le pire du taf. C'était tellement relou. C'était comme retourner à la fac. Parce que tu as un aperçu sommaire du sujet, tu connais quelques noms, « Kurtis Blow, ouais, ouais » mais tu ne sais rien des gens qui étaient impliqués là-dedans où des événements de l'époque qui ont transformé le rap en un vrai mouvement. Ça a pris du temps.

Où as-tu fait tes recherches ? Tu as traîné dans les bibliothèques ?
Je suis allé à la B.U. de l'Université du Texas ouais, ils ont un tas de vieux magazines dans leurs archives. Donc je cherchais dans de vieux Vibe de 1991 pour trouver des trucs sur le type dont je parlais. Il y a aussi différents services payants sur Internet qui peuvent te fournir ces archives, les extraits de journaux, tu peux lire tout ça pendant des heures. Ce que j'ai fait, j'ai aussi lu pas mal de livres. J'ai parlé à beaucoup de gens et certains m'ont vraiment aidé. Je cite toujours Chuck Eddy, qui était un grand nom du journalisme rap dans les années 80. Il couvrait toute la scène. Et Brandon Soderberg aussi. Il est dans le biz depuis un bail et il est super intelligent. Il y a des mecs qui écrivent dans plein de villes différentes, qui ont chacun leur domaine d'expertise et qui sont toujours enclins à parler de qu'ils savent. Je me suis reposé sur un paquet de gens pour nourrir le livre.

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De la naissance du projet—soit le moment où tu décides de déménager—au jour où tu l'as rendu à ton éditeur, il s'est écoulé combien de temps ?
Je vais te dire ce qui s'est passé, parce que c'est vraiment débile, et je suis plutôt embarrassé de la façon dont ça s'est déroulé. Ils m'ont donné un an pour écrire le livre et j'ai répondu « d'accord, c'est cool. » Je me disais qu'écrire juste 36 chapitres ne me prendrait pas plus d'un an, vu qu'il me fallait deux heures pour en écrire un. Donc j'ai attendu pendant peut-être 8 ou 9 mois sans rien commencer, me disant que j'allais en mettre un coup au dernier moment. Et puis on est vite arrivé au 11ème mois, et je n'avais toujours rien foutu. J'ai commencé à recevoir des emails de mon éditrice, « Yo, il se passe quoi ? Où est le bouquin ? » Il me restait 6 semaines et je n'avais fait que deux chapitres sur 36. J'étais en mode panique. Je me suis mis sur le chapitre DMX [1998 : « Ruff Ryder's Anthem »], et j'ai commencé à écrire. J'avais quelques infos sur lui, je venais de lire son autobiographie, mais je n'en savais pas assez alors j'ai dû fouiller et encore fouiller. Ça m'a pris une semaine pour ce seul chapitre. Chaque nuit, pendant 8 heures, je bossais dessus. Bordel. J'ai alors su que je finirais jamais à temps.

La deadline est arrivée et je n'avais que 8 chapitres sur 36, mon éditrice était furax. Ils m'ont donné une rallonge de 3 mois. C'est pendant cette période que j'ai réalisé la forme que je voulais que le livre prenne. Parce que c'était ça la partie la plus difficile : convenir d'un template. Comment le rendre facile à lire ? Comment donner envie aux gens de le lire ? Il y a du contenu assez didactique quand même. Le truc n'était pas très fun avant qu'il soit enfin terminé, que je le vois et que je me dise « Bordel de merde, ça tue ! »

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Tu redoutes les réactions des gens sur le choix des morceaux ?
Non, c'est vraiment le dernier truc qui me préoccupe.

Le morceau le plus marquant de 2014 selon Shea Serrano

Qu'est ce qui te préoccupe alors ?
Eh bien, il y a un paquet de types, journalistes, éditeurs, que je trouve très talentueux, voilà les personnes dont je redoute l'avis. Mais pour ce qui est de la Twittosphère, ça sera comme d'habitude. Tu écris un truc et il y aura un groupe de gens qui viendra te dire à quel point c'est génial et un autre groupe de gens qui te dira à quel point c'est pourri. Le but du livre est de lancer une conversation en tous cas. C'est impossible de sortir un livre de ce genre et que tout le monde te dise « Ouais, il a raison sur touts les points. »

Dans le chapitre sur 2004, consacré à « Still Tippin' » de Mike Jones, je présente la situation le plus clairement possible : « Ce n'est pas la meilleure chanson de 2004. La « meilleure » et la « plus importante » sont deux choses différentes. « Jesus Walks » de Kanye West a été la meilleure chanson de 2004. Mais celle-ci fut la plus importante. Voilà pourquoi. » Et les gens ont passé leurs journées à pigner sur Twitter, « je n'arrive pas à croire que tu as dit que cette chanson était meilleure que 'Jesus Walks' » Vous déconnez ou quoi les gars ? Vous ne savez pas lire. Ca arrivera tout le temps et c'est plutôt amusant d'ailleurs. Je veux avoir ce débat. Je veux expliquer pourquoi « Same Love » de Macklemore a été importante pour la musique, même si vous le détestez. Certains des choix vont êtes difficiles à avaler, d'autres sont irréfutables. C'est comme ça que ça marche, mec.

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Il y a un titre en particulier que tu trouves plus important que tous les autres ?
De toutes les années, je choisirais « Nuthin But a 'G' Thang » je pense, parce que je l'écoutais encore ce matin. L'impact de Dr Dre est absolument incroyable, depuis tellement d'années. J'ai commencé par lui parce que c'est le plus évident.

Tu penses que le livre va parler à des gens qui n'écoutent pas de rap ?
Clairement. Une bonne partie du livre ne parle même pas de rap. Parce que je n'avais aucune envie d'expliquer bêtement en 2000 mots pourquoi tel morceau était plus important qu'un autre. Ça aurait été méga chiant. Chaque chapitre est découpé en différentes sections. Et certaines sections ne parlent pas de rap. Comme le chapitre sur l'année 2004 qui contient une partie sur le film Mean Girls [Lolita malgré moi], qui est sortie cette année-là. Et dans le chapitre sur Public Enemy, il y a tout un passage sur la première fois où je me suis battu. Il y a des choses plus importantes que le rap, mais toutes ces choses sont liées à un morceau de rap précis, voilà ce qui fait qu'il est si important.

Dans un jeu de réalité alternée du livre, tu prédis la candidature de Kanye West à l'élection américaine. Bien vu.
Je ne me souvenais même plus de ce passage avant que l'on envoie des exemplaires promo du livre et qu'un mec d'un média m'envoie un message en me disant « Yo, vous réalisez que vous l'aviez prédit ? » Et en fait non. J'avais complètement oublié ! J'y étais presque. J'avais prédit 2016 et c'est 2020. Si je m'y étais vraiment penché j'aurais mis 2020 mais bon…

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Tu aimes toujours filer des cadeaux pour accompagner la sortie de tes livres comme le marque-page DJ Screw ou ces T-shirts Gucci Mane. C'est pour renforcer ce sentiment qu'au fond, on est tous des gamins qui adorons les cadeaux et les surprises ?
Ouais, j'aime bien faire ce genre de trucs. Avant de devenir écrivain, j'étais prof et j'ai pris très vite conscience que quand tu fais preuve d'un peu d'attention supplémentaire, ça rend tout de suite les enfants plus enthousiastes. Sans forcément que ça soit un truc dingue

J'ai donc voulu appliquer ça avec le livre. Offrir un bonus. J'ai donc acheté une boîte de cartes Yo! MTV Raps et j'ai posté un statut, « Yo, je suis à la poste, les 30 premiers qui m'envoient une photo d'eux avec la preuve qu'ils ont précommandé le livre, je leur en envoie un paquet. » Et boom, tout le monde est devenu fou. Je me suis dit « Ok, à refaire ! » Il faut toujours se demander, comment réussir à attirer l'attention des gens sur ton livre, tu vois ? Et c'était bien avant que quiconque ne voit le produit fini. Donc avec ce geste, ils ne me montraient pas qu'ils aimaient le livre, mais qu'ils me soutenaient.

C'est cool. Tu as d'autres livres en prévision ? Ou tu comptes seulement bosser sur un projet quand tu auras besoin d'argent ?
Haha. On a déjà un contrat pour un troisième livre. On est dessus. Je ne sais pas ce qu'il se passera ensuite. J'aime vraiment écrire et j'aime les gens avec qui je travaille. Je ne peux pas te dire ce que le futur me réserve. Peut-être qu'après ce troisième livre, les gens réaliseront que je n'ai finalement pas beaucoup de talent et je n'aurais plus d'opportunité pour bosser et…

… et tu redeviendras prof ?
Ouais, retour à l'école. Enseigner, c'est super. J'y reviendrai un jour de toute façon.

Pour finir, c'est qui le type que tu as en photo de profil sur Twitter ?
Tu ne sais pas qui est ce mec ? Je suis bien content que t'aies attendu la fin de l'interview pour me le dire parce que je t'aurais raccroché direct au nez sinon et je ne t'aurais jamais reparlé de ma vie. Ce type c'est Miklo Velka, un personnage du film Blood In, Blood Out [Les Princes de la ville], l'histoire de trois cousins mexicains membres de gang dans le Los Angeles des années 70. C'est mon film préféré et mon personnage préféré. Voilà. Les gens me demandent tout le temps qui c'est, ça me tue que personne ne le connaisse.

Merde, est-ce que le fait que je ne sois pas mexicaine peut excuser mon inculture ?
Non ! Tu sais très bien qui est Martin Luther King. Et pourtant Martin Luther King est moins important que Miklo Velka. The Rap Year Book est sorti chez Abrams en 2015. Il est disponible en France depuis le 30 novembre 2016 aux éditions Hachette Heroes. Vous pouvez le commander ici. Jessie Schiewe va se mettre à jour niveau films de gang. Elle est sur Twitter.