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On est allés vérifier que Seth Gueko était bien le « Professeur Punchline »

À quelques jours de la sortie de son nouvel album, le rappeur de Saint-Ouen-l’Aumône nous a donné quelques leçons en revenant sur certaines de ses phases les plus mythiques.

« Salut Max, ça roulotte ? Je ne te garantis pas une connexion de choc, il pleut des cordes à Phuket. Mousson oblige, il y a au moins 40cm d’eau au sol. Mimie Mathy aurait besoin de lunettes de plongée si elle voulait refaire ses lacets ». L’entretien sur Skype à peine commencé et visiblement, Seth Gueko est déjà chaud. Qu’on lui en suggère ou non, il enchaîne pendant presque une heure les punchlines et les formules chocs. Un peu comme si le rappeur de Saint-Ouen-l’Aumône avait aiguisé encore davantage son sens de la formule déjà fortement impresionnant. Un peu comme s’il était bel et bien ce

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Professeur Punchline

, tel qu’il s’est lui-même surnommé sur son quatrième et prochain album, à paraître le 6 novembre. On a donc profité de cette occasion pour aller prendre quelques leçons, tout en revenant sur certaines de ses phases les plus mythiques.

Noisey : « J’ai grandi avec des p’tits beurs de rue, pas des p’tits beurres de LU » (« Gremlins »). Est-ce qu’il faut forcément venir d’en bas quand on fait du rap ?

Seth Gueko :

Pas forcément, mais je trouve que t’as plus de mérite quand tu pars de zéro. Si t’as eu des parents dans la musique, t’as pu avoir accès au solfège ou profiter de leurs connexions. Moi, je me suis fait tout seul. Je pars de Saint-Ouen-l’Aumône où il n’y avait aucun rappeur et aucune association. Alors on aime ou pas, mais mon parcours est honorable. C’est comme si j’étais parti à la guerre avec un sabre en bois.

Tu crois que ça été plus compliqué pour toi que pour d’autres de s’imposer dans le milieu du rap ?

Ouais, il a fallu s’imposer dans la musique en tant que petit blanc. À l’époque, je n’avais pas le charisme et l’aura que j’ai aujourd’hui. En plus, j’ouvrais la porte du rap caillera, donc il fallait batailler ferme. J’avais deux fois plus à prouver. Dans le milieu du travail, les étrangers doivent prouver deux fois plus que les autres leur valeur. Dans le rap, c’est l’inverse. C’est aux blancs de faire leur preuve.

Ce que tu as plutôt bien réussi à faire, finalement.

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Ouais, je suis arrivé dans le rap avec le crew Neochrome. C’était l’école de la rime et ça m’a incité à aiguiser ma plume pour mettre en avant les punchlines. Au début, j’avais du mal à maitriser le second degré dans mes textes. J’avais une écriture riche, avec énormément de rimes multi-syllabiques et d’images violentes. Ça a très vite choqué les gens. Du genre : « C’est qui ce blanc hyper vulgaire ? ». Il a fallu batailler ferme pour leur démontrer que cette violence était artistique et que j’étais quelqu’un de bien.

« On évite de faire de grand rêve car si un papa donne la vie, sache qu’un paah paah te l’enlève »Fallait pas »)
C’est magnifique ça, non ? Il y a toute une composition grammaticale qui est agréable à l’oreille, mais il faut l’amener avec du style et marquer chaque mot avec une certaine prononciation pour que ce soit efficace. Tu gardes un bon souvenir de ton enfance avec tes parents ?
J’ai grandi avec ma mère et ce sont mes grands frères qui ont fait mon éducation. Du coup, j’ai bénéficié d’une culture très portée sur rock, le punk, les antifas, les chasseurs de skins, le ska jamaïcain et sur un humour décalé hérité des Nuls. Mes frères étaient un peu dans la marginalité. Deux ont fait de la prison, un autre est décédé. Depuis tout petit, j’ai donc été confronté à des situations très intenses. À 7 ans, je savais déjà ce que c’était de voir sa famille en pleurs suite à l’incarcération d’un de ses frères. Mais je n’ai jamais trop voulu m’étendre là-dessus dans mes titres. Il y a quand même des punchlines plus intimes, comme « La seul mer dans laquelle j’ai nagé, c’est l’amertume » ou « Je vais sniffer les cendres de ma mère pour qu’elle reste dans ma tête. » (« Adria Music »)
La seconde, je l’adore. Tout comme j’adore ma mère. Elle a toujours été très ouverte et m’a souvent laissé faire ce que je voulais. Ça a renforcé le dialogue entre nous. Pour la petite histoire, elle me dit souvent qu’elle veut se faire incinérer. Du coup, un jour, je lui ai répondu : « Ok, mais je vais les sniffer tes cendres ». De là est née cette phrase, que ma mère a tout de suite comprise. Certaines personnes vont peut-être se dire que c’est violent, mais il y a une énorme manifestation d’amour derrière cette image violente. J’ai besoin de cette carapace, de masquer une certaine pudeur par quelques phrases chocs.

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« Pour les mangeuses de grec j’ai des capotes goût mayonnaise. » (« Dirty Manouche »). Quel est ton rapport à la gent féminine, à laquelle tu fais presque constamment allusion ?
J’adore les femmes, c’est toute ma vie. Je suis un séducteur. Pourtant, je suis un mari satisfait et comblé, mais j’aime trop les femmes, le charme et la séduction. J’ai ça en moi. Même celles qui ne savent pas que je fais du rap, j’arrive à les charmer. C’est easy pour moi ! À première vue, on pourrait croire que je suis misogyne, mais ce n’est pas le cas. D’ailleurs, je suis persuadé que je ne suis pas plus trash que les femmes. Mets un micro dans un vestiaire féminin et tu verras. Elles sont aussi crues que les hommes peuvent l’être. D’ailleurs, j’aimerais qu’une rappeuse arrive et dise dans ses textes « Ah ce mec veut me baiser, mais il pue de la bite », ou des trucs comme ça. À propos des femmes, tu dis aussi « Les meufs c’est comme un Big Mac, c’est jamais comme sur la photo ». C’est le cas aussi en Thaïlande, où tu passes beaucoup de temps et où tu as un bar ?
C’est le cas partout. Le filtre d’Instagram a révolutionné la beauté des filles. C’est comme si le vendeur de téléphone vendait en même temps un kit de rouge à lèvre, de mascara et de fond de teint. Bon, il faut avouer que les mecs font pareil, mais c’est plus marrant de mettre ça en image par rapport aux femmes. D’autant que je suis persuadé qu’elles savent que c’est de l’humour. Après tout, Seth Gueko, c’est fait pour se détendre. Mes textes, ce sont des parties de jambes en l’air. Les actrices pornos sont d’ailleurs folles de moi. Peut-être parce qu’elles aiment les bad boys et qu’elles sont plus ouvertes à ce genre d’homme, mais c’est surtout parce qu’elles ont de l’humour. Elles comprennent mes textes, ça ne les choque pas. Au fond, je suis peut-être un hardeur du rap. Je pénètre les gens par les oreilles.

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« Plutôt que de rouler en Subaru, j’préfère rouler en deux chevaux avec un cadavre de flic sous la roue. » (« Les Fils de Jack Mess »)
C’est une autre catégorie de punchline, celle-là. Elle fonctionne parce qu’elle est riche et qu’il y a une image forte, mais elle n’est pas assez courte, pas assez efficace. Une punchline, il faut savoir la placer au bon moment. J’ai longtemps été prisonnier des mots, de ne pas pouvoir dire toutes mes idées parce que je recherchais une rime forte. Mais un conseil de Booba a tout changé. Il m’a fait comprendre que mes rimes étaient trop riches et que, de fait, mes punchlines se cannibalisaient. On ne les distinguait pas alors que la punchline doit être la phrase qui sort du lot. C’est comme en humour : on peut tous raconter la même blague, mais le secret de l’humoriste, c’est de l’amener et de la placer quand il faut. Tu regrettes que tes chansons soient rarement prises au second degré ?
J’ai toujours adoré les films d’horreur ou les films de combat. Il fallait que je fasse de cette violence quelque chose d’artistique. Et c’est le cas. Je ne suis pas un prêcheur. Je ne parle pas au micro devant une assemblée en demandant aux gens de suivre mes idées. Sur mes disques, il y a d’ailleurs des stickers d’avertissement. Il est conseillé de ne pas m’écouter. Mon rap ne peut donc pas tomber dans une oreille chaste. Le mec qui m’écoute, il est obligé de venir vers moi et il sait à quoi s’attendre. Après tout, le rap, c’est une musique d’interdit. Aujourd’hui, même les mères de famille écoutent du rap et cautionnent ce qu’écoutent leurs gosses. Ce n’est pas normal : c’est quand tes parents ne sont pas censés savoir ce que tu écoutes que tu fais quelque chose de marginal et de libertaire. Il faut être rebelle et se faire son propre caractère. On me demande parfois de faire un morceau plus posé, mais je n’en ai rien à foutre. Je suis fidèle à la culture que mes frères m’ont inculqué. Je suis un enfant des Bérurier Noir, sauf que je fais de la musique sur du rap. Tu as déjà essayé de rapper sur du rock ?
Ouais, mais c’est toujours compliqué avec les droits d’auteurs et papiers administratifs. Sinon, ça fait longtemps que tu aurais entendu Seth Gueko rapper sur des grosses guitares.

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« J’pisse du champagne viens boire à la bouteille »Gipsy King Kong »). Tu penses quoi du rapport à l’argent en France ?
Étant donné que les rappeurs exhibent de grosses voitures et de l’argent, les gens ont l’impression que je suis millionnaire. Mais contrairement à ce que pensent les familles de mon quartier, issues des basses classes, je n’ai pas les moyens d’acheter un pavillon à ma mère. Cela dit, je ne suis pas contre le fait d’en parler, tant que tu n’en fais pas trop. C’est bien d’avoir l’objectif d’être riche. Le but de la vie, ce n’est pas la piété, c’est d’être riche et de réussir sa vie. Celui qu’on écoute en famille, c’est le plus riche, pas le plus cultivé. Cela dit, ma punchline préférée par rapport à l’argent, c’est « dis pas que l’argent n’a pas d’odeur à un éboueur ». Comment expliques-tu que malgré ton succès et ta base de fan, tu n’ais pas encore été disque d’or ?
Le disque d’or n’est pas synonyme de qualité. C’est pour ça que je tire mon chapeau à des mecs comme Kaaris. Sans être bastonné en radio, il a réussi à être disque d’or et à ouvrir les portes du rap hardcore. Je me suis bien entendu déjà remis en question, mais je pense que je touche une minorité, une population blanche qui a entre 28 et 40 ans. Ceux qui m’apprécient sont là en concert, me soutiennent en achetant un t-shirt ou en likant mes vidéos, mais ils n’ont peut-être tout simplement pas l’argent d’acheter un CD. Je sais que je ne parle à tout le monde, mais ceux qui me suivent me sont très fidèles. Surtout dans le Nord, où les gens me soutiennent à mort. Ça doit être mon côté Renaud. Ils ont eu les mines, moi j’ai la mine de crayon. Je suis leur « ch’timitraillette », en quelque sorte.

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« J’prendrai de la maille même dans la bouche d’un dragon, mais le rap français recrute trop de pouff à talon » (« J’marche avec ma click »). Tu penses que le rap français a beaucoup changé ces dernières années ?

En général, les rappeurs sont moins concentrés sur l’écriture. Il y a de plus en plus de gens qui en écoutent, donc de plus en plus de pauvres d’esprits. Les rappeurs actuels ont donc pris conscience que ça ne servait à rien de donner du caviar au cochon. Après tout, pourquoi se casser la tête avec des phrases compliquées ? Moi-même, je me suis déjà posé la question. Mais c’est hors de question.En CM2, j’écoutais déjà des maxis comme

Traitre

du Ministère AMER ou

Le Monde de Demain

de NTM. J’étais obligé d’être un bon rappeur, je connais la discipline depuis le début. Je connais le sujet sur le bout des doigts.

Tu ne trouves pas que le rap français est dans le culte de la punchline aujourd’hui ?

Comme lorsque Booba reproche à JoeyStarr de ne pas avoir fait de punchlines avec NTM…

Franchement, un artiste qui n’a pas de punchlines, je ne l’écoute pas. Une punchline, ça crée de l’émotion, ça fait sourire, ça choque ou ça rend jaloux. Bien sûr, les anciens vont toujours rétorquer que NTM c’est autre chose, que c’est de la révolte, un message, qu’ils ont ouverts les portes du rap et qu’ils ont fait le relai entre rap et rock alternatif, mais on ne peut pas reprocher aux nouvelles générations de rechercher autre chose. D’autant qu’on leur a montré comment faire. Après, il faut avouer que beaucoup prétendent faire de la punchline alors que c’est complément naze. Ils reprennent un dicton et pensent tenir la phase du siècle. Mais même le dicton, il faut se le réapproprier. Au lieu de dire

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« Il ne faut pas mettre pas la charrue avec les bœufs »

, tu peux dire

« crame pas l’alu avant la beuh »

. Un fumeur, ça va l’interpeller direct ça !

Tu penses quoi de la trap aujourd’hui ?

C’est une bonne chose : ça a ralenti le rythme, donc on se rend vite compte si le rappeur est bon ou non. Ça a aussi amené une nouvelle forme de flow et ça permet de se renouveler. Moi, je rappe de la même façon depuis mes débuts. Si les gens m’écoutent, c’est uniquement parce qu’ils ont hâte d’entendre mes nouvelles clowneries ou mes nouvelles cochonneries. C’est comme une drogue dure, en quelque sorte.

« Avec la chiasse que j’ai, je ne suis pas prêt de vous céder le trône » (« Val D’Oseille »). Pourquoi avoir commencé ton nouvel album avec une telle punchline ?

Parce que ça interpelle tout de suite. C’est aussi un peu de la provocation, du genre :

« taisez-vous et écoutez-moi ! »

. Je trouvais ça marrant également de parler de caca dès le début, ça rappelle qu’on est tous les mêmes. Après tout, que tu manges du caviar ou des œufs de lump, c’est la même chose qui sort du trou du cul des Dieux de l’Olympe. Encore une fois, c’est de l’autodérision.

« Ils ont une punchline par artiste, j’en ai mille par album » (« Michto »). C’est pour cela que tu as appelé ton album Professeur Punchline ?

L’album s’appelle comme ça parce que je veux me servir de toutes les interviews pour expliquer ce qu’est une vraie punchline. J’ai envie de transmettre mon savoir, de prouver aux gens que c’est un art de la formule, que la punchline, c’est le savoir-faire de l’esprit résumé en une ligne. J’ai toujours aimé jouer avec les mots, m’exprimer en métaphore et je pense donc être bien placé pour parler de ce que je fais depuis toujours. Le cinéma et les humoristes m’ont d’ailleurs beaucoup contacté pour leur donner des idées.

Quelle est ta punchline préférée depuis tes débuts ?

C’est comme si tu me demandais de choisir lequel de mes enfants je préfère. Elles ont toutes une histoire particulière. Même pour mes fans. Peut-être que les punchlines de « Val D’Oseille » vont accompagner le passage à l’âge adulte de certains alors que d’autres resteront marqués à jamais par celles de « Patate de Forain ». Ce n’est pas parce que certaines sont meilleures que d’autres, c’est juste qu’elles rappellent des situations. La musique, après tout, c’est une putain de madeleine de Proust.

Sur ton nouvel album, il y a aussi cette déjà fameuse : « Les matons, c’est des bâtards, té-ma la tête qu’ils ont, il pleut des cordes, il fait un temps à s’évader de prison. »

On ne peut pas dire que je ne suis pas un punchliner en entendant ça. Il y a cinq syllabes répétées deux fois avec une image très belle et très forte. Je sais bien qu’à première vue, mes rimes peuvent effrayer. Ça sonne vulgaire et violent, mais mon rap est un rap rabelaisien et grivois. J’ai réussi à prouver qu’avec des mots très simples on peut trouver des rimes riches, drôles et fines.