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Ma Quale Idea : un bilan de carrière avec Pino d'Angio, génie sous-estimé de la musique italienne

Il est l'auteur du premier rap européen, a influencé l'italo-disco, inventé la trance, tourné aux Etats-Unis, été plagié des centaines de fois et il sort un nouvel album à l'âge de 62 ans.

Peut-on être l’un des plus grands précurseurs de la musique italienne et internationale, et malgré tout, rester dans l’ombre ? Visiblement, oui. Le cas de Pino D'Angiò en est un exemple frappant. L’homme à l’origine du méga-hit « Ma Quale Idea » a toujours fait son bonhomme de chemin sans chercher à se placer sous les projecteurs : sans être forcément allergique à la lumière, il préfère « la tenir en laisse », comme le disait un morceau des Pooh. A l’occasion de la sortie de son nouvel album, Dagli italiani a Beethoven, et en tant que fan éternel, j’ai décidé de le contacter. J’espérais pouvoir le rencontrer en chair et en os, mais notre ami vit à Amalfi, dans un coin « plutôt éloigné » du pays. On s’est donc contenté d’une interview « par télégraphe », comme il le dit lui-même, avec un charisme absolument intact. J’ai vraiment eu l’impression de le voir devant moi, avec son éternel paquet de cigarettes à la main. Noisey : Alors, Pino… Avant toute chose, c’est un plaisir de savoir que tu es encore dans le circuit. Où étais-tu passé ces dernères années ?
Pino D'Angiò : J’ai eu un minuscule accident, des petites vacances imposées : sept opérations en six ans, pour un cancer de la gorge. J'ai appris ça … Tu es un fumeur invétéré, jamais repenti.
Au contraire, je dois t’avouer que je me suis repenti. Je fume parce que je suis irrémédiablement stupide. Je diminuerais bien volontiers ma consommation, mais je n’y arrive pas. La cigarette est vraiment une drogue, elle tue chaque année cent fois plus que toutes les autres drogues réunies. J’ai accompli des choses incroyablement difficiles dans ma vie, mais avec la cigarette, j’ai perdu le combat. Malgré ça, tu es encore là, avec un nouveau disque. Parle m'en un peu.
C’est difficile de parler d’un nouveau disque. Vraiment. Un disque, il faut l’écouter. Je peux en tous cas te dire que ça représente le parfait résumé de toute mon histoire. Je crois que je n’en ferai pas d’autre. Pour moi, c’est certainement le meilleur disque que j’ai jamais fait. J’ai chanté en espagnol, en italien, en anglais, et il y a même un morceau avec de l’arabe. Il y a des sonorités modernes, mais aussi une sonate de Beethoven. Pour ces raisons, et pour cette dernière en particulier, le titre de mon album aurait pu être : Danse … et pense. Mais j’ai décidé, pour des raisons évidentes, de l’appeler Dagli Italiani a Beethoven.

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Le single ressemble un peu à un « Povera Patria » version rap. Pourquoi cette volonté parler de l’Italie dans un moment comme celui-ci, où tomber dans le nationalisme bas-du-front est plutôt facile ? C’est une recette anti-Salvini ?
J’en ai honte, vraiment, mais je ne connais pas « Povera Patria »… j’espère que ce n’est pas grave. On peut accuser n’importe qui de nationalisme, mais pas moi… vraiment pas. « Italiani » n’est pas un vrai single, en fait c’est seulement un des dix titres de l’album, et les personnes du marketing font le reste. Il y a des morceaux très originaux, évidemment, comme « Arabic Love » ou « Notte Segreta », mais c’est le public qui doit choisir. Je ne pourrais pas demander à un peintre son tableau préféré, il ne serait pas capable de répondre, et surtout, sa réponse ne correspondrait pas aux attentes du public et de la critique. Il s’agit plus d’un choix affectif plutôt qu’esthétique ou commercial. Il y a quelque chose, en revanche, de vraiment curieux à propos de cet album : six clips en HD, dont quatre réalisés avec Avatar 3D. Je crois que six clips pour un seul album, c’est vraiment un record mondial [Pas du tout, en fait]. Les producteurs ont dépensé de grosses sommes parce qu’ils sont convaincus de ma réussite, mais si ça ne fonctionne pas, je risque de me faire fusiller. En fait, maintenant que j’y pense, même si tout se passe bien, je risque de me faire fusiller quand même. Oh, et puis, faire partie de la liste très réduite des artistes italiens signalés par Vevo est déjà une belle victoire. A ce propos, qu’est ce qui a bien pu se passer ? Personne ne le sait. Justement, je trouve que c’est un album courageux, avec des prises de risques. Tu t’es dirigé vers l’electro, c’est plutôt intéressant. Tu en écoutes beaucoup ?
J’écoute un peu de tout, mais de manière distraite. Quoi qu’il en soit, il y a certainement des influences dues à l’époque, à l’environnement, et puis… étant un individualiste convaincu, je n’aurais jamais pu convoquer douze violonistes ou un orchestre complet chez moi. Parce que oui, l’album est né à dix mètres de ma cuisine. Il n’y a que le mixage qui s’est fait entre Lyon et le Rupa-Rupa Studio, en Italie. Le studio lyonnais, malgré mon respect pour les français, était véritablement honteux, avec des techniciens nuls… tellement à la page qu’un bon électricien automobile italien aurait pu devenir leur guide spirituel. Je les ai tous envoyer se faire ######… ça a donc allongé les délais de sortie de l’album. On se souvient toujours de Pino D’Angio, en tant qu’auteur de « Ma Quale Idea », un titre très marquant, qui, quand il est diffusé, encore aujourd’hui, pousse les gens à se déshabiller sur la piste. C’est vraiment le premier morceau de rap italien ? Ce n’est donc pas Adriano Celentano et son « Prisencolinensinainciusol », comme il s’en vante régulièrement.
Oui, en réalité, le premier rap de l’histoire, même bien avant les Américains, vient effectivement d’Adriano Celentano… mais il l’a fait sans même le savoir. C’est moi qui l’ai dit à sa fille Rosita, qui lui a transmis l’information. Quinze ans plus tard, naissait le rap américain. Mais le premier rap européen « officiel », c’est peut-être vraiment le mien.

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Effectivement, tu t’étais inspiré de « Ringo », de Celentano.
Oui, « Ringo » était une comptine plutôt mignonne, qui m’amusait. Et puis, Celentano est Celentano, il a beaucoup innové. Mais il ne m’a pas vraiment inspiré la chanson, même s’il m’a permis de justifier sa construction artistique, en m’ouvrant la voie. Evidemment, tu ne pensais pas, à ce moment-là, que « Ma Quale Idea » aurait autant de succès, avec quasiment douze millions de copies vendues dans le monde entier.
Non, pas à ce point. Au contraire, la maison de disque avait même peur de le sortir. Ils m’ont tous dit que c’était une chanson comique et qu’elle n’aurait jamais pu se vendre. Evidemment, ils se sont tous mis à faire la même chose une fois que le titre a eu du succès … comme toujours. Je trouve que l’aspect le plus intéressant est ton utilisation des boucles, sous forme de séquences. Tu es l’un des premiers en Italie à l’avoir fait, avec cette séquence d’accords de MC Fadden & Whitehead. Comment as-tu connu ce morceau ? Musicalement, tu donnes l’impression d’habiter un peu partout sauf en Italie.
En vérité, si un musicien tout à fait normal écrivait la partition de « Ma Quale Idea » et celle de McFadden, les notes des deux séquences d’accords seraient intégralement différentes. Il n’y en a pas une seule qui coïncide, mais l’inspiration m’est effectivement venue de là. Le fait est que « Ma Quale Idea » a quasiment été un phénomène de foire, le premier morceau dance en langue italienne à être diffusé dans les discothèques du monde entier, et à entrer dans les charts en Angleterre [et à être évidemment adapté en français]. Et puis, il y avait ce personnage à la fois ironique et insolent, avec sa cigarette. Le texte était amusant, je me moquais de moi-même… c’était du jamais-vu. À une époque où l’on chantait « Io, Tu e Le Rose » d’Orietta Berti en Italie, au Studio 54 de New York, on dansait sur ma chanson ! Bon, c’est vrai qu’on me dit souvent que je n'ai pas l'air Italien, mais excepté le fait d’avoir vécu à l’étranger avec ma famille… mais attends, qu’est ce que ça veut dire au juste, « être Italien » ? En Italie, il y a toujours eu des personnes un peu éloignées des tendances du moment, à l’avant-garde, que ce soit dans l’industrie, le sport, la peinture, ou la musique. Je ne crois pas qu’il suffise de ne pas être banal pour être défini comme un non-Italien. Du moins, je l’espère. Ce serait une insulte pour les Italiens ! Je suis Italien, et pas qu’un peu ! À ce propos : à quel point le lieu où tu vis te conditionne artistiquement ? Tu m’as dit que tu habitais à Amalfi, et que la connexion Internet était « comme en Ouganda en plein hiver, sous la pluie, avec des coupures électriques ». Tu vis en ermite, en gros ?
Oui, c’est un peu ça. C’est un lieu difficile à atteindre, et duquel il est difficile de partir. C’est beau à en crever, avec des paysages époustouflants, une mer cristalline… Mais c’est absolument désert en hiver, et plein à craquer en été. Plein de touristes du Nord, qui viennent se baigner de mars à octobre. C’est un endroit idéal pour s’isoler et écrire, mais difficile au quotidien : beaucoup de services sont très précaires, comme internet, les médecins, les moyens de transports… Beaucoup de gens ne le savent pas, mais de nombreux personnages importants ont vécu entre Amalfi et Ravello : Ibsen, Wagner, Greta Garbo, D’Annunzio, Jacqueline Kennedy … À quelques pas de chez moi, Luciano De Crescenzo a une maison. Salvatore Quasimodo est mort ici, à Amalfi, parce que l’ambulance est arrivé trop tard à cause de la circulation. Chaque médaille a son revers !

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Toujours dans l’idée de remettre les points sur les i, tu as dit que « Julius Ceasar Plum Cake Dance », sorti en 1982, est la toute première chanson en latin. Mais la même année, Diana Est a sorti « Tenax », avec là aussi, un texte de Ruggeri en latin, qui comporte des sonorités synthétiques étrangement similaires aux tiennes. Alors, ils t’ont plagié ?
Je ne sais pas. J’ai de l’estime pour Enrico, et je ne pense pas que… Il est trop intelligent (et c’est bien l’un des seuls), et surtout, franchement : qu’est ce qu’on en a à foutre ? C’était justement l’époque à laquelle on commençait à utiliser les claviers et les sons virtuels. Par exemple, le DX7 de Yamaha, un clavier devenu collector, était dans tous les studios. Les sonorités commençaient à être toutes les mêmes, ou presque, et puis c’était évident, on n’entendait plus des musiciens à part entière, mais un seul clavier que tout le monde utilisait. Si tu savais combien d’émissions de télé m’ont copié, combien de mes idées ont été utilisées sans même que l’on me consulte… Et ça n’est pas arrivé qu’à moi, c’était le cas également pour plein d’autres artistes. Ca fait partie du jeu. Et puis, il n’y a que sept notes… c’est rhétorique, mais c’est vrai. Et parfois, deux personnes peuvent avoir la même idée en même temps. Ca arrive souvent. Pour revenir à ce morceau, tu es probablement le seul en Italie à avoir repris le flambeau des Tom Tom Club, avec ce genre de funk de pur divertissement. Comment s’est déroulée cette connexion avec les Etats-Unis ? Tu es peut-être le plus américain des musiciens italiens…
Crois-moi, je suis incapable de te répondre. En vérité, je ne suis pas un vrai musicien. Je sais jouer de la guitare, du clavier… mais j’aimerais être un vrai musicien. Parmi les musiciens italiens, beaucoup sont plus « américains » que moi : Sergio Caputo, Beppe Cantarelli (le chouchou de Quincy Jones), Pino Daniele avec son « blues » napolitain extraordinaire… Je suis incapable de te répondre, franchement. Ce qui me fascine le plus dans tes chansons, c’est cette manière d’étirer les textes, qui rappelle un peu l’état d’esprit du punk, mais dans un contexte plus funky. En gros, tu te retrouves avec l’idée d’un funk futuriste, digne successeur des expérimentations vocales et linguistiques de Petrolini de Fortunello.
Peut-être ! Mais n’exagérons rien. Petrolini a marqué son époque, c’est un monument, comme Valentino, Toscanini, De Chirico… Très sincèrement, et sans fausse modestie, je pense que je suis doué. Mais même dans les comparaisons, il y a des limites ! J’écris comme ça me vient, je m’amuse, et je ne sais pas pourquoi toutes ces choses sortent de mon cerveau de cette manière.

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En parallèle, tu es aussi auteur pour la télévision, la radio, tu as fait du théâtre … J’ai lu que tu avais même présenté l’élection de Miss Univers au Venezuela !
Oui, effectivement, j’ai été invité à faire tout un tas de choses. À Caracas, on m’a demandé de présenter Miss Monde en direct… et en espagnol. Ne me demande pas pourquoi, je n’en sais rien. Il y a tellement de choses qui n’ont aucune explication. J'ai aussi essay" d’écrire un livre, et pendant que j’essayais … le livre a disparu, et je me suis retrouvé dans une comédie musicale sur Gershwin et Miller ! De quelle manière ? Je ne sais pas, ça s’est passé comme ça. Talent ? Chance ? Hasard chaotique ? Génie ? Folie ? Comme je te le disais plus tôt, je ne me suis jamais considéré comme un simple chanteur. Et encore moins comme un merle chanteur… Ma voix est certes très personnelle et grave (peut-être même un peu trop, depuis les opérations) mais je ne suis certainement pas un chanteur d'opéra. Ta musique est un immense mélange, et c’est quelque chose qui se vérifie quand on jette un œil à la liste de tes collaborations. Je pense par exemple à Oscar Rocchi, et ses « paysages musicaux », auteur d’un superbe disque avec Tullio De Piscopo ; ou alors à Enrico Intra, derrière le tube disco-electro-funk « Momento Intra » de 1978… Et je pense aussi à ta section rythmique, qui passe du funk à la new wave, avec des gens comme Dall’Aglio et Stefano Cerri… D’où te vient cet éclectisme ?
Du plaisir de connaitre, apprécier et respecter les gens doués, et les personnes entières… Et avoir la chance de pouvoir le faire. Quand j’étais enfant, mon père me disait toujours : « fréquente des personnes meilleures que toi, c’est comme ça que tu apprendras ». Et c’est ce qui s’est passé. J’ai toujours été curieux et j’ai toujours eu envie d’apprendre. Intra était le meilleur jazzman italien, Stefano Cerri était un génie absolu de la basse, il en jouait comme si c’était un violon. Et puis, il y a l’italo-disco : on t’a considéré comme un ponte du genre, tu as même travaillé avec Alfredo DiMauro, ingénieur du son pour 'Lectric Workers. Qu’est ce que tu peux nous dire au sujet de ton rapport avec ce style, et avec sa naissance ? Tu te considères comme un pionnier de l'italo ?
Non, je ne pense pas… Le disco italien est arrivé après moi, et c’était quelque chose de différent. Exceptés quelques cas vraiment originaux (Gazebo, par exemple), l’italo-disco a été un phénomène démesuré, les morceaux étaient produits en série. Des wagons pleins à ras bord de chansons, et rien à sauver, aucune culture funk ou jazz, rien de nouveau … mais on dansait bien dessus, et puis, tout le monde prenait des faux noms étrangers. Si un chanteur s’appelait Gennaro Quaglialasguinza ou Tonio Lottazzo, il prenait pour pseudonyme Jerry Sheen ou Robby Cunningham ! Freddy Naggiar a inventé ce genre et l’a rendu… invasif. C’était une opération commerciale géniale, bien sûr, mais je ne m'en sens absolument pas responsable.

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OK, en revanche, un peu plus tard, on peut dire que tu as été un défricheur, voire même un fondateur de la trance, avec le célèbre « The Age of Love » que tu as composé en 1990. Sur Youtube, ce titre cumule trente millions de vues, une dizaines de versions différentes, et on peut le trouver sur plus de 400 compilations. Tu peux nous en parler ?
Oh oui ! J’étais en Belgique, chez un ami, Philippe De Kouleleire, un grand éditeur. Il me dit : « allez, viens en studio, j’ai l’embryon d’un titre, et j’aimerais que tu l’écoutes et que tu en fasses éventuellement quelque chose. » C’était vraiment obscène, insupportable, horrible… Une batterie avec une caisse claire, sans corps, une basse sans queue ni tête, un synthé qui gémissait en fond… Une vraie catastrophe ! Je ne savais pas quoi faire. J’ai essayé de jouer une séquence répétée à l’infinie, j’ai changé tout le reste, et j’ai improvisé un texte en anglais, debout devant le micro, histoire de tenter quelque chose. En sortant du studio, j’ai dit à mon ami : « fais-en ce que tu veux, mais ne mets pas mon nom là-dessus, par pitié ! » Six mois plus tard, c’était le premier succès mondial de ce nouveau genre musical. J’ai tout de même été crédité en tant qu’auteur, mais aujourd’hui encore, je me gratte la tête et je ne comprends pas. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. On raconte que Fleming a découvert la pénicilline plus ou moins de la même manière… c’est à mourir de rire. Revenons un peu en arrière : qu’est ce que tu peux nous dire au sujet de l’album Evelonpappà E velonmammà sorti en 1983 ? Parce que là aussi, avant Jovanotti et compagnie –c'est-à-dire des pales imitations de ce qui se faisait outre-Atlantique-, on a ici une vraie réponse à l'electro-rap américain (« Una Notte Maledetta », adaptation du succès de Chagrin d'Amour) et un condensé d'electro-pop qui s’aventure hors des sentiers battus, quitte à se perdre… Ce disque est sorti au Portugal en premier, c’est ça ?
Ca a été un travail d’équipe. Un puzzle. La musique était de Renato Pareto, le texte de moi, le choix du morceau de Roberto Danè, et les arrangements de Pinuccio Pirazzoli. Il y avait d’autres intervenants, dont un très célèbre qui avait fait un travail génial sur un album de Lucio Battisti, mais nous ne pouvions pas prendre tout le monde, parce qu’ils venaient tous frapper à la porte un par un. C’était un morceau facile, simple, qui s’est révélé impossible quand il a fallu lui donner une identité musicale. Pinuccio eut l’idée géniale de maximiser la partie électronique que j’avais fredonné, en l’améliorant énormément, et en lui donnant une réelle importance. Le résultat fut un mix très étrange. Je ne me rappelle pas d’une sortie anticipée au Portugal ou en Espagne, mais tu as peut-être raison. Le label a certainement voulu voir quel effet ferait ce titre sur un certain type de public, j’imagine. C’était un titre acide, électrique, je ne pensais pas qu’il serait devenu un succès.

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Il est évident en t'écoutant que tu as toi-même écouté beaucoup de jazz. Tu as été influencé par Herbie Hancock à l'époque ? Quels sont tes musiciens préférés ?
Par Herbie Hancock ? Certainement. Et aussi par Al Jearreau, Gato Barbieri, Perigeo, PFM, et malgré les différences d’époques et de styles, encore et toujours par Pink Floyd. Absolument, les Pink Floyd. Aujourd’hui, hier et demain, les Pink Floyd. Et encore les Pink Floyd. Pour moi, ils représentent le seul cas de « musique classique trans-générationnelle » de l’époque moderne. Aujourd’hui, s’ils étaient encore vivants, Chopin ou Ravel achèteraient leurs disques. Tu as été le seul Italien à apparaitre dans le DVD World Tribute to the Funk, édité par Sony Music en 2003, qui est une encyclopédie universelle du funk mondial. En 2001, tu as reçu aux Etats-Unis le Rhythm & Soul Music Award, tu es là encore le seul Italien à l’avoir reçu. Pourquoi personne n’en a parlé en Italie ?
Pourquoi personne n’en a parlé ? La presse grand-public de l’époque ne s’intéressait pas à toi si tu n’étais pas de la RCA ou de la CBS, et c’est encore le cas aujourd’hui pour les jeunes. Et puis, tu sais, je ne suis même pas allé le recevoir. J’ai peut-être fait une grosse erreur, mais qui n’en fait jamais ? Tu as joué souvent en Amérique ?
Aux Etats-Unis, j’ai fait trois tournées, dont une qui s'est terminée au Madison Square Garden de New York… et plus de la moitié du public n’était pas d’origine italienne. Une autre avec des prolongations interminables au Canada. La troisième a été plus courte, c’était une mini-tournée de 3 dates. C’était une autre époque, pas forcément meilleure qu’aujourd’hui…

Le marché européen te mange dans la main, il paraît que tu es très souvent en Allemagne, par exemple.
Oui, Espagne, Allemagne et France. Ce sont, discographiquement parlant, mes seconds pays, peut-être même plus que l’Italie. Tu te considères comme un auteur qui ne correspond pas au marché italien actuel ?
Ah bon, il y a encore un marché italien ? D'ailleurs : il existe encore un marché ? Je ne sais vraiment plus… La musique a été pulvérisée, insultée, violentée… C’est quasiment devenu un bruit de fond. Je vois de plus en plus de monde qui monte en voiture, allume la radio, puis raconte sa vie sans même écouter. Et en arrivant, on éteint. Essaye de leur demander ce qu’ils ont entendu : ils ne sauront pas te dire. Tout le monde sait que tu as écrit l’incroyable « Ma Chi È Quello Lì » pour Mina, mais est-ce que tu peux rappeler aux lecteurs ce que tu as composé pour les autres ?
Ce serait plus facile de le faire en France, ou en Espagne, mais… je vais essayer. Il y a eu beaucoup de morceaux pour Claude Barzotti, vénéré en France et en Belgique depuis trente ans, encore plus que Cocciante. Cutugno, une vedette populaire, mélodique, que j’ai convaincu de chanter un titre de reggae, et il a été excellent, malgré le fait qu’il soit très éloigné de ce genre musical. Pas mal de titres célèbres, vendus à d’autres auteurs pour des raisons… hum, comment dire … contractuelles. « Don't Call Me Baby »des Madison Avenue, qui a fait le tour du monde un nombre infini de fois, et qui a été classé aux Etats-Unis et en Angleterre. Si tu voyais mon CV, il y a énormément de bandes originales de films, de Tinto Brass à Lina Wertmüller. Le sacré et le profane (ou le contraire). Si tu veux la liste de mes non-succès, en revanche… j'espère que tu as beaucoup de temps devant toi ?

Hahaha… À ce sujet, les Flaminio Maphia, de manière assez fourbe, ont repris « Ma Quale Idea » en 2005, et évidemment ça a cartonné, peut-être le seul succès important de leur carrière. Est-ce que tu t’intéresses à la nouvelle scène hip-hop italienne ? Qu’est ce que tu en penses, maintenant que le rap, en Italie, est devenu complètement mainstream ?
Le hip-hop n’est pas fait pour nous. Ca ne correspond à rien de chez nous : la langue, la culture, la tradition, la jeunesse italienne… C’est comme si les Américains se mettaient à chanter « Mia bella Madunina », ou les Allemands à écrire un tango. Par pitié… Chacun son truc. Quelques-uns (mais vraiment peu) font du bon rap, et je leur tire vraiment mon chapeau, mais il y a vraiment peu de bonnes choses. Mon rap était une blague, très ironique… mais le vrai rap, aujourd’hui, est une protestation sociale, alors qu’ici, c’est quasiment toujours une caricature sans intérêt. Je vois et j’entends des choses qui me font de la peine, et je n’exagère pas.

Quoi qu’il en soit, tu collabores aussi avec de jeunes musiciens. Tu as récemment fait un featuring avec Vidra. Tu suis la scène underground italienne ?
Pas vraiment… Mais toi, je vois que tu me suis. J’espère que tu n’es pas là pour me mettre dans ton coffre ! [Rires] Plus sérieusement : des gens doués, il y en a toujours… Mais le problème est que ceux qui sont bons (parmi lesquels Vidra) sont trop souvent ensevelis, écrasés et étouffés par une horde de mendiants intello-musicaux. Aujourd’hui, n’importe quel idiot avec un PC et un logiciel gratuit se prend pour un chanteur, un auteur, un ingénieur du son, un DJ ou un producteur. Puis tu lui demandes qui est Marvin Gaye, ou tu le mets devant un piano-forte et il se met à bégayer et à ne plus pouvoir respirer. Ce n’est pas de la démocratie, c’est le pire de la plèbe au pouvoir. En musique comme en politique. En tout. Vu que tu es aussi actif qu’un volcan en éruption (et tu es né à Pompei), quells sont tes prochains projets ?
Tu ne vas pas me croire, mais je n’en ai pas la moindre idée. Je n’ai jamais su ce que j’allais faire le lendemain, et c’est toujours le cas aujourd’hui. J’ai énormément d’envies, mais certaines, sans prévenir, disparaissent subitement. J’ai beaucoup de rêves dans mon coffre-fort, mais j’ai perdu les clefs. Vous n'en avez pas eu assez ? Allez faire un tour sur www.pinodangio.com.