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Quelque part entre Crass et Rihanna, il y a Poliça

Le groupe de Minneapolis nous parle de ses deux batteurs, de la frontière entre indie-rock et pop FM et de son nouvel album « United Crushers ».

Poliça peut s’estimer heureux : en France, ce groupe n’existerait pas. Aux États-Unis, son cas est déjà un peu limite, toujours le cul entre une chaise pop FM un peu trop toc pour lui et un tabouret indie bricolé à la maison. Certains musiciens du groupes ont d’ailleurs des boulots car la musique ne suffit pas à payer leurs loyers, aussi peu élevés soient-ils dans leur ville de Minneapolis. Peu importe car c’est aussi ce qui fait tout le charme de la formation menée par Channy Leaneagh, en tournée européenne non seulement avec ses boys mais aussi avec son bébé de quatre mois sur les bras.

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Bien que rangé sur leur territoire dans l’embarrassant bac « synthpop », Poliça est un groupe de pop-rock qui a su domestiquer les machines tout en ne négligeant ni son sex-appeal, ni son énergie naturelle avec une rythmique confiée à un bassiste et à deux (oui, 2) batteurs.

Dès son premier album, où Leaneagh balançait sur son divorce et plombait un peu l’ambiance, Poliça s’est embarqué dans une formule énigmatique à base d’un R’n’B claudiquant sur le dancefloor (merci Luz pour la formule) et d’un rock tiraillé par tous les projets en roue libre des musiciens. Au milieu de cette galaxie règne en maître leur producteur Ryan Olson et gravitent des groupes défouloirs comme Gayngs, Doomtree ou Marijuana Deathsquad. L’idée de Poliça a d’ailleurs germé durant l’enregistrement de l’album de Gayngs dont Leaneagh assurait les chœurs. Suite à cette rencontre, Olson l'a forcé à enregistrer des chansons sur un mode R’n’B. et la lumière fut. Jay-Z en fit une promo gratos inespérée sur son blog tandis que Bon Iver déclara sa flamme au groupe. De passage à Paris, l’un des deux batteurs, Drew Christopherson, et le bassiste Chris Bierden on tenté de nous expliquer la progression qui les a menés au superbe United Crushers, qui sort chez Mom+Pop/Memphis Industries/PIAS le 4 mars prochain, un troisième album plus enjoué mais aussi plus sophistiqué.

Noisey : Channy se balade avec son bébé en tournée, vous l’avez vue changer depuis qu’elle est maman, en particulier vis-à-vis du groupe ?
Drew Christopherson : En fait c’est son deuxième enfant.

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Chris Bierden : Tu sais, elle a toujours un peu été une mère pour ce groupe.

Drew : Ça a été génial de la voir devenir maman mais elle a toujours été très attentionnée vis-à-vis des membres de Poliça. C’est toujours elle qui dit : « bon les gars, on va peut-être pas bosser toute la nuit. On a des trucs à faire demain, allons nous coucher. »

En tout cas c’est cool de la voir se balader avec un bébé de quatre mois à Paris.
Drew : Ça nous a brisé le cœur de voir ce qui était arrivé à Paris le 13 novembre. C’était important de revenir ici, on était excités à l’idée d’apporter notre soutien et notre amour à la ville. Hier, nous sommes allés nous recueillir sur le mémorial avec toutes les fleurs, c’était émouvant.

Comment vous définiriez l’évolution de Poliça au fil des albums ?
Drew : Le truc, c’est que le groupe est né comme un projet de studio, il n’y avait pas vraiment de plan sur le long terme. Pour le premier album, nous n’avions jamais joué live avant. Pour le deuxième, nous étions plus comme un groupe et avions répété avant d’aller en studio. Sur le nouveau, c’est la première fois que chacun d’entre nous a bossé sur des sons, et que nous avons répété ensemble. Nous l’avons enregistré comme un vrai groupe.

Chris : J’espère qu’il sonne de façon plus raffinée et composée que les deux premiers.

Ça veut dire qu’au début, vous étiez une bande de potes pas vraiment décidés à faire vivre un groupe ?
Chris : Ryan Olson connait plein de musiciens et c’est lui qui nous a réunis. Je ne connaissais ni Channy, ni Ben, l’autre batteur.

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Du coup, vous continuez à jouer dans plein de groupes ?
Les deux : Oui bien sûr !

C’est une volonté chez vous de faire se rencontrer la pop FM et la musique indie ?
Drew : Idéalement, on aimerait continuer dans les deux directions : sonner plus pop et raffiné, tout en restant toujours aussi bizarre. Et si on devait aller dans une direction plus pop, on irait aussi creuser dans un truc plus noisy. On ne veut pas nous éloigner de ce qui nous rend weird, c’est même clairement une direction qui nous intéresse plus que la pop. C’est ce qui faisait l’essence même de Poliça au départ : mixer des éléments pop avec des trucs plus sombres, des notes mineures que tu n’as pas l’habitude d’entendre à la radio.

On a l’impression que vos goûts très variés.
Drew : Si on devait balayer notre spectre d’influences, ça partirait d’un côté de Rihanna et Beyoncé, pour aller de l’autre à The Haxan Cloak, avec au milieu Brian Eno, les Boredoms et Crass. Oui tiens, si je devais définir notre univers, ça irait de Rihanna à Crass.

Ça va, y’a de la place.
Chris : On est comme ça. Chacun apporte son propre univers et influence les autres. Du coup, on arrive même à changer d’avis sur des groupes qu’on trouvait nazes.

Drew : Chris m’a bien eu avec Fleetwood Mac ces dernières années alors que Ben n’aime pas les trucs à la Rihanna. Il est plus dans le hard rock et le punk. Channy vient du RnB et de la folk. Ryan aime tout ce qui est weird. On vient vraiment d’univers très différents. C’est ce qui explique la formule Poliça.

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Et c’est pas compliqué pour vous vis-à-vis des médias et du public américain ?
Drew : Bah c’est comme en Europe, on est considérés comme un groupe indé, sur un label indé… mais j’aime l’idée que certains vont s’intéresser à nous du fait de notre parcours do it yourself, le fait d’avoir assemblé notre propre équipe et d’être restés fidèles à notre ville de Minneapolis. Bon nombre de nos influences viennent de la scène locale et on essaie d’en parler un peu partout. Mais je ne suis effectivement pas sûr que le grand public nous calcule comme je le souhaiterais.

Chris : Notre volonté a toujours été de garder le contrôle. On s’est donc toujours liés à des personnes qui laissaient une totale liberté à notre créativité.

Minneapolis est donc une ville importante pour votre équilibre ?
Drew : C’est un endroit génial pour un musicien. Il y a beaucoup de salles de concerts, de radios et une vraie scène soudée. On joue dans des groupes depuis une dizaine d’années et Poliça a élargi nos horizons, nous a ouvert de nouvelles perspectives en matière de musique.

Et les loyers y sont moins chers qu’à Brooklyn.
Drew : Oui et ça permet aux musiciens d’avoir une maison ou un appartement, et un studio, voire un local de répétitions. Tu peux facilement y enregistrer un disque. Surtout, c’est un endroit très propice à la création car tous nos potes sont d’excellents musiciens qui démarrent tout le temps de nouveaux projets juste pour l’amour de la musique, pas tant pour faire carrière. Et ça, c’est plutôt sain.

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Vous parliez de l’éventail allant de Rihanna à Crass. Votre ville de Minneapolis, c’est un peu de Husker Dü à Prince pour le coup.
Drew : Oui, ça résume bien l’idée de la ville. D’ailleurs, la plupart de mes salles préférées se trouvent à Minneapolis. La meilleure, le First Avenue, a fait un super boulot pour construire une communauté autour de la musique alternative. Tous les gros tourneurs américains cherchent à faire des choses ici mais ils échouent du fait de la qualité du réseau de salles indépendantes.

Chris : Et je peux te garantir que ça fait une sacrée différence au niveau de la qualité des concerts, c’est ce qui nous sauve.

Drew : C’est une petite ville mais tous les artistes majeurs viennent s’y produire, il serait impensable de ne pas jouer dans cette ville qui n’a jamais que 100 000 habitants [Rectification : il y en a environ quatre fois plus quand même]. Elle bénéficie d’une super réputation.

Vous jouez tous dans d’autres groupes, est-ce que ça vous sert quand vous vous retrouvez dans Poliça ?
Chris : Oui, d’ailleurs j’y pensais récemment. En jouant dans d’autres groupes, je tente plein de trucs alors que je ne ressens pas ce besoin dans Poliça. Je pense uniquement à faire le maximum pour avoir la meilleure chanson. L’ensemble me permet d’y trouver mon compte en tant que musicien et de mieux cerner le boulot pour chacun de mes groupes.

Drew : Entre les deux derniers Poliça, j’ai enregistré un album pour un autre projet. Je n’y ai fait que de la programmation de rythmiques électroniques et ça m’a vachement aidé à progresser. Sur le dernier Poliça, il y a donc des titres où j’ai pu remplacer ma batterie par des beats. Depuis le début, avec Ben, l’autre batteur, nous jouons dans Marijuana Deathsquads et c’est notre association de batteries qui a plu à Channy et Ryan.

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C’est donc à cause de toi que l’électronique prend une place de plus en plus importante à chaque nouveau Poliça ?
Drew : Non, on ne peut pas dire ça. Sur le premier album, on a ressenti qu’il fallait ajouter tous les éléments possibles dont les chansons avaient besoin. Elles démarraient de façon électronique et on ajoutait la batterie, la basse. Jusqu’au troisième où à l’inverse, on se demandait : est-ce que la chanson en a besoin ? Et si non, pourquoi l’ajouter ?

Chris : C’est vrai que Ben et Drew ont enfin des pads électroniques dont ils peuvent se servir.

Drew : Oui, on a plein de jouets maintenant.

Ce truc d’avoir deux batteurs, c’est quand même devenu rare de nos jours.
Drew : Ça nous a pris du temps pour nous rendre compte de notre potentiel. Maintenant, on tient vraiment compte de ce que fait l’autre. Ça crée une relation vraiment incroyable.

Côté production, c’est vraiment Ryan qui prend tout en charge ?
Chris : On s’est juste fait aider en studio par Jeremy Nutzman qui est musicien sous le nom de Pony Bwoy.

Drew : C’est plus Pony Bwoy, il a encore changé de nom ! Maintenant, il s’appelle Velvet Negroni. Il a bossé sur nos trois albums, c’est un peu l’arme secrète de Ryan qui, lui, a une vision d'ensemble de la production.

Vous êtes aussi impliqués dans le groupe de Ryan, Gayngs ?
Drew : Pas vraiment, en tout cas pas musicalement. Mais j’étais dans le « comité exécutif » de Gayngs, en particulier pour le gros concert de sortie de l’album Relayted à Minneapolis en 2010. Et j’ai aussi écrit la biographie ! Mais même sans y jouer, on avait l’impression d’être impliqués dans ce projet. C’était un truc de notre ville avec plein de potes qui y participaient, une sorte de projet de famille. Une famille qui a donné naissance à Poliça. Pascal Bertin se balade aussi avec un bébé dans Paris. Il est sur Twitter.