FYI.

This story is over 5 years old.

Music

DJ Kore a produit plus de tubes que n'importe qui dans le rap

Rohff, Booba, Rick Ross, Brodinski, Matt Pokora, Lacrim, Club Cheval : ils sont tous passés entre ses mains.

En une poignée de productions, dont certaines absolument cultes (« TDSI » de Rohff, « On Pense Tous Monnaie » de la Scred Connexion, « La Faucheuse » de Booba), DJ Kore, autrefois assisté de Skalp, s'est essayé à différents styles et a accumulé les collaborations. Depuis la fin des nineties, on l'a ainsi vu aux côtés de Don Choa, de Brodinski, de Matt Pokora, de Leslie, de Club Cheval et de toute une tripotée d'artistes au sein des compilations Raï'n'B Fever. Bref, le genre de mec capable de régaler aussi bien la midinette de 16 ans que le hipster sponrosié par Urban Outfitters ou l'amateur de rap en combo survèt Tacchini-Stan Smith. Aujourd'hui basé à Miami, on a profité d'un petit moment d'accalmie dans son année 2015 pour revenir sur une carrière où se mêle succès, disque d'or, The Neptunes, Rick Ross et le hip-hop underground de la fin des années 1990. Noisey : J'ai lu qu'à tes débuts tu trimballais tout tes disques du Val-d'Oise à Bastille pour mixer. Comment ça a commencé pour toi ?
DJ Kore : Je suis issu d'une famille de mélomanes. Que ce soit mes oncles ou mes parents, tout le monde écoutait de la soul américaine dans mon entourage. C'est donc naturellement que j'ai fini par m'essayer au Djing, après avoir notamment pris une claque en écoutant les premières mixtapes de Dee Nasty et Cut Killer. Le plus drôle, c'est que deux heures et demi après avoir acheté mon matos, je me suis retrouvé en studio avec NTM et Joeystarr en train de proposer de tourner en première partie d'un de ses poulains.

Publicité

Comment ça s'est passé ?

À l'époque, dès que quelqu'un rappait ou produisait, on le sollicitait pour différents projets. De mon côté, un gars est venu me voir pour savoir si j'étais dj. Pensant qu'il s'agit d'une blague, je lui ai dit que j'avais un match et que je devais partir. Mais c'était sérieux et c'est comme ça que je me suis retrouvé au sein de la programmation de Les Arts du Hip-Hop en Belgique aux côtés de la Scred, des X-Men et des 2 Bal. De là, je sympathise avec Fabe et je m'enferme pendant une pige pour faire honneur à ma réputation.

Elles étaient comment ces soirées à la Factory aux côtés de Fabe ?

Mémorables ! À cette époque, je faisais aussi des warm-up dans le studio de Cutee B à Richard Lenoir. C'est aussi le moment des premiers maxis, des premières mixtapes et des premiers singles avec Rohff, notamment. Depuis, je n'ai plus lâché les playlists des radios.

Concrètement, comment s'est fait ton passage de l'underground à l'entertainment lorsque tu signes chez Sony en 2001 ?

Il faut savoir qu'au moment où je collabore avec Rohff, on n'a aucune idée de ce qui va se passer. Je l'avais rencontré par le biais de Choukri, qui était notre manager respectif et qui m'avait permis de tourner aux côtés de Diam's et Karlito. La rencontre avec Rohff était donc parfaite, ça me permettait de gérer ma schizophrénie entre gros hits et morceaux de qualités. Je savais que j'assistais à un projet qui allait faire mal. Avant de produire « TDSI » et « 5.9.1 », j'avais déjà écouté « R.O.H.F.F. » produit par Sulee B Wax et « Creuset 2 Voyous » produit par Maleko. C'était déjà très abouti, il savait choisir ses productions.

Publicité

Il y a d'abord Booba, Rohff ou K-Reen et, très vite, tu produis Leslie, la BO de Taxi 3 et la première compilation Raï'n'B Fever.

Taxi 3

, c'était la première pierre à l'édifice de ma carrière, celle où je commence à imposer mes idées sur un long projet. Du coup, je me permets de travailler aussi bien avec Corneille qu'avec Booba et Nessbeal.

J'imagine que tu avais des modèles en tête au moment de te lancer dans un tel projet ?

Mon mentor, ça a toujours été Stevie Wonder. Sa façon de s'essayer à diverses instrumentations m'a toujours fasciné et inspiré. J'ai beaucoup de respect également pour les Neptunes, Mike Will, Alchemist ou le regretté DJ Mehdi. J'avais la sensation d'être en compétition avec eux. Du coup, je ne m'imposais aucune limite. À cette époque, je produisais aussi bien Booba que Leslie.

​​

Tu as été le premier à marier raï et r'n'b. Comment cette idée t'est venue

?

C'était une manière de poursuivre ce qui avait été entamé par 1,2,3 Soleil et de représenter en mode gros game mes origines. Je ne voulais pas d'un truc autarcique ou communautaire. J'avais conscience que ça pouvait être un gros projet, mais je ne voulais pas surfer sur les clichés. Ce qui était assez facile étant donné que ce type de son n'existait pas à l'époque, si ce n'est chez Cheb Mami ou dans « Tonton Du Bled ».

Il y a de tout sur ces compilations : des rappeurs respectés (113, Sniper), des chanteurs r'n'b (Amine, M. Pokora), des stars internationales (Kelly Rowland, Ricky Martin) et même des comiques (Omar & Fred). Comment as-tu réussi à réunir toutes ces personnes ?

Publicité

Pour la partie raï, c'est Ahmed Hamadi, le Jean-Jacques Goldman de l'Afrique du Nord, qui m'a beaucoup aidé. Il connaissait tout le monde, de Cheb Mami à Cheb Khaled. J'ai profité de ses connexions pour offrir un putain de souffle au raï. De mon côté, je connaissais tous les rappeurs et certains venaient même vers moi.

Tu as réussi à garder le contrôle tout du long ?

Comme je le disais, on ne voulait pas d'un truc communautaire. Il fallait que cette compilation soit visible de tous. J'ai donc bataillé ferme avec Sony parce qu'il voulait la ranger au rayon world. On savait que Skyrock et NRJ allaient suivre, ça aurait été dommage et réducteur d'associer la compilation aux albums de Youssou N'Dour. Moi, je la voulais aux côtés de Beyoncé ou Fat Joe dans les bacs.

Certains pourraient s'imaginer que tu t'es trahi avec un tel projet. Comment gères-tu ça ?

Ça m'importe peu, je suis très à l'aise avec le succès. En plus, en parallèle à cette compilation, je produisais « Bâtiment C » et « Commis D'Office » pour Booba. Ma carapace était faite. Les spéculations étaient juste un truc de haineux. C'est à cette époque que j'ai compté les morts. Beaucoup rêvaient d'avoir mon parcours mais ont fini par retourner leur veste et se sont trahis. Contrairement à beaucoup d'autres, je n'ai jamais mis de pop dans du rap. Quand je faisais Magic System, c'était du zouk, Booba, c'était du rap et ainsi de suite. J'ai toujours été vrai dans ma démarche.

Publicité

​​

Apparemment « Bâtiment C » est né d'un freestyle en live. Tu peux revenir sur cette histoire ?

C'était lors d'un concert à Montpellier lors de la tournée de

Temps Mort

. On était un peu en vrac et on faisait une face B avec tous les membres du 92i. Le problème, c'est qu'on ne se rappelait plus de rien et Booba, pour rattraper le coup, me demande instinctivement d'inventer un beat sur ma MPC. Il faut savoir qu'il y avait 3000 personnes en face de nous. Du coup, malin, j'utilise une technique de Dj consistant à appuyer simultanément sur « Rec » et « Play ». De là née est une petite rythmique qui fonctionne plutôt bien. Quand je rallume la MPC deux semaines plus tard en revenant à Paris, j'hallucine en réécoutant le beat. J'appelle Booba, il kiffe et « Batiment C » était né.

Les concerts avec Lunatic et Booba, c'était comment ?

Ça fait partie de mes meilleurs souvenirs. Si j'ai largement aiguisé mon style aux côtés de Rohff parce qu'il était très précis et qu'il voulait de la qualité, j'ai appris à varier ma démarche avec Booba qui était plus nonchalant et plus cainri dans son approche. J'avais l'impression d'être Sha Money XL au sein de G-Unit. « La Faucheuse », par exemple, a été composé en 5 minutes.

Ce qu'on n'a pas dit, c'est que tous ces projets ont été réalisés avec Skalp. Pourquoi avoir mis un terme à votre collaboration en 2005 ?

On avait des envies différentes. Je n'écoute pas trop ce qu'il fait aujourd'hui, mais je sais que ça lui correspond davantage. Pareil pour moi. Aujourd'hui, je suis dans un délire qui ne lui correspond pas.

Publicité

Avec tous les artistes pour lesquels tu as produit des sons, existe-t-il encore un mec pour qui tu composerais sans réfléchir ?

En France, je pense avoir fait tout le monde. Aux US, en revanche, j'aimerais beaucoup travailler avec Drake ou Kendrick Lamar. Ça serait l'étape ultime. Et ce n'est pas si irréalisable sachant que je collabore de plus en plus avec des ricains, comme Wale ou Meek Mill.

Comment fais-tu pour travailler aussi bien avec Club Cheval et Brodinski que Lacrim ?

J'ai toujours milité pour ça. Quand Pharrell collabore avec Miley Cyrus ou Daft Punk, ça n'étonne personne. Il n'y a qu'en France que l'on oppose le mainstream et l'underground. Je ne me compare pas à Pharrell, mais c'est la même démarche. Je n'ai pas de culpabilité à avoir par rapport au fait de travailler avec Magic System ou Brodinski. Je m'éclate tous les jours. C'est comme si j'avais 16 ans, que j'étais en studio et que je cherchais juste à kiffer.

Le dernier album de Lacrim est d'ailleurs disque d'or depuis peu. Ça t'en fait combien ?
Je dirais 38, environ. Sans compter les disques de diamant aux states. Si j'en prenais compte, j'en rajouterais au moins dix.

Et Brodinski, c'est toi qui l'a aiguillé vers les rappeurs d'Atlanta ?

Non, il avait déjà ses connexions. C'est marrant parce qu'on est issu de deux écoles différentes. Lui est fan de Kanye et moi, je suis nettement plus tourné vers French Montana, Rick Ross, la scène de Miami ou de Toronto avec Danny Boy Styles, qui a notamment produit The Weeknd.

Publicité

Justement, tu cherchais quoi en t'installant à Miami ?

À vrai dire, je voulais couper les ponts avec

Raï'n'B Fever

. Je venais de faire un Bercy et j'étais frustré du peu de retentissement médiatique suscité par l'événement. Et puis je voulais travailler avec Rick Ross, un mec aussi à l'aise sur les beats de J.U.S.T.I.C.E. League que sur ceux, nettement plus orientés trap, de Lex Luger. Bref, il peut tout faire. Par chance, trois jours après mon arrivée à Miami, j'étais déjà dans son studio. On est pote à présent et j'ai vraiment la sensation d'avoir beaucoup appris à ses côtés. Il faut savoir qu'on ne produit pas pareil quand on bosse avec Rick Ross. J'ai mis presque deux ans et demi à trouver mon son, à délaisser ma culture du 808 pour comprendre leur rapport au sub. J'ai écumé les studios et les producteurs, je voulais comprendre leur méthode. Même dans « Happy » de Pharrell, il y a du sub, bien qu'on ne l'entende pas.

​ Tu vis à Miami, mais ton studio, lui, est à Paris. On trouve quoi dans ce que tu appelles ton bunker à Aubervilliers ?

On trouve autant un Panteros666 en train de bidouiller ses machines qu'un Lacrim en train de découper une prod ou un chanteur de raï venant me demander pour la 100ème fois si je prévois de faire un nouveau

Raï'n'B Fever

. Pour le reste, tu trouveras tous les gens qui m'accompagnent depuis 10 ans et tout le matos nécessaire à la production. Ce qui est marrant, en fin de compte, parce que j'ai de plus en plus tendance à composer directement sur mon iPhone avec quatre pauvres notes. C'était le cas pour « J'Suis Qu'un Thug » et « A.W.A » avec French Montana sur le dernier album de Lacrim.

Publicité

​​En écoutant la nouvelle génération, tu as l'impression d'avoir fait école ?
Oui et non. Le truc, c'est que les nouveaux producteurs n'ont pas connu les rues de Paname, ils passent directement par internet. Beaucoup diront que c'est plus pratique, que l'époque dans laquelle j'ai grandi était plus galère, mais c'est faux. C'était un plaisir. Ça m'a donné envie d'évoluer constamment. Quitte à devancer le game, comme avec Corleone de Lacrim ou avec SCH. Quand les gens vont écouter son album, ça va être un truc de fou. Ils ne seront pas prêts et ne vont rien comprendre.

Quel est l'étape ou la sortie de disque la plus marquante de ta carrière, et celle que tu as regretté ?

La plus marquante, c'est

Taxi 3

. Tout simplement parce que le succès a été retentissant et parce que ça m'a permis de travailler avec les Neptunes. Sinon, pour les regrets, je dirais

Raï'n'B Fever 4

. Je n'étais déjà plus dedans et c'était davantage une idée de la maison de disques. Il y a aussi

À La Recherche Du Bonheur

de Leslie. On avait tout pour marquer les esprits, mais le label a tout fait foirer. En 2015, les productions de l'album se défendent encore très bien, mais les hautes instances n'y ont rien compris. On était trop en avance.

Concrètement, avec tout tes projets, tu te vois où dans cinq ans ?

Franchement, on verra. Je m'essaie à plein de game différents. L'année prochaine, un projet avec Rick Ross et French Montana devrait sortir sur Def Jam. Il y aussi mon projet AWA, Arab With Attitude. Bref, je n'ai jamais été aussi en forme qu'actuellement et je ne veux pas louper une miette.