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Music

Seul un batteur pouvait appeler son projet Buvette

On a discuté de la Suisse, de Ravi Shankar, de foot, de baby rock et de son album « Elasticity » avec Cédric Streuli, alias Buvette.

Amis journalistes, blogueurs et autres agents de sécurité, il n'osera pas vous le dire car c'est un garçon très bien élevé. Normal, il a grandi dans la partie de la Suisse qui parle notre langue. Mais tous les jeux de mots autour de son nom d'artiste, ça va aller comme ça. « On va tailler la Buvette », merci, on a compris. Déjà, Cédric Streuli a passé plus de temps derrière un bar que vous tous réunis – on ne compte pas le temps à mixer façon mayonnaise des playlists Deezer pour votre pot de départ de stage. Ensuite, son projet Buvette mérite un profond respect puisqu'il ne cesse de s'améliorer à chaque nouvelle vendange, avec un quatrième album bluffant tant au niveau du travail du son que de l'écriture.

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Pourtant, Cédric ne vient pas de cette électro-pop dans la droite descendance de la famille des british à coiffure laquée (Depeche Mode, Blancmange, B-Movie, The The), mais d'un rock qui l'a chopé tout petit alors qu'il jouait innocemment au foot. Ce foot dans lequel il ne s'est plus reconnu quand l'esprit de compétition lui a kidnappé tout plaisir du jeu. Dans la pop, il a ainsi pu passer de gardien du rock (batteur d'un quatuor post-pubère à mèches plus précisément) à milieu de terrain remplaçant de la pop synthétique avant d'en devenir un brillant attaquant titulaire avec cet Elasticity qui parait, comme le précédent, sur le label parisien Pan European Recordings (Koudlam, dont Cédric a été batteur le temps de quelques concerts, Poni Hoax, Flavien Berger, Judah Warsky…). Comme quoi le boulot et l'inspiration, ça paie, et c'est pas forcément incompatible avec l'idée de plaisir.

Noisey : Tu t'appelles donc Cédric Streuli et non Buvette ?
Buvette : Non, les autorités n'auraient jamais laissé mes parents m'appeler Buvette même si j'ai entendu dire qu'en Inde, des enfants avaient été appelés Samsung.

Tu parles d'Inde et ça tombe bien car tu as découvert la musique avec Ravi Shankar, comment ça se fait ?
Mes parents écoutaient ça, de bons amis à eux aussi, parfois ils l'écoutaient ensemble. Mais ils écoutaient aussi plein d'autres choses, autant Ravi Shankar que Black Sabbath. Aux heures où j'allais me coucher, ils mettaient plus des trucs tranquilles que Sabbath qui était pour le matin ou l'après-midi. C'est un souvenir très précieux et une sensation de protection et de bien-être que j'adore encore : s'endormir à côté d'une pièce où s'activent des voix aimées.

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Tes parents ont donc été très importants dans ton éveil à la musique ?
Mon père n'est pas musicien mais il avait 20 ans en 1975 et toujours six ans de retard sur les musiques du moment. Les trucs qu'il kiffait étaient déjà dépassés. Ensuite, il a recommencé à voyager et a ramené plein de cassettes. Au même titre qu'il enregistrait les premiers sets de house sur la radio Couleur 3, comme ceux de Mr. Mike qui ne passait que des blacks de Detroit. J'ai grandi en entendant autant ça que Santana ou des trucs péruviens.

C'est ce qui t'a fait plonger dans la musique ?
Je m'y suis mis plus tard. Enfant, je voulais faire du foot, ça m'a pris de 7 à 12 ans. C'est là que j'ai commencé à aller chercher dans les disques de mon père, à reconnaitre des voix, des époques, des sons. Vers 14 ans avec des potes, on écoutait que la période 1968-1972. Avant c'était trop sweet (les Beatles, les Beach Boys), et après, trop glam. On était dans une esthétique Doors, on kiffait les quatre premiers Led Zep, « In Rock » de Deep Purple, Iron Butterfly, un peu les Who… Après on a écouté plein d'autres trucs et je suis resté curieux de tout.

C'est à ce moment là que tu as laissé tomber le foot ?
Exactement, vers 14 ans, je suis devenu batteur d'un groupe monté avec des potes de Leysin, mon village en Suisse. Ensuite, vers 18 ans, j'ai joué dans un autre groupe, The Mondrians, avec lequel j'ai beaucoup tourné, à Paris notamment. J'ai commencé Buvette en parallèle en 2008, jusqu'en 2010 où j'ai quitté le groupe pour me consacrer à ce projet solo.

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Entre temps, tu as aussi beaucoup voyagé.
C'est l'essence même du projet : quitter l'idée de groupe pour me retrouver avec juste une valise avec synthés, sampler et boîte à rythmes, et prendre n'importe quel train ou avion. Tout le matos est avec moi et je peux jouer. J'organisais ma vie en fonction des voyages. Je trouvais des concerts et ça définissait mes vacances. J'avais limité mon matos et mes bagages à 23 kilos pour voyager sans surtaxe. J'ai fait une quinzaine de traversées de l'Atlantique pour jouer au Mexique où j'ai vécu, aux Etats-Unis, et aussi dans les pays baltes. J'ai fait deux concerts au Mexique, j'ai rencontré une fille et ça a été le coup de foudre. Elle est venue un peu en Europe avant qu'on reparte au Mexique où j'ai vécu deux ans et demi.

Ce séjour a changé ton rapport à la musique ?
Oui, ça m'a ouvert les portes de la musique latine. Mon ex venait de la province de Veracruz à l'est, une région proche de Cuba avec une musique omniprésente, comme le son jarocho et la salsa. J'ai vu plein de groupes en concert et ça m'a libéré. Ça a changé des trucs chez moi, mais de façon indirecte, je ne fais pas de la cumbia non plus. Là-bas, tout le monde danse et pas seulement le mec chelou qui ose se lancer. Ça change beaucoup de choses dans ton rapport à la musique.

Tu es ensuite revenu en France directement pour te fixer à Paris ?
Je suis repassé par la Suisse pour m'installer dans un manoir près de Montreux dont j'ai aménagé la cave en studio. J'y ai composé la base d' Elasticity que je suis venu enregistrer et mixer à Paris en octobre 2015. Je voulais aussi monter un groupe pour le live.

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Elasticity sonne comme les grandes heures de l'électro-pop des années 80, tu as découvert tout ça quand ?
C'est drôle car on me parle souvent de cette époque alors que ce n'est pas ma culture musicale. Mon son doit plus au fait que je fais de la musique seul et que j'utilise des synthés qui donnent ce son connoté. J'ai découvert plus tard les musiques électroniques et les eighties. J'aime beaucoup de trucs de cette époque mais ce n'est pas une fixette, je ne suis pas non plus un gros mordu de synthés et de matos.

Tu as donc assemblé un groupe. Tu fais pas trop ton relou avec le batteur ?
C'est le premier que j'ai contacté parce que la batterie est super importante sur l'album. J'ai enregistré moi-même toutes les parties, avec parfois deux batteries mixées différemment, des batteries et des boites à rythmes mélangées aussi. J'ai donc pensé à un projet live super rythmique à deux batteries mais j'ai laissé tomber. L'idée est plutôt de me libérer totalement pour chanter afin de ne plus avoir à me soucier des synthés, des BPM. Le groupe sera constitué de Ben McConnell, super batteur qui joue avec Au Revoir Simone et Beach House, et qui jouera aussi des pads électroniques, Clémence, la bassiste de Moodoïd, sera à la basse, aux synthés et au chant. Et puis à la guitare, Richard, de Calypsodelia, un autre groupe de chez Pan European.

Tu sens un vrai esprit de famille Pan European ?
Déjà, ça a commencé par la rencontre avec Arthur Peschaud, le boss. Là où ça devait durer une demi-heure, on a fini à huit dans son bureau en dansant après avoir bu 5000 bières. Depuis, tout se fait naturellement, à l'instinct. C'est un truc super riche qui s'y passe. On a notre studio au Point Ephémère qu'on est plusieurs à utiliser et ça créé une émulation. Y'a toujours des potes qui passent, des gens qui sont là, et plein de trucs se sont mis en place naturellement. Il y a deux ans, on a fait une tournée en Suisse avec Flavien Berger où on enchainait nos concerts. En 2015, on a refait des dates avec Flavien et Judah Warsky, où on faisait un seul concert de trois heures où l'un commençait, le suivant venait sur son dernier morceau, le premier restait sur le premier morceau du suivant etc. Et à la fin, on revenait les trois ensemble pendant 20 minutes. Tout ça sans que ce soit suggéré par le label.

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Quand on est seul, c'est quand même important d'avoir des retours, des avis extérieurs ?
L'album précédent, The Never Ending Celebration, était fini quand j'ai rencontré Arthur. Je l'avais fait comme les autres avec mon pote Ben, un ami d'enfance de Leysin, en autiste, dans une cabane coupé du monde. Là, au Point Ephémère, il y a beaucoup plus de discussions d'équipe.

Par moments, comme sur « Concrete River », ta voix est super trafiquée, ça vient de quelle influence ?
C'est un peu de l'auto-tune à part que c'est une utilisation différente du rap. C'est marrant que tu parles de ce morceau car pendant longtemps, on l'a viré du disque car il était arrangé de manière différente, beaucoup plus chargé. Au même moment, on écoutait beaucoup l'album You, Me & He de Mtume, un ancien percussionniste de Miles Davis qui a aussi fait le beat du « Juicy » de Notorious B.I.G. Tout cet album est génial car il est réalisé dans le plus pur dénuement : basse, batterie, parfois un synthé, la voix, et c'est tout. Comme les premiers morceaux de Dangerous de Michael Jackson : juste beats, voix et synthés. On a trouvé ça super fort, ça nous a permis d'enlever des trucs sur certains morceaux et d'arriver à cette version de « Concrete River. Quant à la voix, on a testé ça et on a aimé. On l'a laissée comme ça, un peu comme un clin d'œil esthétique aussi.

Y'a aussi plein de clins d'œil à la black music…
Plusieurs morceaux ont des rythmes en clins d'œil à l'afrobeat. Cette influence des musiques noires, je la revendique car elles me passionnent, le rythme a toujours une grande importance, d'autant que c'est toujours par lui que je commence un morceau.

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Vivre à Paris est important dans ce contexte de création ?
Avant, je venais souvent à Paris pour jouer avec les Mondrians et on a été associés malgré nous à la scène des baby rockers. Alors qu'on n'était pas dans l'axe Stooges/Velvet. Mon pote écoutait de la techno, moi du rap. On jouait dans un truc rock'n'roll mais en se foutant du look. À cette époque, je détestais Paris, je pensais que je ne pourrais jamais y vivre, je ne comprenais pas la ville, elle était impénétrable, trop intense… J'avais 18 ans, on était là pour 36 ou 48 heures, souvent bourrés, c'était donc impossible de créer des liens avec d'autres musiciens. Ça a totalement changé quand j'ai commencé à travailler avec Pan European. J'ai commencé à vivre la ville de l'intérieur en étant moi-même un acteur du truc. Le spectre de mes rencontres et des nouveaux lieux de création s'élargit sans cesse. Je viens de Suisse romande, nos plus grandes villes sont Genève et Lausanne. Mais notre capitale culturelle, c'est Paris.

Et d'ailleurs, tu viens d'un village.
Oui, Leysin, c'est une station de ski qui a hébergé un festival dans les années 90 où ont joué Dylan, Cure, James Brown, Lou Reed… mais les mecs se sont plantés et paient encore la facture. Puis en 96, un festival s'est remonté en programmant Autechre, Aphex Twin, Underworld… Ils attendaient 10 000 personnes et il yen a eu 1 500, il pleuvait à chaque édition, ce festival s'est aussi vautré. À part ça, c'est une station qui a vu l'apparition du snowboard, les premières compet' de half-pipe… Il y a aussi beaucoup d'écoles internationales et j'ai vécu dans cette ambiance de saisonnier prof de ski. J'ai grandi là-dedans et j'avais un terrain de jeu immense, avec plein de vieux hippies aussi.

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Ça devait quand même être un peu paumé pour l'adolescent que tu es devenu, non ?
J'allais à l'école à Montreux, je faisais une heure de train matin et soir. J'adorais les levers de soleil sur la mer de brouillard. Tu vas à l'école, oui il est 6h40, mais c'est unique. L'hiver le soir, je remontais et j'avais parfois le temps de prendre la dernière benne pour me faire un half-pipe. J'ai jamais souffert de ce lieu car c'est quand même un endroit de luxe, le midi entre les cours tu peux te baigner dans le lac. Sûr que si ça avait été une heure de RER matin et soir, j'aurais un autre ressenti du transport. J'aime beaucoup y retourner pour la nature. Ma mère y vit toujours mais depuis sept ans, mon père est reparti voyager avec son sac-à-dos comme quand il avait vingt ans. Il vient en Europe deux fois par an, sinon je vais le voir en Asie ou là où il se trouve.

Tu lui fais écouter tes morceaux ?
Oui mais il est extrêmement critique. Je lui avais dédicacé le premier morceau de mon premier album, et depuis, j'ai l'impression qu'il est déçu de ne pas en avoir d'autre alors que bon, c'est fait. Du coup il est critique et je le chambre un peu avec ça.

Faut le comprendre, c'est l'enfant d'une génération où l'album était un truc un peu sacré dans la musique !
C'est clair, et il me l'a inculqué. Elasticity n'est pas qu'un recueil de morceaux, il est pensé comme un album, avec un début, un milieu et une fin. Je lui dois aussi cet amour du disque dans les informations que tu découvres sur la pochette et à l'intérieur, les crédits, le graphisme, le label… tous ces détails qui me sont indispensables pour comprendre un projet musical. Ce lien se perd avec la musique numérique et c'est mon plus grand problème avec elle. Tu pourras trouver les infos sur Discogs ou Wikipedia mais ce n'est plus un seul et même objet.

Ce rapport à la pochette, il ne t'a jamais lâché ?
À 15 ans, j'ai découvert énormément de musique en allant demander à mon disquaire de me faire écouter tous les trucs de tel label, un disquaire par ailleurs extra que je ne remercierai jamais assez. Il se trouve à Aigle, la petite ville en bas de Leysin.

C'est pour ça que la pochette d' Elasticity est un concept esthétique à elle seule aussi ?
Elle a aussi des références années 80 mais avec un côté africain, genre un musicien éthiopien qui poserait devant la statue du parc. On a cherché le faux naïf à travers mon visage qui est repeint. Il faut voir mon portrait comme une photo pourrie qui aurait été recolorisée, un jeu sur la texture de faux amateur, qui fait écho à plusieurs morceaux. Avec un découpage qui fait référence à une cassette aussi.

Bon, et tu n'en as pas marre de tous les jeux de mots autour de ton nom ?
Est-ce le résultat de gens peu inspirés ? Ou de gens qui ont de l'humour ? À partir du moment où on va parler de moi en français, c'est compréhensible que des jeux de mots apparaissent. Après, je chante en anglais et j'ai choisi ce nom comme une chose esthétique, une succession de lettres qui peut être retenue par un anglophone, un allemand ou un hispanique, sans en comprendre le sens. Ce nom est arrivé par hasard au tout début dans un bar de station où j'ai bossé pendant deux ans. Au bout d'un moment, je n'en pouvais plus. Hors saison, il n'y avait personne à part les habitués qui venaient chialer tous les jours sur le comptoir. Je rentrais tous les soirs à 3h du mat' et j'enregistrais des samples. Les morceaux ont commencé à prendre forme et tous parlaient du bar. J'ai eu un premier concert et pour faire chier un pote, j'ai choisi ce nom et l'ai gardé. Mais je ne l'aurais pas choisi si je n'avais voulu m'adresser qu'à un public francophone.

Pascal Bertin n'aime pas trop la montagne. Il est sur Twitter.